Les quatre cordes du coeur


Docteur de l'amour, Thérèse de Lisieux compare souvent son cœur à une lyre dont Jésus fait vibrer les cordes. Au long du témoignage de ses manuscrits, nous comprenons qu'il y a quatre cordes à l'amour : Amour sponsal (Dieu comme époux), amour filial, amour fraternel, amour maternel. Aimer avec ces « quatre cordes », c'est « aimer de tout son cœur ».

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L'importance du témoignage des saints

D'autres saintes ont aussi parlé de ces dimensions de l'amour : Claire d'Assise dit à Agnès :

« Vous êtes épouse et sœur et mère de mon Seigneur Jésus-Christ »[1].

 Catherine de Sienne écrit à l'un de ses disciples

« Mon très aimé et très cher père et frère et enfant dans le Christ Jésus »[2]

 La conception athée et matérialiste de l'homme moderne refuse Dieu et refuse aussi ces « cordes » de l'amour : refus de la sponsalité (refus du mariage), refus de la maternité, refus de la filiation. Il reste seulement une inconsistante fraternité.

C'est ici sans doute que le témoignage des saints est capital, car ils sont « au-delà de tout soupçon ». L'amour sponsal est exprimé avec une parfaite pureté, sans la moindre ombre de sentimentalisme ou de sensualité. De même l'amour filial va pourvoir apparaître comme une véritable enfance spirituelle, sans aucun infantilisme. En rapport avec cet amour filial, l'amour paternel ou maternel seront présentés de façon exacte, sans ces défigurations du père castrateur qui opprime ou de la mère possessive qui infantilise.

L'amour sponsal et la virginité

L'amour sponsal a un caractère exclusif. Dans le mariage, l'amour de Jésus inclut l'amour du prochain (l'époux, l'épouse) mais d'un unique prochain. Dans la vie consacrée, l'amour sponsal symbolise exclusivement l'amour de Jésus, de « Jésus seul », selon l'expression typique de Thérèse de Lisieux.

L'amour sponsal est l'essence même du vœu de chasteté.

« Jésus s'est appelé lui-même l'Époux, lui en qui Dieu a épousé virginalement notre humanité par l'action de l'Esprit Saint dans le sein virginal de Marie. Jésus a épousé virginalement l'Église dans sa mort et sa résurrection, par l'action du même Esprit dans son côté virginal. Plus que jamais, il faut insister sur la virginité, virginité maternelle de Marie, virginité sponsale de Jésus. »[3]

Dans l'Écriture, la plus haute expression de la sponsalité virginale est le Cantique des cantiques, selon son interprétation christologique (depuis Origène) ; Thérèse de Lisieux l'aimait particulièrement. L'auteur du livre de la Sagesse écrit (au sujet de la Sagesse) :

« J'ai désiré la prendre comme Épouse, je suis devenu amoureux de sa Beauté »[4].

C'est l'une des plus belles inculturations de la Révélation biblique dans le monde grec.

Thérèse de Lisieux écrit :

« Je suis ton épouse chérie,

Mon Bien-Aimé, viens vivre en moi

Oh ! Viens, ta Beauté m'a ravie

Daigne me transformer en toi ! »[5]

Saint Jean de la Croix et Thérèse d'Avila mettent davantage l'accent sur le « mariage spirituel » comme pleine réalisation de la sainteté.

Chez Thérèse de Lisieux, l'accent est mis sur le déjà là du mariage spirituel, il s'agit de donner dès le départ à Jésus cette « corde sponsale », et le vocabulaire de l'amour sponsal n'est pas réservé aux saints, il appartient à tous les consacrés qui doivent l'utiliser pour grandir dans l'amour et devenir saint.

Elle écrit à un séminariste :

« Ces vers vous feront plaisir. Votre âme n'est-elle pas la fiancée de l'Agneau divin et ne deviendra-t-elle pas bientôt son épouse, le jour de votre ordination au sous-diaconat ? [qui inclut l'engagement dans le célibat] »[6].

La bienheureuse Dina Bellanger écrit :

« Le Don de Dieu pour les âmes consacrées, c'est le Cœur de l'époux »[7]

Le privilège de la femme, c'est qu'elle se dit immédiatement « l'épouse de Jésus », alors que l'homme doit utiliser cette abstraction symbolique « l'âme épouse »[8].

L'amour maternel

Catherine de Sienne en son temps était appelée la « Mamma ». C'est l'amour maternel qui permet d'aimer encore plus le prochain, alors que tous ses défauts et pauvretés se manifestent. Quand elle écrit au pape, elle est autant maternelle que filiale...

Et Thérèse de Lisieux écrit :

« Je suis vierge, ô Jésus ! Cependant quel mystère

En m'unissant à toi, des âmes je suis mère »[9]

Lors que nous parlons de Marie "mère de l'Église", c'est cette dimension de l'amour qui est évoquée.

L'amour filial

Le père Lethel explique :

« Il existe un lien très profond entre la sponsalité et l'enfance spirituelle. L'épouse de Jésus épouse principalement sa filiation, elle devient enfant de Dieu dans le Fils unique. »[10]

En Jésus, l'amour filial s'adresse principalement à la Personne du Père, mais non exclusivement, car il s'étend aussi à Marie sa Mère, et à Joseph son père légal : « Il leur était soumis » (Lc 2, 51)

C'est là une réalité à retrouver en profondeur par rapport à Dieu, par rapport à Marie, à l'Église et finalement par rapport à tous, selon l'expression de saint François :

« nous étions soumis à tous. »[11]

L'amour fraternel

« L'amour fraternel est essentiellement lié à l'amour filial. Jésus est « l'aîné d'une multitude de frères ».[12]

C'est ainsi qu'il déclare à Marie-Madeleine après la Résurrection :

« Va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père »[13] .

En Jésus, la fraternité exprime l'égalité foncière de tous les hommes. Le titre de Père donné à un membre de l'Église ne doit jamais effacer celui de frère, car « vous êtes tous frères », nous rappelle Jésus (Mt 23, 8). »

Thérèse de Lisieux a été très loin dans l'amour fraternel. Dans son dernier manuscrit, elle écrit encore :

« Cette année... le bon Dieu m'a fait la grâce de comprendre ce que c'est que la charité, avant je le comprenais, il est vrai mais d'une manière imparfaite »[14]

 

Source :

 F-M Léthel, Théologie de l'amour de Jésus, Editions du Carmel 1996, p. 196

 


[1] Claire, 1° lettre à Agnès, n° 12

[2] Catherine de Sienne, Lettre 225. Ce disciple est prêtre : ce qui écarte le paternalisme lié au cléricalisme car ce prêtre n'est pas seulement père, il est aussi frère et enfant.

[3] F-M Léthel, Théologie de l'amour de Jésus, Editions du Carmel 1996, p. 188

[4] Sg 8, 2

[5] Poésie 25, 8

[6] Thérèse de Lisieux, Lettre 82

[7] Dina Bellanger, Autobiographie, éditions religieuses de Jésus-Marie, Québec 1995, p. 206

[8] F-M Léthel, Théologie de l'amour de Jésus, Editions du Carmel 1996, p. 191

[9] Thérèse de Lisieux, Poésie 24, 22

[10] F-M L

 

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Pour en savoir plus

-sur ste Thérèse de Lisieux (1873-1897), Docteur de l’Église, dans l’Encyclopédie mariale