Le sens marial du Cantique selon Rupert de Deutz (1075-1130)

Le sens marial du Cantique des Cantiques

Rupert de Deutz (1075-1130) est le premier auteur qui ait interprété dans un sens marial l'ensemble du Cantique des Cantiques.

Pour Rupert de Deutz, dans l'Ancien Testament, quand Israël est appelé épouse de Dieu, il s'agit d'une prophétie du mystère de la Vierge Marie :

« La Vierge Marie fut l'épouse de Dieu le Père. En elle s'est vérifié le motif pour lequel, dans l'Ecriture, Dieu appelle l'Eglise du peuple antique son épouse. »[1]

L'incarnation et le baiser de Dieu

« Qu'il me baise des baisers de sa bouche » (Ct 1,2) qu'est-ce que signifie cette exclamation soudaine ?

O heureuse Marie, une inondation de félicité, une force d'amour et un torrent de joie t'ont totalement submergé, complètement ravie et enivrée ; et tu as fait l'expérience de ce que l'œil n'a pas vu, que l'oreille n'a pas entendu, de ce qui n'est jamais entré dans le cœur de l'homme" (1Cor 2,9) ; et tu as dit : Qu'il me baise des baisers de sa bouche (Ct 1,2).

En effet ta réponse à l'ange a été : Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. (Lc 1,38).

Mais de quelle parole s'agissait-il ?

De quoi l'ange avait-il avait parlé avec toi ? Tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras un fils, tu l'enfanteras et tu appelleras Jésus (Lc 1,30-31). Et aussi : L'Esprit Saint descendra sur de toi ; sur toi il étendra l'ombre de la puissance du Très-haut. C'est pourquoi celui qui naîtra sera saint et appelé Fils de Dieu (Lc 1,35).

Est-ce qu'une telle parole de la part de l'ange n'était pas déjà une parole qui promettait les baisers imminents de la bouche du Seigneur ? L'interprète utilise prudemment soit les paroles : Qu'il me baise du baiser de sa bouche, prononcées par une âme et un cœur jubilant ; soit ces autres paroles, sorties d'une bouche exultante : Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. Est-ce que ces paroles n'ont pas le même poids ? Avec des mots et des sons différents, le sens n'est-il pas le même ?

Tu as entendu et cru ; et en priant pour toi-même tu as demandé : "Qu'il m'advienne". Et il est ainsi advenu de toi. Dieu le Père t'a embrassé avec le baiser de sa bouche. Quel oeil a jamais vu une chose semblable ? Quelle oreille l'a jamais entendue ? En quel cœur d'homme elle est jamais entrée ? Mais à toi, Marie, Celui qui a été révélé t'a embrassé par le baiser et la bouche de celui qui embrasse. » [2]

L'Eglise est épouse comme Marie et conçoit comme elle de l'Esprit Saint, mais par le biais des sacrements.

« Donc la bienheureuse Vierge, la partie meilleure de la première église, mérite d'être l'épouse de Dieu le Père afin de pouvoir être le type de la plus jeune Église, l'épouse de Dieu le Fils et son fils.

L'Esprit Saint qui a opéré dans son sein et par son sein l'incarnation du Fils unique de Dieu, est le même qui devait opérer la régénération des nombreux fils de Dieu dans le sein et par le sein de l'Église, dans le bain vivifiant de sa grâce. » [3]


[1] De operibus Spiritus Sancti, 1,7 : PL 167,1577.

[2] In Canticum Canticorum, 1, 1 : PL 168, 839-840; CCM 26, 10

[3] De operibus Spiritus Sancti, 1,7 : PL 167,1577-1578

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Cf. Luigi Gambero,

Maria nel pensiero dei teologi latini medievali,

ed San Paolo, 2000, p. 145-152