La Vierge Marie dans la musique


Cette autre forme éminente et féconde d’art chrétien qu’est la musique a pu se développer au rythme du développement de la liturgie, avec la psalmodie, l’hymnique, et toutes les paraliturgies, avant de prendre son envol en Occident sans rapport direct avec la liturgie. La place réservée à la Vierge Marie dans la liturgie a permis le développement d’une musique qui lui est spécialement consacrée, et la dévotion mariale a produit des œuvres de musique sacrée mariale, non destinées à la liturgie.

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L’importance de la musique dans la liturgie

La Constitution sur la liturgie du concile Vatican II, Sacrosanctum Concilium, souligne que

« le chant sacré, uni aux paroles fait nécessairement partie intégrante de la liturgie solennelle’ ) »[1].

La Vierge Marie dans la liturgie

La Vierge Marie occupe une place d’honneur dans la liturgie. Elle est en effet associée à la liturgie dès les premiers siècles du christianisme. L’année liturgique offre en effet de nombreuses occasions de fêter la Vierge Marie dans la liturgie eucharistique[2]. En outre, dans tout le cycle de l’année, on termine les heures canoniques par des antiennes mariales spécifiques à chaque temps liturgique[3].

D’autre part, la liturgie des Heures se compose elle-même de psaumes, lectures, de prières (oraisons, prières litaniques), et d’hymnes. Certaines hymnes mariales appartiennent au répertoire grégorien et sont donc propres à la liturgie : le Sub Tuum praesidium, datant du IIIe s., l'Ave Maris Stella , le Magnificat, que l’on récite pendant  l’office des Vêpres, et le Stabat MaterLa Vierge Marie occupe donc une place d’honneur dans la musique liturgique, et le trésor que constitue la musique sacrée s’est enrichi au fil des siècles et selon différentes influences.

Les sources et développements de la musique mariale

Si la musique mariale est ancrée dans la tradition du chant grégorien, il existe une autre source, profane, véhiculée par la chanson populaire, les deux traditions s’enrichissant l’une l’autre. D’autre part, la musique mariale fut à l’origine vocale, mais elle s’ouvrit ensuite grâce à la polyphonie à la musique instrumentale, et en particulier, surtout à partir du XVe s, à l’orgue.

 (NB : pour entendre les illustrations musicales, cliquez sur  )

La musique mariale à ses débuts

La littérature chrétienne d’Orient a permis l’émergence de la musique byzantine, géorgienne et grecque, grâce à de très grands hymnographes et poètes tels que St Ephrem le Syriaque, Docteur de l’Église (IVès) , st Romain le Mélode (VIès), st André de Crète (VII-VIIIès) et beaucoup d’autres, qui ont beaucoup composé pour la Vierge Marie.

En Occident, le chant grégorien a permis le développement de la musique liturgique: c’est en effet le saint pape Grégoire le Grand qui, dès le VIè siècle, a recueilli et codifié d’anciennes mélodies. Le chant grégorien a suscité de très nombreuses séquences, tropes proses, hymnes plus ou moins liés à la musique populaire, dont un grand nombre est destiné à célébrer la Vierge Marie. Le répertoire du grégorien comprend également des messes, dont deux sont consacrées à la Vierge Marie.

Les XIè et le XIIè s sont riches en œuvres mariales, grâce à Pierre Abélard, philosophe et musicien, qui a composé plusieurs hymnes mariales , dont le Mater salvatoris , par exemple, et Hildegarde de Bingen, qui a composé plus de soixante-dix chants liturgiques, hymnes et séquences, dont un bon nombre sont dédiés à la Vierge Marie [4] .

L’art vocal médiéval est passé peu à peu du stade monodique au stade polyphonique : on passe ainsi de l’ars antiqua à l’ars nova, nouvelle façon de composer la musique en combinant ensemble des lignes musicales tant du point de vue du rythme que des intervalles, au sein de l’école de Notre Dame[5] , développée par les deux compositeurs Léonin et Pérotin. Au XIVès, le poète et compositeur Guillaume de Machaut nous offre la Messe de Nostre-Dame , messe polyphonique à quatre voix, caractéristique de cet Ars nova.

D‘autre part, dès le XIès naissent de nombreuses nouvelles séquences et pièces liturgiques célébrant la Vierge Marie : Le Salve Regina[6] en est un exemple. Cette antienne célèbre la Vierge Marie comme Reine, mais également comme Mère de miséricorde. Dans la seconde moitié du XIIès la Vierge Marie commence à être vénérée sous le vocable de Notre-Dame, sous l’influence de l’esprit courtois, et au XIIIès apparaissent de nouvelles séquences : Ave gloriosa virginum Regina, et le Stabat Mater[7], fruit d’une dévotion à Notre-Dame des Douleurs, œuvre du franciscain Jacopone da Todi. C’est également au XIIIès que naissent une littérature narrative et des pièces paraliturgiques telles que les Miracles de Notre Dame de Gauthier de Coincy, et que se développe le ‘motet’. Petite composition musicale à une ou plusieurs voix, le motet comporte ou non un accompagnement instrumental. Les motets polyphoniques vont s’appuyer sur des pièces de musique religieuse, composées sur des textes latins ne concernant pas l’office -antienne, hymne, offertoire, psaume, répons. Ils vont également mettre en musique des prières : Josquin-des-prés, par exemple, l’un des grands représentants de l’école franco-flamande à la Renaissance, va composer de nombreux motets pour célébrer la Vierge Marie , ainsi que deux  messes qui lui sont dédiées. Le motet va connaitre un immense essor à partir de la Renaissance, âge d’or de la polyphonie sacrée.

La musique mariale vocale et instrumentale à partir de la Renaissance

Avec la Renaissance vont se développer et se complexifier les compositions polyphoniques, dans le creuset formel vocal du motet ou dans les messes composées en l’honneur de la Vierge Marie. C’est, nous dit N.Dufourcq

« entre Gand, Paris et Reims que s’ébauchent les grandes lois qui aboutiront, au XVIès, à l’épanouissement du plus pur art polyphonique »[8].

À l’occasion des principales fêtes mariales (Immaculée Conception, Purification, Annonciation…) sont composés de nombreux motets à quatre, voire huit voix. Le cantique du Magnificat[9], composé de dix versets, donne lieu à des compositions où alternent l’écriture en faux-bourdon[10] et l’écriture polyphonique et le Magnificat devient un véritable genre musical. Certains sont composés sur un motif grégorien, ou d’après des chansons, des madrigaux ou des motets. Le Stabat Mater qui met en scène la douleur de la Vierge Marie au pied de la croix, devient également un genre musical : dès la Renaissance, il donne lieu à de magnifiques compositions:  Palestrina , Roland de Lassus ...

Le succès du madrigal spirituel, l’invention du récitatif et le goût de la théâtralité vont faire évoluer la musique mariale vers un style concertant, baroque, langage caractérisé par la généralisation du récitatif, qui se développera dans l'oratorio et la cantate sacrée, et s’affranchira peu à peu du seul domaine strictement liturgique. Cette esthétique, dont Monteverdi  est l’initiateur, culmine avec Jean Sébastien Bach, dont les compositions sont pour la plupart tirées de textes en langue vernaculaire, sous l’influence de la pensée réformée. Son Magnificat  fut composé pour la fête de la Visitation de la Vierge Marie, entre 1728 et 1731.

La musique dite classique, qui débute au milieu du XVIIIe siècle et se termine vers 1820, offrira des pièces consacrées à la Vierge Marie, de Mozart (Dixit et Magnificat , par exemple), de Haydn (messe en l’honneur de la Vierge Marie ♪ …etc. L’estompement du sentiment religieux à partir de la fin du XVIIIès aura bien sûr des conséquences sur la musique mariale. Les musiciens romantiques, en Allemagne, en France et en Italie célèbreront la Vierge Marie selon le goût caractéristique de cette époque, et l’on voit apparaître dans la seconde moitié du XIXès de nombreux oratorios. Des prières mariales sont même intégrées dans l’opéra (l’Ave Maria intitulé ‘Preghiera di Desdemona  dans l’Otello de Verdi, par exemple) ou sous la forme du lied, comme l’Hymne à la Vierge de Schubert, mieux connu sous le nom d’Ave Maria (1825). Ces pièces témoignent de la distinction qui s’opère largement entre musique religieuse ou sacrée et musique liturgique.

Parmi les musiciens post-romantiques qui ont influencé tout le début de la musique française au XXès, plusieurs ont composé des œuvres dédiées à la Vierge Marie, dont l’esthétique redonne une subtile intériorité à la musique sacrée : Fauré, par exemple, qui sera le professeur de Debussy et de Ravel a composé quelques œuvres mariales, dont un Salve Regina .

De nombreux compositeurs des XX et XXIès ont honoré la Vierge Marie: André Caplet a composé un triptyque sur les mystères du Rosaire intitulé Le Miroir de Jésus  , en 1924; Igor Stravinsky (1882-1971), un Ave Maria en 1934 ; Poulenc , un  Stabat Mater en 1950; plus près de nous, le compositeur polonais Krzysztof Penderecki et son Magnificat  (1974); Arvo Pärt , compositeur estonien, auteur de plusieurs magnifiques œuvres mariales : un Stabat mater en 1985, un Magnificat en 1989, un Salve Regina  en 2001; Philippe Hersant a composé les Vêpres de la vierge en 2014, Yves Castagnet et Jean-Charles Gandrille un Magnificat  , Yves Castagnet la Messe "Salve Regina" pour chœur, soli et 2 orgues (2002-2007) ; Olivier Latry un Salve Regina pour orgue et voix (2007) , etc.

Enfin, l’un des grands compositeurs contemporains de chants liturgiques, le père André Gouzes, a consacré de nombreuses œuvres à la Vierge Marie et conjugue dans ses œuvres la richesse de différentes traditions.

Entrons donc plus avant dans ce monde de la musique mariale…


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Organisation de la section

Le thème est organisé selon une perspective chronologique : la première section présente tout d’abord les poètes et hymnographes de la musique byzantine, géorgienne et grecque, puis, en Occident, le chant grégorien et la place qu’y occupe la Vierge Marie dans la liturgie; l’arrivée de la polyphonie va bouleverser l’écriture de la musique, et les compositions polyphoniques vont se complexifier et se développer à la Renaissance,offrant de nombreuses compositions mariales. La musique baroque va célébrer la Vierge Marie dans un langage particulier et des thèmes de prédilection, et l’étude consacre un article à Jean- Sébastien Bach  qui recense ses œuvres mariales, écrites soit en langue vernaculaire (cantates composées à l’occasion de fêtes liturgiques), soit en latin. L’étude continue avec la place de la musique mariale dans la musique classique, pour aborder ensuite l’époque romantique et post-romantique et son esthétique si particulière, qui a produit quelques chefs-d’œuvre. Enfin, c’est par l’étude de la  musique des XXè et XXIès que se termine cette brève histoire de la musique mariale. La section se clôt sur la musique mariale pour orgue.

Isabelle Rolland