L'attente messianique au temps de Jésus

Marie dans le pluralisme juif

Il est temps de faire une synthèse.

Nous l'avons dit, E. Urbach explique que la diversité des idées juives sur la rédemption "ne se limite pas à des nuances de détail mais atteint une opposition".

Les pensées juives exprimées dans les premiers siècles de notre ère avaient déjà leurs adeptes au temps de Jésus et se sont transmises oralement jusque après 70, c'est pourquoi il est possible de faire quelques conjectures et de schématiser l'existence de (deux) types de raisonnements qui ont pu coexister au temps de Jésus.

Les raisonnements sur la "Torah est déjà complète"

Pour les courants « officiels », Dieu ne crée pas à partir de rien, mais à partir du tohu bohu, le chaos ; et Il crée l'homme avec l'esprit mauvais et l'esprit bon.

Le verset du Siracide, (Si 15, 14) est traduit : «l'homme est dans la main de son conseil.» Ainsi, l'Esprit Saint est dans le peuple et dans la majorité du sanhédrin.

Il n'y a plus besoin de prophètes et les miracles, même si on reconnaît leur existence, ne sont pas importants, car tout est donné dans la Torah.

C'est ce courant de pensée qui va dominer le judaïsme après la chute du Temple en l'an 70, mais cette tradition a déjà commencé

désirable, le bien vient de Dieu qui est bon (Ps 136,1) et tou..." class="definition_texte">bien avant (et au procès de Jésus).

La Torah étant complète, immuable, donnée toute entière à Moïse au Sinaï, le salut vient de sa pratique. Les patriarches l'ont pratiquée.

Puisque Dieu a donné sa Torah à Israël, Rien ne peut vraiment le séparer de Dieu. Si Israël pèche, il a le pardon dans le Temple où Dieu maintient sa Shekinah, sa présence. La Shekinah ne quitte pas Israël et celui-ci a tout ce qu'il faut pour interpréter la Torah.

On lit cette opinion par exemple ici :

« Dans lequel j'habite. Choyé est Israël car même s'ils sont impurs, la Shekhinah est au milieu d'eux. Comme il est dit (Lc 16, 16) : habitant avec eux au milieu de leurs impuretés. [...] Rabbi Nathan dit : choyé est Israël parce qu'en tout lieu où ils furent exilés, la Shekhinah fut avec eux... »

(Sifre Nb Pisqa 161, p.222, § 15b)

Le Temple suffit à pardonner les péchés. C'est là qu'officie Zacharie. Mais Jean le Baptiste se distancie de son père, il s'en va baptiser au Jourdain...

On attend "le prophète comme Moise" annoncé par le Deutéronome (Dt 18, 18), mais on n'attend pas que la Shekhinah revienne puisqu'on considère qu'elle est là.

Donc la soif de l'attente messianique n'est pas très élevée, un messie ne "changerait" pas grand chose, on n'attend pas à proprement parler un "Rédempteur" personnel.

Si Jésus prétend pardonner hors du temple et apporter une Torah venue du ciel, il n'est pas reçu. Il est encore moins reçu s'il se présente comme la Shekhinah, la présence de Dieu, de Celui qui EST, et qui descend du Ciel.

Des courants qui attendent "l'ouverture du ciel"

Pour les courants apocalyptiques, ouverts à une révélation du Ciel, Dieu crée à partir de rien.

Le mal, la souffrance et la mort viennent du péché, un péché qui dépasse Israël et tous les hommes, un péché « originel » « mémorial » (mais qui est venu après la création où l'homme a été créé bon, et très bon, Gn 1, 31). Le verset du Siracide Si 15,14 est traduit : « l'homme est dans la main du mauvais ».

Seul Dieu peut guérir cette blessure et vaincre ce Mal (la Torah et le Temple ne suffisent pas). On attend l'ouverture du ciel, l'action divine !

Voici ces textes de cette tendance :

« Et ne souillez pas la terre où vous habitez. L'Ecriture dit que l'effusion de sang rend impure la terre et fait cesser la Shekhinah.»

(Sifre Nb Pisqa 161, p.222 § 15a)

« Le saint, béni soit-il, pleura et dit : Malheur à moi, qu'ai-je fait ! J'ai fait que la Shekinah descende pour Israël, et maintenant qu'ils ont péché, je suis retourné à mon lieu d'origine. »

(Eikhah rabbah 24)

ou encore :

« Il a créé l'homme et lui a dit : Tu peux manger de tous les arbres, mais de l'arbre du bien et du mal, tu n'en mangeras pas. Et il transgressa son commandement.

Ainsi, J'ai désiré qu'il y ait sur terre une habitation comme elle est dans le ciel. Je t'ai commandé une seule chose mais tu ne l'as pas gardée.

Aussitôt, le Saint, béni soit-il, a fait disparaître sa Shekinah...

Ils entendirent la voix d'Adonaï qui marchait dans le jardin parce qu'ils avaient transgressé ses commandements. La Shekinah est partie dans son premier ciel.

Caïn se leva et tua Abel, aussitôt la Shekhinah s'en alla dans le deuxième ciel. J'ai fait sept cieux.

Mais après cela que fit-il ? Il doubla les générations et aux générations mauvaises il opposa les générations bonnes.

Enfin vint Abraham qui se distingua par de bonnes choses. Et le Saint, béni soit-il, descendit du septième ciel vers le sixième. »

(Tanhuma naso 16)

« Lorsque Israël entendit : Tu n'auras pas [d'autre dieu], le mauvais penchant fut extirpé de leur cœur.

Puis ils vinrent à Moïse et lui dirent : Moïse, notre maître, soit un émissaire entre nous, selon les mots : Toi parle avec nous, et nous entendrons. Pour quelle raison devrions-nous mourir ? Quel avantage y aura-t-il à ce que nous périssions ?

Aussitôt le mauvais penchant reprit sa place.

Ils retournèrent alors à Moïse et lui dirent : Moïse, notre maître, ne peut-il se révéler à nous une seconde fois, que ne peut-Il « m'embrasser des baisers de sa bouche... » !

Il leur répondit : Cela ne se produira pas maintenant, mais dans les temps à venir, selon les mots : Et je retirerai de votre chair le cœur de pierre (Ez 36, 26). »

(Cantique rabba I, 2)

Dans la relation entre Dieu et les hommes, qui est une relation d'Amour, quand l'homme pèche, Dieu ne s'impose pas à celui qui le refuse et il se retire. On dit alors que le temple et la Torah sont voilés, ils sont « au Ciel ». On attend donc le dévoilement du pardon (le temple céleste) et de la Torah. Le salut ne peut venir que de l'ouverture du Ciel. (Par respect pour Dieu, les Juifs ne parlent jamais de l'intervention de Dieu mais de l'ouverture du Ciel). C'est pourquoi aussi les prophètes sont valorisés, ainsi que les voix célestes et les miracles qui confirment les prophètes.


La prophétie du Deutéronome : « Je leur susciterai un prophète semblable à toi [= à Mo?se].» (Dt 18,18) donne lieu à une attente d'un véritable "rédempteur" personnel. Il y a parfois deux figures pour le rédempteur. Ces deux figures se confondent finalement en un seul personnage.

On ne met pas l’accent sur les œuvres (la Torah qui définit la justice est en effet voilée aux cœurs enténébrés) : l’homme et la femme méritent par la foi (une foi qui ne va pas sans des bonnes œuvres correspondantes). Nous lisons par exemple :

« Shemaya dit : Elle a suffi la foi dont Abraham leur père a cru en moi pour que je leur fende la mer. Comme il est dit (Gn 15, 6) : "Il crut en YHWH et il le lui compta comme justice". Abtalion dit : Elle a suffi la foi par laquelle ils (les Israélites) ont cru en moi pour que je leur fende la mer. Comme il est dit (Ex 4, 31) : "Le peuple crut et ils entendirent". »

Mekhilta de rabbi Ismael sur Exode 14, 15, édition Horowitz, p. 99 ligne 1-4 ;

cf. Ibid. sur Exode 14, 31, édition Horowitz, p. 115 ligne 11.


On attend un nouveau pardon (par le Temple céleste, « non fait de main d'homme ») et on attend un dévoilement (ou « accomplissement ») de la Torah céleste. Le salut ne peut venir que de « l'ouverture du ciel».

L'Incarnation dans ce contexte

Telles sont les deux grandes tendances théologiques et spirituelles au temps de Jésus. La venue de Jésus, dès lors qu’il est le messie attendu et le Fils de Dieu incarné, sera alors comprise comme l’acte de miséricorde de Dieu, son grand pardon, la guérison de la mort comme « divorce » entre Dieu et les hommes.

L’Incarnation est une miséricorde, c’est la réconciliation des hommes avec Dieu. Mais la blessure dans le cœur des hommes demeure puisqu’ils continuent de pécher, et la mort est toujours là ! Il faut donc passer par le baptême comme passage par la croix. Ceci jusqu’au retour glorieux du Christ ; alors, « nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est ». (1 Jn 3,2)

La mère de Jésus

La foi de Marie au moment de l'Annonciation se situe dans un contexte pluraliste et implique un choix, décisif, de la Vierge Marie, la rendant apte à accueillir le rédempteur, le Fils de Dieu incarné, et devenant ainsi nouvelle arche d'Alliance, nouvelle tente de la rencontre, nouveau temple.

Ce contexte historique d'opposition théologique explique aussi le ton tragique de la prophétie de Syméon :

« Vois, ton fils, qui est là, provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division. Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée. Ainsi seront dévoilées les pensées secrètes d'un grand nombre. » (Lc 2, 34-35)

Ce ton tragique s'explique aussi parce que les hommes continuent de pécher après l'Incarnation : "les pécheurs eux-mêmes furent les auteurs et comme les instruments de toutes les peines qu'endura le divin Rédempteur" (CEC 598).

Marie manifeste une ouverture intérieure :

En effet, Marie accueille un ange, une parole venue du Ciel, elle adhère à l'annonce de la naissance d'un messie personnel, elle croit au miracle qui confirme cette parole (Elisabeth malgré son âge attend un enfant, et Marie elle-même concevra dans la virginité).

Le saint Père, sans entrer dans les détails de l'attente messianique, semble aller en ce sens et il en tire une conséquence sur la coopération de Marie au Christ Rédempteur :

« Ce fait fondamental d'être la Mère du Fils de Dieu est, depuis le début, une ouverture totale à la personne du Christ, à toute son œuvre, à toute sa mission.

Les mots "Je suis la servante du Seigneur" témoignent de cette ouverture d'esprit de Marie, qui unit en elle de façon parfaite l'amour propre à la virginité et l'amour caractéristique de la maternité, réunis et pour ainsi dire fusionnés. C'est pourquoi non seulement Marie est devenue la mère du Fils de l'homme, celle qui l'a nourri, mais elle a été aussi "généreusement associée, à un titre absolument unique" (Lumen Gentium 61) au Messie, au Rédempteur.»

Jean Paul II, Lettre encyclique Redemptoris Mater n° 39

Nous voyons mieux que le mystère de l'Incarnation a en lui-même une portée rédemptrice, il constitue une réconciliation des hommes avec Dieu, réconciliation où le Fils de Dieu nous aimera jusqu'à la fin (Jn 13,1).

Marie coopère à cette Rédemption par sa foi en tant que sa foi se situe dans les « courants ouverts » de l'attente messianique. Cette ouverture totale à la personne du Christ est un amour vierge car il attend le salut d'une ouverture du Ciel, c'est à dire d'un don de Dieu. Que la foi d'un être humain puisse coopérer à Dieu, cela se comprend justement très bien dans la perspective du courant « ouvert » où Dieu est sensible à l'accueil et à l'adhésion humaine, capables de l'attirer.

La coopération de Marie à l'œuvre rédemptrice du Fils de Dieu qui s'incarne est une coopération tout à fait unique car elle seule est Vierge et mère d'une manière charnelle et spirituelle tout à fait sublime.


Bibliographie :

E. URBACH, Les sages d'Israël, Cerf, Paris 1996 (traduit de l'hébreu par Marie-José Jolivet. Edition originale, Jérusalem 1979)

J. BERNARD, Torah et culte chez les Rabbins, confessions divergentes, dans Mélanges de science Religieuse, Lille, Janvier-mars 1997 pp. 38-71

J. BERNARD, Le péché originel, une invention de saint Paul ? Revue Ensemble n° 2, juin 1994, p. 91-106

F. BREYNAERT, L'arbre de vie, éditions Parole et Silence, Paris 2006, p. 101-102


F. Breynaert

Cf. F. Breynaert, Juifs et chrétiens, Une origine, deux chemins,

Editions du Paraclet, Br

ive 2010</link>

N.B. Ce tableau illustre notre propos :

Porte ouverte.

x_ifglossaire_list%5Bglossaire%5D=32&tx_ifglossaire_list%5Baction%5D=details&tx_ifglossaire_list%5Bcontroller%5D=Glossaire" title="Hébreu malehak&nbsp;;grec, aggelos&nbsp;; signifie « envoyé de Dieu&nbsp..." class="definition_texte">Ange. Rayon descendant du ciel.