La prophétie de Jacob (Gn 49)

La prophétie de Jacob (Genèse 49)

Le texte de Genèse 49, 8-12 est appelé « la prophétie de Jacob », en harmonie avec l’intention exprimée au début : « Jacob appela ses fils et dit: "Réunissez-vous, que je vous annonce ce qui vous arrivera dans la suite des temps. » (Gn 49, 8).

Voici le passage :

«8 Juda, toi, tes frères te loueront, ta main est sur la nuque de tes ennemis et les fils de ton père s'inclineront devant toi.

9 Juda est un jeune lion; de la proie, mon fils, tu es remonté; il s'est accroupi, s'est couché comme un lion, comme une lionne: qui le ferait lever?

10 Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda, ni le bâton de chef d'entre ses pieds, jusqu'à ce que le tribut lui soit apporté et que les peuples lui obéissent.

11 Il lie à la vigne son ânon, au cep le petit de son ânesse, il lave son vêtement dans le vin, son habit dans le sang des raisins,

12 ses yeux sont troubles de vin, ses dents sont blanches de lait. »

(Gn 49, 8-12)

Observations sur le texte

Le texte est très difficile à interpréter, car il comporte des versions anciennes différentes des versions plus récentes. Il faudrait un livre entier pour donner un commentaire valable.[1]

Le texte contient des éléments de l'époque patriarcale au moins pour Ruben, Syméon, Lévi.

Dans la bénédiction de Lévi, rien n'est dit de la situation privilégiée des Lévites (dont le rôle est lié au temple).

Ruben et Syméon sont des tribus qui vont décliner très tôt, ce qui n'apparaît pas ici.

Benjamin est qualifié de belliqueux, mais rien n'est dit de la royauté de Saul (qui appartient à cette tribu).

C'est pourquoi certains auteurs pensent que tout le texte remonte à une grande antiquité[2]. Cependant d'autres auteurs pensent qu'une tradition antique a été travaillée de façon à mettre à l'honneur la tribu de Juda dont est issue le roi David[3].

Notons aussi qu'ailleurs dans la Bible, les descendants de Jacob sont considérés comme des individus, mais ici, les descendants de Jacob sont considérés en tant que tribus.

Une révélation concernant David (?)

Il faut se demander pourquoi certaines paroles sont conservées dans les mémoires et inscrites comme histoire . Ce sont des paroles inspirées qui ont une signification profonde et à travers lesquelles le Seigneur oriente l'Histoire.

Un texte probablement édité pour réconcilier les tribus.

Le premier livre de Samuel montre que le roi David a succédé au roi Saul après de nombreux conflits entre l’un et l’autre.

En montrant que la royauté de David fait partie du plan de Dieu, la prophétie de Gn 49, 8-12a un rôle de réconciliation nationale après les conflits entre les tribus de Juda (maison de David) et la tribu de Benjamin (maison de Saul).

L’éditeur aurait transmis cette prophétie dans un poème populaire plus ancien, reprenant les traditions familiales et patriarcales.

De plus, Juda et Benjamin sont présentés comme des frères. Et l'on peut faire l’hypothèse d’une « généalogisation » : la réconciliation du peuple se serait faite à travers l’établissement d’un généalogie en déclarant cousin ou frère des clans unis spirituellement, selon une façon de faire qui existe encore en Orient actuellement. Cette hypothèse résout nombre de difficultés sur la cohérence du Pentateuque, mais ce n’est qu’une conjecture.

Cette prophétie a été (en partie) accomplie : le sceptre ne s’est pas éloigné de la maison de David jusqu’à ce que les peuples lui soit soumis. En effet, à sa mort, David a vaincu ses ennemis et soumis les peuples environnants (Gn 49, 10), son fils Salomon aura un règne paisible. Cependant, on ne peut pas dire que David accomplisse la prophétie : les peuples lui sont soumis par les armes. Or la prophétie parle d'un ânon et non pas un cheval de guerre...

une portée messianique lointaine, reprise par Zacharie 9, 9

Un âne et non pas un cheval de guerre.

Genèse 49, 10-12 évoque déjà un roi (« Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda ») et un roi pacifique (comme le prophète Zacharie au retour d'exil), avec un âne et non pas un cheval de guerre. Il se nourrit de vin et de lait, ce qui évoque le Paradis.

C’est pourquoi Genèse 49, 10-12 a une portée qui dépasse largement le contexte historique de l’établissement de la royauté de David, qui s'est faite dans la guerre.

Ce texte a une portée messianique.

Cet aspect n’abolit pas le point précédent : percevoir l’humble accomplissement de la prophétie au temps de David et Salomon avait son importance : Dieu prépare son peuple à accueillir le messie non pas seulement à partir de paroles mystérieuses, mais aussi à partir des évènements d’une histoire, dont la direction profonde est dévoilée par la parole inspirée.


Zacharie.

Le prophète Zacharie reprendra l’expression redondante, « ânon… petit d’une ânesse » (Za 9, 9), une expression qui vient de Genèse 49, 10-12.

Zacharie peut vouloir montrer à ses contemporains que la prophétie de Genèse 49, 10-12 doit s’accomplir en son temps (celui de l’occupation perse après le retour d’exil).

Zacharie peut aussi vouloir exprimer une tradition de l’attente messianique, l’attente d’un Roi-Messie pacifique. Cf. Zacharie 9, 9-10.

L’accomplissement par Jésus-Christ

Jésus est de la tribu de David, c’est-à-dire la tribu de Juda. Il est le roi pacifique. L’évangile cite Za 9, 9 :

« Dites à la fille de Sion: Voici que ton Roi vient à toi; modeste, il monte une ânesse, et un ânon, petit d'une bête de somme. » (Matthieu 21,5).

Comme nous l’avons dit, le prophète Zacharie reprend l’expression redondante et rare de Genèse 49, 11 en parlant d’un ânon, le petit d’une ânesse. L’évangile accomplit à la fois Za 9, 9 et Gn 49, 10-12.


L'auteur de l'Apocalypse dit de Jésus :

« Il est vainqueur le lion de la tribu de Judas » (Ap 5, 5)

Il reprend l’image du Lion de Juda (Gn 49, 8-10).

N.B. Jésus parle souvent du royaume en terme de « levain dans la pâte » ou en terme de grain de sénevé qui devient un grand arbre.

Il faut donc accepter de croire que Jésus gouverne en tant que roi de paix, mais en même temps, le monde connaît encore des guerres parce que le règne de Jésus est encore à venir, comme le levain qui n’a pas encore fait lever toute la pâte, comme le grain de sénevé qui n’a pas encore atteint toute sa taille. [4]


[1] Cf. E.A. SPEISER, The Anchor Bible, A new translation with Introduction and commentary, Genesis, USA, 1964. p. 371-372.

[2] Cf. M.J. LAGRANGE, la prophétie de Jacob, revue biblique 1898, p. 339. André FEUILLET, L'accomplissement des prophéties, Desclée, Paris 1991, p. 18.

[3] Cf. S .VIRGULIN, "Giacomo", Nuovo dizionario di Teologia biblica, a cura di P. Rossano, G. Ravasi, A; Ghirlanda, edizioni paoline, 1988, p. 620-626.

[4] Cf. Joseph RATZINGER, BENOÎT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris 2007 (diff. Mediapaul), p. 67-84


Synthèse Françoise Breynaert