Alcuin (740-804) et la maternité divine

Alcuin (740-804) et la maternité divine

Alcuin (+ 804) s’est vu confié sa mission d’enseignement par Charlemagne, et il eut un grand rayonnement sur l’école carolingienne du sanctuaire de Fulda (Allemagne). Il eut comme disciple Raban Maure qui développa cette même école.

Le danger de l'adoptianisme

Au VIIIe siècle, un des dangers les plus graves qui menaçait la pureté de la foi ecclésiale venait de l'Espagne, où une nouvelle forme d'adoptianisme enseignait que le Christ ne fût pas le Fils naturel de Dieu mais un simple fils adoptif.

Dans ce cas, on n'adore plus Jésus, Dieu semble lointain, et le salut n'est pas donné !

Ce n'est pas l'Evangile.

La réponse d'Alcuin

Commentant l'Evangile de saint Jean, Alcuin explique que le Verbe n'a pas perdu son éternité quand il a voulu devenir homme dans le temps :

« L'évangéliste bienheureux, pour montrer en Christ la propriété d'une personne seule affirme :

"Le Verbe s’est fait chair" (Jn 1, 14) ;

le Verbe qui était auprès de Dieu avant que le monde soit et par qui tout fut créé,

le Verbe qui n'a pas perdu son éternité quand il a voulu devenir homme dans le temps,

en assumant l'humanité dans un corps virginal.

Cette Vierge a fait que l'homme qui vient dans le temps devienne ce qu'il était depuis toujours : le Fils de Dieu : d'une part né avant les temps, d'autre part né dans le temps, mais afin que notre Seigneur Jésus Christ soit un unique et parfait Fils de Dieu.

Prenant une image, Alcuin explique que la Vierge Marie a absorbé la couleur pourpre de la divinité quand sur elle est descendu l'Esprit Saint et qu’elle fut recouverte de l'ombre du Très-haut:

« La bienheureuse Vierge Marie en gardant l'intégrité de son corps, l'a engendré Dieu et homme. Elle, plus blanche que la laine, splendide dans sa virginité et incomparable à aucune autre vierge sous le ciel, fut si extraordinaire et si grande qu'elle devint la seule qui put accueillir en son sein la divinité.

En effet comme la laine s'imbibe du sang de la cochenille afin que la pourpre, faite de cette même laine devienne digne d'une majesté impériale - en effet celui qui la revêt exclusivement est digne de la majesté impériale, - de la même façon, quand l'Esprit Saint descendit sur la bienheureuse Vierge, la puissance du Très Haut étendit sur elle son ombre pour que la laine resplendît de la couleur rouge pourpre de la divinité et fut vraiment digne d'être revêtue par l'éternel Empereur.

De cette façon, la bienheureuse Vierge Marie est devenue aussi bien Théotokos que christotokos. En effet même si avant elle, dans le peuple il a y eu des "christotokai", c'est-à-dire des mères de christ-messies, cependant elles ne sont pas restées vierges et elles n’ont pas été ombragées par l'Esprit Saint ni par la puissance du Très-Haut, de sorte d'être trouvée dignes d'engendrer Dieu. Marie par contre n'est pas seulement christotokos ; elle est la seule Théotokos ; c'est la seule vierge qui, en concevant par l’œuvre de l'Esprit Saint et de la puissance du Très-Haut, a reçu une si grande gloire à donner le jour à Dieu, c'est-à-dire au Fils de Dieu, coéternel et consubstantiel au Père.

Marie est vierge avant l’enfantement, pendant l’enfantement et après l’enfantement.

En effet, il convient que Dieu qui en naît augmente le mérite de la chasteté, pour que l'intégrité ne fût pas violée par l'arrivée de celui qui serait venu pour guérir ceci qui il était corrompu.

Du reste, il ne dédaigna pas d'entrer dans un sein virginal resserré celui qui règne sur les cieux, qui remplit l'immensité de la création entière et à la naissance duquel les troupes d’anges descendirent pour chanter : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes de bonne volonté." (Lc 2,14). »

Alcuin, De fide sanctae et individuae Trinitatis 3, 14, PL 101, 46-47

En commentant les paroles de Jésus à sa mère à l'occasion des noces de Cana, Alcuin met bien en évidence, par la doctrine christologique des deux natures, le rapport qui relie le Sauveur à sa Mère :

« Il ne jette pas le discrédit sur sa Mère, lui qui nous ordonne d'honorer le père et la mère ; et il ne nie pas qu'elle est sa Mère, dès lors qu’il ne se refusa pas de prendre chair de sa chair...

Mais quand, sur le point d'opérer un miracle, il dit : "Qu'il y a entre moi et toi, femme ?" (Jn 2,4) le Christ entend signifier qu'il n'a pas pris de celle qui est sa mère dans l'ordre temporel le principe de sa divinité par lequel il allait opérer le miracle, mais qu'il l'a reçu depuis l'éternité de son Père.»

Alcuin, In Joannem, I, 2, 3-4, PL 100, 766-767

En termes très clairs, Alcuin entend donc préciser que Marie est vraie Mère de Dieu parce qu'elle a donné une nature humaine au Fils éternel du Père ; mais que d'autre part, elle n'a rien à voir avec l'origine divine et éternelle de ce Fils.

Cependant, en faisant allusion à la scène du Calvaire (Jn 19, 25-27), l'auteur complète sa pensée :

« Mais l'heure viendra où il montrera ce qu'il a en commun avec la Mère lorsque, mourant sur la croix, il remettra la Vierge au disciple vierge

Alcuin, In Joannem, I, 2, 4, PL 100, 767 A

De la vraie foi jaillit l'amour personnel

La contemplation de Marie mère de Dieu conduit Alcuin à une attitude respectueuse et confiance envers Marie. Alcuin a une dévotion personnelle touchante, en voici de très beaux exemples :

« Tu es mon doux amour, mon bijou, le grand espoir de mon salut.

Aide ton serviteur o Vierge glorieuse.

Ma voix résonne entre mes larmes ; mon cœur brûle d'amour.

Prête attention aussi aux prières de tous mes frères qui t'implorent : O Vierge, tu es pleine de grâce ; par ton intermédiaire, que la grâce du Christ puisse nous sauver. »

Alcuin, PL 101, 771 B

« Puissent la dévotion et l'honneur rappeler ta mémoire en ce lieu, Reine du ciel, toi qui es le plus grand espoir de notre vie.

Regarde avec ton habituelle pitié les fils de Dieu qui t'invoquent, o Vierge très humble.

Dans ta clémence, prête toujours attention à nos supplications et diriges avec tes prières nos jours partout et toujours. »

Alcuin, PL 101, 749


Sources :

GAMBERO Luigi, Maria nel pensiero dei teologi latini medievali, ed San Paolo, 2000, p. 61-67