Le Magnificat à la lumière de l'Exode

L'Exode biblique et le Magnificat

Une tradition qui s'enracine dans l'Exode biblique

Parmi les nombreux passages de l’Ancien Testament auxquels fait référence le Magnificat, on cite habituellement le cantique d’Anne (1 Sam 2,1-10, cf. aussi Sir 10,14-17). Mais ce cantique de la mère de Samuel dépend à son tour d’une tradition qui s’enracine à l’époque de l’Exode et au chant de victoire qui l’accompagna.

A l’origine, très vraisemblablement, le Magnificat était un chant de rédemption lié à une longue tradition qui trouve dans le cantique de la mer (Ex 15,1-18,21) sa référence première [1] :

De même que dans l’expérience de l’Exode, une femme, Marie, la sœur de Moïse, entonne l’hymne des sauvés, de même ensuite d’autres femmes, Déborah, Anne, Judith… entonneront des cantiques de liberté repris par tout le peuple.

Il s’agit habituellement de la délivrance des ennemis, comme on peut encore le voir dans le Benedictus (Lc 1,71), mais aussi, dans le contexte du Nouveau Testament, de la libération des péchés (Lc 1,77).

Le cantique de Marie se situe sur cette toile de fond. C’est une louange grandiose, une exaltation de Dieu et une expression de joie exubérante pour le salut accompli avec l’arrivée du messie Davidique, le Christ Seigneur (cf. Lc 1,32ss ; 2,11).

« Il a jeté les yeux sur l'abaissement de sa servante,

Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse »

(Luc 1, 48)

L’expression « regarder » la misère ou l’humilité (Lc 1, 48) rappelle diverses situations de souffrance ou d’épreuve ou d’humiliation, aussi bien au niveau personnel que communautaire, mais il évoque de façon spécifique l’expérience de l’esclavage en Egypte.

Dans cette situation, les fils d’Israël ont crié vers le Seigneur et lui regarda, écouta et intervint :

« YHWH dit: "J'ai vu, j'ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte. J'ai entendu son cri devant ses oppresseurs; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer…"»

(Ex 3,7-8)

« Car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses. Saint est son nom ! »

(Luc 1, 49)

Pour eux, ses serviteurs, comme pour Marie, la servante, Dieu a accompli de grandes choses (Ex 15,6 ; Lc 1,51) en manifestant aux yeux de tous sa sainteté (cf. Ex 15,11 ; Lc 1,49).

« et sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent.

Il a déployé la force de son bras, il a dispersé les hommes au coeur superbe.

Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles,

Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides. »

(Luc 1, 50-53)

L’action de Dieu est en faveur de son peuple, mais aussi, indirectement, contre les ennemis qui sont désignés par ce terme caractéristique de « superbes » ; cette appellation indique soit leur façon de se dresser contre Dieu dans une attitude d’impiété, soit leur façon d’opprimer les petits et les pauvres.

De façon répétée dans la tradition rabbinique les superbes indiquent les païens qui ne glorifient pas le Seigneur et tourmentent son peuple. Pharaon en est le symbole et le prototype.

Les « petits » et les « pauvres » au contraire, désignent le peuple d’Israël, petit et pauvre aussi bien devant Dieu que devant les nations étrangères. L’arrière fond de l’Exode en Lc 1, 52-53 où les oppresseurs sont déposés de leur trône (Lc 1, 52) comme jadis ils furent engloutis au fond de la mer (Lc 15, 10).

Marie, servante du Seigneur, chante le Magnificat sur le fond de l’histoire d’Israël, serviteur de Dieu, lui qui est fidèle à ses promesses

« Se souvenant de sa miséricorde selon ce qu’il avait annoncé à nos pères en faveur d’Abraham et de sa postérité à jamais. »

(Lc 1,54-55)

A ceci près que désormais Abraham héritera le monde (Rm 4, 13) car l'Exode accompli par le Christ est un Exode qui conduit à la Vie éternelle, et embrasse toutes les nations.


[1] R.Le Déault, La nuit pascale, Rome 1963, p. 310


Alberto Valentini

Extraits de A.Valentini,
“Approcci esegetici a Lc 1, 46b-55,
in Theotokos V,1997 n°2, p. 403-422