Philosophes du Moyen Age (Avicenne et Averroès), Aristote, et les philosophes chrétiens

Philosophes du Moyen Age (Avicenne et Averroès), Aristote, et les philosophes chrétiens

Pendant le Moyen Age, les philosophes musulmans (Avicenne, Al Gazali, Averroès) lurent Aristote et l'interprétèrent à leur manière.

Par le biais des traductions latines d'Aristote auxquelles Averroès ajoutait ses commentaires, ces philosophies arabes entrèrent en dialogue avec les philosophies des chrétiens, notamment saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure.

Avicenne (980-1036)[1]

Avicenne (né en Perse Orientale, actuel Iran). La philosophie d'Avicenne est pour l'essentiel celle d'Aristote, avec ses notions d'acte et de puissance (la puissance est une possibilité d'agir), de matière et de forme, d'essence et d'existence (l'essence est ce qui demeure dans l'être au travers des différentes contingences ou « accidents »). Dieu, comme pour Aristote, est l'Acte pur et le premier Moteur, il est surtout le seul être dont l'essence est identique à l'existence.

Il faut noter une thèse originale sur l'intelligence :

L'intelligence humaine établit l'union entre le monde matériel et le monde céleste grâce à ses cinq degrés qui sont :

- L'intelligence matérielle (la faculté humaine).

- L'intelligence possible : la faculté humaine munie des tout premiers principes intellectuels.

- L'intelligence en acte (premier) : la faculté disposée à agir, parce qu'elle possède l'idée et la science.

- L'intelligence acquise, c'est à dire l'intelligence en acte second.

- Une faculté intuitive d'ordre mystique appelée par Avicenne l'Esprit Saint, parce qu'elle unit l'âme à Dieu.

Or chacune de ses intelligences requiert, pour passer à l'acte, l'influence d'un intellect agent : celui-ci est séparé et fait partie du monde céleste.

Saint Thomas d'Aquin connaissait les traductions latines des écrits d'Avicenne.

Algazel ou Al Gazali (1058-1111)[2]

Né en Perse Orientale (actuel Iran), Algazel pense que la création a eu lieu dans le temps, et Dieu crée immédiatement l'être et même l'agir des créatures. Algazel ou Al Gazali a une philosophie très proche du fatalisme et du prédestinatianisme encore très présent chez les musulmans.

Averroès (1126-1198)[3]

Né à Cordoue, Averroès, ou Ibn Roschd, jouit longtemps de la faveur des califes espagnols, jusqu'au jour où l'un d'eux, choqué par ses opinions, l'envoya en exil où il mourut.

D'un point de vue musulman, pour concilier ces thèses avec l'enseignement musulman, Averroès explique que le coran comporte trois interprétations :

- Pour le peuple, qui se contente du sens obvie.

- Pour le théologien, qui cherche le sens mystique.

- Pour le philosophe : en cas de contradiction entre le texte et les preuves philosophiques, ce sont les preuves qui prévalent et il faut interpréter le texte allégoriquement.

D'un point de vue philosophique, Averroès reprend les grandes lignes du philosophe arabe Avicenne, qui s'était lui-même inspiré Aristote.

Mais Averroès durcit Aristote et ajoute ses propres thèses :

- L'éternité nécessaire de la création. Non seulement Averroès reprend les démonstrations d'Aristote sur l'éternité du mouvement, mais il étend la thèse à la matière première.

- La négation de la Providence. Dieu ne connaît nullement le monde. Il n'en est pas la source mais seulement la cause finale. Toute l'évolution des êtres est soumise à la nécessité physique des lois naturelles.

- L'unité de l'intelligence humaine (Averroès enseigne une dépersonnalisation de l'homme). Non seulement l'intellect agent, mais la partie spirituelle de l'intelligence humaine est nécessairement unique pour tous les hommes. Les variations que nous constatons sont dues à la vie matérielle et sensible. L'intelligence acquise est la raison impersonnelle en tant que participée par l'être personnel. Seule la race humaine, concentrée en cette unique intelligence, est immortelle, elle est aussi éternelle comme l'univers.

Or, les premières traductions latines d'Aristote (utilisées pour l'enseignement des théologiens chrétiens à Paris) s'accompagnaient des commentaires d'Averroès, parfois mêlées au texte. C'est pourquoi l'Eglise a réagi.

L'averroïsme et le monde chrétien

Entrée autour de 1230 dans le monde chrétien, l'œuvre d'Averroès est connue par le biais des textes d'Aristote qu'elle accompagne. Un professeur, Siger de Brabant (vers 1235-1284), diffuse l'averroïsme à la Faculté des arts de Paris.

L'averroïsme, comme nous venons de le lire, est en contradiction avec les dogmes de la Création, de la Providence et de la liberté humaine, il est entraîne aussi la négation de l'immortalité personnelle et avec elle la négation du péché et de la responsabilité individuelle du pécheur.

C'est pourquoi Étienne Tempier, évêque de Paris, condamne en 1270 et 1277 l'averroïsme enseigné à la faculté des arts de Paris.

Des grands professeurs démontrent l'illusion philosophique de l'averroïsme.

- Saint Albert le grand enseigne Aristote épuré des commentaires arabes. Il eut pour disciple est saint Thomas d'Aquin.

- Saint Thomas d'Aquin,

Pour saint Thomas, l'éternité du monde n'est pas nécessaire, elle n'est pas absurde non plus).

Saint Thomas écrit De unitate intellectus (1270) contre l'averroïsme des maîtres de la faculté des arts (notamment contre Siger de Brabant). Notamment, il rappelle le bon sens : chacun a conscience de soi, chacun a une volonté ; l'intelligence n'est pas unique et éternelle mais elle est créée par Dieu pour chaque individu. Dieu est créateur et l'homme est responsable.

- Saint Bonaventure donne à l'averroïsme une réponse qui, sans avoir l'ampleur du système thomiste, possède une ouverture à la vie mystique. Il explique comment Dieu se manifeste dans le monde créé (exemplarisme) et comment nous pouvons aller vers lui, volontairement.


[1] F.-J. Thonnard, A.A., Précis d'histoire de la philosophie, Desclée, Paris, 1966, p. 264-267

[2] F.-J. Thonnard, A.A., Précis d'histoire de la philosophie, Desclée, Paris, 1966, p. 268

[3] F.-J. Thonnard, A.A., Précis d'histoire de la philosophie, Desclée, Paris, 1966, p. 268-271


Françoise Breynaert

St Bonaventure philosophe (une réponse à Averroès)