La suite du livre d'Isaïe (Is 40-55)

Le 2° Isaïe

Le second Isaïe comporte les chapitres 40-55 d’Isa?e, et sont datés de la fin de la période de l’exil (entre 550 et 538).

L'amour transfigure la situation des exilés :

1) L'exil, si humiliant, s'illumine d'une mystérieuse tendresse. Dieu semble silencieux. Le second Isaïe porte la révélation que ce silence est un silence d'amour et que cet amour transfigure la vie bien misérable des exilés. C'est l'amour d'une mère devant les balbutiements de son petit.

La présence du Seigneur et sa tendresse sont telles qu'Israël va revivre (Is 41,13-15).

« Car tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t'aime. » (Is 43,4)

« Une femme oublierait-elle son enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas. » (Is 49,15)

Venant de la personne que l’on aime le plus, les offenses prennent des proportions énormes, et les gestes de bonté aussi. Nous n'avons pas la mesure de l'Alliance.

L’Amour brouille les cartes, il y a disproportion :

La disproportion joue dans le sens de l’exigence :

« Vous avez reçu double punition. » (Is 40,2)

Elle joue aussi dans le sens de la réconciliation :

« C'est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d'Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre. » (Is 49,6)

Le péché est effacé gratuitement par la tendresse de Dieu pour l’homme, il ne nous écrase pas :

« J’ai dissipé tes crimes comme un nuage... » (Is 44,22)

Le second Isaïe debout face au proto-mazdéïsme de Cyrus :

Cyrus, roi des Perses, ne prend pas au sérieux les autres divinités, son dieu est Mazda, la lumière de la science et de la philosophie*, sa religion est un monothéisme (un seul Dieu), abstrait, et qui prétend rassembler les politiques, les scientifiques, les artistes, les moralistes…

Cyrus se présente à Babylone comme l'envoyé du dieu babylonien Marduk, pour apporter le salut, et il soumet Babylone sans une goutte de sang, et sans détruire les temples.

Peu après, Cyrus propose aux Hébreux de rentrer chez eux, sans doute pour faciliter son approvisionnement sur la route de l'Egypte.

Le second Isaïe, qui a gardé les intuitions du premier Isaïe, Dieu saint, maître de l’histoire, ose prendre Cyrus à son jeu et déclare que Cyrus est le serviteur de YHWH, son messie (Is 45,1). Mais le seul vrai Dieu, le Dieu vivant, est le Dieu qui aime et fait Alliance, YHWH.

Dieu est Créateur et Sauveur, Sauveur parce que Créateur... (Is 40-44)

« Ma main a fondé la terre » (Is 48,13)

« N’est-ce pas toi qui a fendu Rahab » - c’est le geste créateur dans la mythologie babylonienne- « et...Qui a fait du fond de la mer un chemin pour que passe les rachetés » - c’est un rappel de l’Exode Sauveur. (Is 51,9)

« Ton créateur est ton époux, YHWH Sabaot est son nom, le Saint d'Israël est ton Rédempteur, on l'appelle le Dieu de toute la terre. » (Is 54,5)

Face au « mazdéïsme », le 2e Isaïe affirme pour la première fois que YHWH, le Dieu personnel de l’alliance, non seulement est le seul Dieu qu’Israël adore, mais c’est le seul Dieu qui existe.

« Les idoles n’existent pas »

(Is 41,24)

Mazda est une construction de l’homme, une idole au service d’un système, d’un empire.

Au contraire, YHWH est une Présence qui est comme un étendard exposé à la face des nations.

Le peuple ne peut pas expliquer le drame de l’exil, il peut seulement le raconter et témoigner à la face du monde qu'on peut garder la foi même quand Dieu est silencieux, même quand on ne sait plus quelle est la dimension du péché et de l'amour.

La blessure d’Israël elle aussi est exposée, avec sa foi, son Amour et « les rois resteront bouche bée. » (Is 52,15).

Le retour au pays :

Les exilés rentrent alors au pays, grâce à l’intervention de Cyrus, mais ils reviennent sans gloire. Au pays, on les croyait d’abord punis. Or ils apportent la révélation du monothéisme et d’une théologie où l’amour divin transfigure tout acte… Ils sont une lumière !

Ce retour d'exil est un nouvel Exode qui s’annonce, des sources jailliront du désert qui refleurira (Is 41,17-20). Pendant le premier Exode, Dieu a agit avec de petits moyens, maintenant c’est avec des débris... Il recrée à partir de rien !

C’est un Exode nouveau, inédit, inouï :

« Voici que je fais toutes choses nouvelles »

(Is 43,19)

« Je t'ai fait entendre dès maintenant des choses nouvelles, secrètes et inconnues de toi. C'est maintenant qu'elles sont créées, et non depuis longtemps, et jusqu'à ce jour tu n'en avais pas entendu parler, de peur que tu ne dises : Oui, je les connaissais. »

(Is 48,6-7)

Un nouveau regard sur les nations paiennes :

Puisque YHWH é guidé Cyrus, puisqu'il est le Roi des rois qui prend à son service Cyrus sans qu’il le connaisse (Is 45,1-7), puisqu'il est le Dieu unique, alors c'est Lui que les paiens recherchent sans le savoir.

Il devient possible de considèrer chez les peuples païens une attitude d’ouverture, qui peut conduire au vrai Dieu. Dieu appelle toutes les nations à se tourner vers lui (Is 45,22).

Cette tradition se retrouvera ensuite dans le livre de Ruth, ou encore dans la manière dont les livres de sagesse ont intégré des éléments de la sagesse grecque.

Les poèmes du serviteur :

- Dans le premier poème, le Serviteur est appelé l’élu. (Is 42,1)

Contrairement aux prophètes, il « n’élève pas le ton » (Is 42,2). Il « expose le droit », pour la terre (Is 42,1.4).

Mais les îles aussi (le monde entier) attendent sa loi : « Je t’ai façonné et donné comme alliance du peuple, comme lumière des nations » (Is 42,6) ; mais rien ne dit que son rôle de lumière des nations soit à entendre comme s’il devait universaliser l’alliance elle-même.

Le serviteur dessille les yeux des Israélites pour qu’ils ne restent pas dans leurs péchés ni dans un pessimisme sans espérance.

Et il libère les prisonniers, la prison n’était pas la condition des exilés, mais une fois revenus en Judée, sous l’administration samaritaine qui exploitait leur misère au nom du suzerain babylonien, la métaphore de la prison n’était pas trop forte.

- Dans le second poème, le Serviteur a pour mission de restaurer les tribus de Jacob et de ramener les préservés d’Israël (Is 49,5). La réussite de cette double tâche va révéler la gloire de Dieu à toutes les nations (Is 51,5.7.10).

Pour une part, le petit oracle d'Is 49,7 décrit l’épreuve qui frappe le serviteur , « abominable à la nation, esclave des despotes » : on peut songer à la honte collective des exilés, on peut songer aussi à une épreuve personnelle du chef des rapatriés, quand des fonctionnaires officiels furent soudoyés pour faire échec aux projets de chefs juifs à l’instigation des despotes locaux (cf. Esd 4,4-5).

L’autre oracle (49,8-9) console le serviteur en annonçant un retournement de la situation.

- Dans le troisième poème (Is 50,4-9a et 50,10-11) la persécution est devenue ouverte, elle s’est abattue aussi sur les rapatriés et leur chef est envoyé soutenir ceux qui sont épuisés (Is 50,4). Le chef invite à se confier en Dieu (50,10) et menace les adversaires (50,11).

- Les versets Is 55,3-5 sont la seule allusion à l’espérance d’un roi issu de David.

- Le quatrième poème, Is 52,13 à 53,12, révèle que la souffrance et la mort du Serviteur ont un sens dans le dessein de Dieu, elles vont obtenir le pardon des pécheurs qui n’avaient pas pu jusque là être libérés du poids de leurs fautes.

« Compté parmi les criminels » peut signifier simplement victime d’un injuste procès.

« Se livrant lui-même à la mort » peut signifier simplement qu’il accepte l’éventualité de la mort sans dévier sa mission.

« Si lui-même, en personne, offre un sacrifice de réparation, il verra un lignage, et la volonté de YHWH réussira grâce à lui. » (Is 53,10)

Les versets (53,1-11b) racontent la mort et l’ensevelissement du Serviteur, un drame récent. Le prophète fait corps avec la foule, son discours est en même temps une confession des péchés d’Israël et une invitation à espérer.

Relectures et interprétations des chants du Serviteur :

Sous la domination grecque, dans la Septante, le peuple Juif fera une relecture collective des chants du Serviteur : ce Serviteur souffrant, fidèle à la Loi, c’est tout le peuple.


Le Nouveau Testament attribue les poèmes du Serviteur à Jésus-Christ.

Mt 12,17-21 reprend Isa?e 42,1-4 ;

Mt 8,17-21 cite Isa?e 53,4a ;

L’hymne 1 P 2,21-25 paraphrase Isa?e 52,13-53,12 ;

Cf. aussi Ga 2,20 ; 1Co 15,3-4 ; 2Co 5,14 –6,2 Rm 4,24-25 ; He 9,26 etc…


* Avec Cyrus, on en est encore au proto-mazdéïsme pour lequel le mal est l'absence de lumière. Il suffirait d'éclairer les consciences et le mal disparaitrait. Plus tard, le mazdéisme de Zarathoustra deviendra un dualisme où Mazda engendre deux divinités opposées, le dieu du bien et le dieu du mal. Un tel dualisme influencera encore saint Augustin avant sa conversion.

D'une manière très différente, le courant du judaïsme qui accueillera le Christ explique le mal en disant que l'homme a refusé la Dieu, Dieu s'est retiré, et l'homme se trouve livré au mal inspiré par l'ange déchu ; une rédemption est nécessaire.

Bibliographie :

Cahier de l’Evangile n°20, Le deuxième Isa?e, Cerf, Paris.

Pierre GRELOT, Les poèmes du serviteur, de la lecture critique à l’herméneutique, Ed. du Cerf, 29 bd Latour-Maubourg, Paris, 1981


Françoise Breynaert