La prophétie de Balaam (Nb 24)

La prophétie de Balaam (Nb 24, 17-18)

"Levant les yeux, Balaam vit Israël, établi par tribus; l'esprit de Dieu vint sur lui et il prononça son poème. Il dit: "Oracle de Balaam, fils de Béor [...]

Je le vois -- mais non pour maintenant, je l'aperçois -- mais non de près: Un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d'Israël. Il frappe les tempes de Moab et le crâne de tous les fils de Seth. Edom devient un pays conquis; pays conquis, Séïr. Israël déploie sa puissance, Jacob domine sur ses ennemis et fait périr les rescapés d'Ar."

(Nb 24, 2-3 [...] 17-19)

Balaam est un païen. Dans son langage, l'astre est un roi, un dieu ou un roi divinisé.

En 1967, en Transjordanie, a été découverte une inscription dans laquelle Balaam, fils de Béor, paraît comme « voyant » à qui sont attribuées des annonces de chance ou de malchance[1].

Dans la Bible, Balaam est un devin au service du roi de Moab, qui lui demande une malédiction contre Israël. Cet acte, que Balaam entend accomplir, est empêché par Dieu lui-même, de sorte qu'au lieu d'une malédiction, Balaam annonce une bénédiction. Malgré cela, les Israélites le considérèrent comme un devin idolâtre et finalement, « ils passèrent aussi au fil de l'épée Balaam, fils de Béor. » (Nombres 31, 8)

La bénédiction de Balaam annonce la venue d'un astre, c'est-à-dire, dans le langage de l'époque, la venue d'un roi.

Le roi de Babylone se faisait appeler « étoile du matin » (Isaïe 14,12) ; et les dieux païens étaient eux aussi associés à une étoile (cf. par exemple Amos 5, 26).

L'étoile dans l'Ancien Orient le signe d'un dieu, et par la suite, d'un roi divinisé. Un païen peut très bien prophétiser qu'un roi sortira de la maison de Jacob et diviniser ce roi. Mais l'histoire biblique refuse de diviniser les rois d'Israël.

De quand date cette prophétie ? A-t-elle été (partiellement) réalisée ?

On peut penser que Balaam ait vécu avant la monarchie de David parce que, dans sa prophétie, il n'est pas question de la tribu de Juda ni des fils de Jacob et des douze tribus rassemblées dans la monarchie de David. Balaam doit maudire les tentes de Jacob, et il les bénit. Dans sa prophétie, il décrit les adversaires d'Israël, les tribus bédouines qui l'entourent (Moab et les fils de Seth) et annonce que de Jacob sortira un roi guerrier victorieux. Cette prophétie a été accomplie : le roi guerrier et victorieux, c'est Saul puis David.

Pourquoi avoir conservé cette prophétie après son accomplissement en David ?

Selon J.J. Roberts, la prophétie de Balaam (Nb 24, 17) est une manière de célébrer le succès de David et d'en faire la propagande, ou encore de soutenir l'inviolabilité de la dynastie de David en l'enracinant dans des paroles prophétiques que l'on ne peut plus mettre en débat.[2]

Cependant, comme nous l'avons dit, jamais un roi en Israël ne peut être assimilé à une divinité, or l'image de l'étoile va dans ce sens... Alors ?

Une prophétie qui dépasse la perspective première ?

Le peuple inspiré par Dieu, et l'éditeur inspiré par Dieu, ont conservé la prophétie de Balaam, avec l'image de l'étoile qui va dans le sens d'un roi-dieu alors que la Bible ne divinise pas les rois. Il y a peut-être là l'indice du fait que l'on a vite reconnu dans la prophétie de ce païen une valeur messianique qui va bien au-delà de l'histoire de David et qui vise un Messie-Roi de nature véritablement divine.

Une prophétie connue dans les milieux païens ?

Cette prophétie a-t-elle été connue au temps de Jésus par ces païens qui se lèvent et partent en Judée à la recherche du roi des Juifs (Mt 2) ?

Dans le texte de Nb 24, 17-18, l'étoile symbolise le messie lui-même. L'étoile (ou le signe astronomique) qui guide les mages vers Bethléem n'est pas le messie mais elle les guide vers le messie. Ce sont donc deux perspectives différentes, c'est pourquoi saint Matthieu, si attentif à montrer l'accomplissement des prophéties, ne parle pas de la prophétie de Balaam quand il parle de l'étoile des mages[3].

Cependant, le lien entre l'étoile et la royauté pourrait avoir suscité l'idée d'une étoile, qui serait l'étoile de ce Roi, et renverrait à lui. Ainsi, on peut certainement supposer que cette prophétie non hébraïque, païenne, aurait tourné sous quelque forme en dehors du judaïsme et aurait été objet de réflexion pour les personnes en recherche[4]

Jésus accomplit la prophétie et opère un choix

Jésus accomplit la prophétie au sens que pouvait lui donner Balaam : il est roi (le sceptre) et il est de nature divine (l’étoile). De plus, il se présente souvent en lien avec Jacob (contexte de la prophétie de Gn 49) : il se présente à Nicodème comme l’échelle de Jacob (Jn 3), il rencontre la Samaritaine au puits de Jacob (Jn 4).

La prophétie de Balaam est accomplie par Jésus de façon précise dans le livre de l’Apocalypse :

« Moi, Jésus, j'ai envoyé mon Ange publier chez vous ces révélations concernant les Eglises. Je suis le rejeton de la race de David, l'Etoile radieuse du matin. » (Ap 22, 16).

Dans l’Apocalypse encore, la lettre à Thyatire évoque une église tentée par la fausse doctrine de Jézabel qui conduit les chrétiens dans le laxisme moral et ce que l'auteur appelle « les profondeurs de Satan ». Au vainqueur, Jésus promet :

« Le vainqueur, celui qui restera fidèle à mon service jusqu'à la fin, je lui donnerai pouvoir sur les nations: c'est avec un sceptre de fer qu'il les mènera comme on fracasse des vases d'argile! Ainsi moi-même j'ai reçu ce pouvoir de mon Père. Et je lui donnerai l'Etoile du matin.» (Ap 2, 26-28).

Jésus se donnera lui-même car l’étoile du matin c’est lui-même (Ap 22, 16) et il fera participer le vainqueur à sa royauté messianique.

Jésus n'est pas le messie guerrier de la prophétie de Balaam. L'épée de Jésus sort de sa bouche (Ap 1, 16), c'est-à-dire que son épée, c'est sa parole qui opère un discernement, un jugement.


[1] H.P. Müller, in LthK3, vol 2, col 457

[2] Cf. J. J. M. ROBERTS, The old testament's contribution to messianic expectations, in Aa Vv, The Messiah, developments in earliest Judaism and Christianity James H. Charlesworth, editor. Fortress Press, Minneapolis 1992, p. 145-168

[3] André Feuillet, L'accomplissement des prophéties, Desclée, Paris 1991, p. 29

[4] J. Ratzinger, Benoît XVI, L'enfance de Jésus, Flammarion, Paris 2012, p. 130


Françoise Breynaert