Les différentes versions de l'Ancien Testament

Bible hébraique, Septante grecque, Qumrân : une bible plurielle ?

L'Ancien Testament est une bibliothèque composée de nombreux livres écrits à diverses époques et dont la langue d'origine (hébreu, araméen, grec) varie.

De plus, l'hébreu est une langue longtemps écrite sans voyelles, donc ouverte à plusieurs significations.

L'Ancien Testament nous a été transmis par plusieurs canaux :

- Le texte hébreu massorétique, c'est à dire le texte hébreu avec les voyelles. Cette vocalisation a été faite entre le VI° et le XI° siècle après J-C. Notre bible hébraïque est basée sur un document retrouvé à Alep en 1937 et datant de l'an 950 environ[1].

- Les targumim, ou bible araméenne. Depuis le retour d'exil en l'an 539 avant J-C, les scribes ont traduit et expliqué la Bible : un targum est une paraphrase explicative.

- Qumrân : Les plus anciens éléments découverts à Qumrân en 1947 datent du II° siècle avant J.-C. Il ne s'agit pas d'un Ancien Testament complet. Cependant, le grand rouleau d'Isaïe est un exemplaire presque complet du livre d'Isaïe, datant de 125 ou 100 avant J.-C. (1Q.Is.-a-).

- La version de la Septante, en grec. La Septante date du III° siècle avant J-C et fut écrite à Alexandrie. La Lettre d'Aristée contient le rapport du bibliothécaire d'Alexandrie au roi égyptien Ptolémée : il demande que des juifs compétents, six de chaque tribus (donc 72) fassent une traduction exacte, en grec, de la Bible.

Les manuscrits du IV° siècle, en particulier le Sinaïticus exposé au British Museum et le Vaticanus, au musée du Vatican, comportaient originellement toute la Bible en grec (Ancien et Nouveau Testament), plusieurs pages de l'Ancien Testament sont perdues.

On est étonné de la fidélité des scribes à la transmissions de ces sources jusqu'à l'époque de l'imprimerie.

Un Ancien Testament aux sources plurielles ?

Les différences de la Septante avec la bible hébraïque sont parfois importantes : par exemple, le livre de Jérémie dans la Septante possède 2700 mots de moins que dans la Bible hébraïque. Prenons d'autres exemples :

  • Deutéronome 32, 42[2]

- Dans le texte hébreu traditionnel, la scène est terrestre, politique, nationale ::

« Acclamez son peuple, ô nations, car il venge le sang de ses serviteurs.

Il retourne la vengeance contre ses adversaires et fait l'expiation pour le sol de son peuple. »

- Dans le texte de Qumrân, la scène est céleste (4Qdeutéronome-Q-) :

« Réjouissez-vous, cieux, son peuple et prosternez vous devant lui tous les dieux,

car il vengera le sang de tes fils, il tirera vengeance contre ses ennemis. »

- Le texte de la Septante développe l'amplification mystique du texte retrouvé à Qumrân :

« Réjouissez-vous, cieux, avec lui, et que se prosternent devant lui tous les fils de Dieu.

Réjouissez-vous, nations, avec son peuple, et qu'ils lui donnent force, tous les anges de Dieu

Car le sang de ses fils est vengé ; et il vengera, et il rendra le châtiment dû aux ennemis,

et à ceux qui haïssent il rendra leur dû et le Seigneur purifiera la terre de son peuple. »

- Ainsi, les traducteurs d'Alexandrie n'auraient pas changé le texte, ils auraient choisi une source hébraïque moins dominante, mais dont Qumrân a gardé la trace.

  • Livre de Job.

Dans le livre de Job, les "modifications" de la Septante reflètent le mûrissement de la foi en la résurrection, un mûrissement qui date de l'époque des Maccabées (cf. 2Mac 7).

Job 5, 11[3] :

- Texte hébreu traditionnel : « Il exalte ceux qui sont abaissés et les affligés retrouvent le bonheur.»

- Texte grec de la Septante : « le Seigneur qui exalte les humbles et ressuscite les morts. »

Job 19, 25-26[4]

- Texte hébreu massorétique : « Je sais, moi que mon défenseur est vivant, et que, le dernier, sur la poussière, il se lèvera ; et derrière ma peau je me tiendrai debout et, de ma chair, je verrai Eloah ».

- Texte grec de la Septante : « Car je sais qu'il est éternel celui qui va me délivrer ; sur la terre, que ressuscite ma peau qui supporte tout cela ; car pour le Seigneur ces choses sont accomplies pour moi. »

La Septante a été valorisée par certains juifs.

Philon d'Alexandrie déclare la Septante comme un texte inspiré, au même titre que l'original hébraïque.

« Ils appellent leurs auteurs non pas des traducteurs, mais des hiérophantes et des prophètes, eux à qui il a été accordé, grâce à la pureté de leur intelligence, d'aller au même pas que l'esprit le plus pur de tous, celui de Moïse. » (Philon, De vita Mosis II, 37).

« Car le prophète ne publie absolument rien de son cru, mais il est l'interprète d'un autre personnage, qui lui souffle toutes les paroles qu'il articule au moment même où l'inspiration le saisit. » (Philon, De specialibus legibus IV, 49.)

Des chrétiens tels que Justin, Irénée et Augustin lui feront écho.

La Septante a été valorisée par les chrétiens (sauf saint Jérôme) :

Saint Irénée (2° siècle) est le premier auteur chrétien à présenter la traduction d'Alexandrie comme un fait miraculeux (les soixante-dix traducteurs travaillent séparément et obtiennent le même texte, comme jadis aussi - croyait-on - Esdras avait rétabli de mémoire les paroles des prophètes antérieurs, et la loi donnée par Moïse)[5]. Ses propos font écho à une légende bien connue dans le IV° livre d'Esdras, qui est une œuvre apocryphe du premier siècle.[6]

Mais saint Jérôme, retrouvant la bible hébraïque des massorètes, rejette la Septante : pour lui, les 70 traducteurs sont faillibles et la traduction miraculeuse n'est qu'une légende[7].

La riposte juive.

Nous l'avons dit, la Septante fut vénérée par les premiers pères de l'Eglise tels que Justin et Irénée. La riposte juive commença dès les origines en valorisant une filière de texte de la bible hébraïque, qui devint l'ancêtre de la Bible massorétique (vocalisée).

Ils firent aussi en langue grecque de véritables Ecritures sous contrôle judaïque (Irénée connaissait la version de Théodotion, et la version d'Aquila...)[8].

Les Ecritures étaient un tel enjeu qu'en l'an 553, l'empereur Justinien alla jusqu'à interdire les livres hébraïques dans les synagogues et recommandait aux Juifs de langue grecque l'usage de la Septante.


[1] André Paul, La Bible et l'Occident, Bayard, Paris 2007, p. 57

[2] Ibid., p.101

[3] Ibid., p.111

[4] Ibid., p.111

[5] Saint Irénée, Contre les hérésies III, XXI, 2.

[6] André Paul, La Bible et l'Occident, Bayard, Paris 2007. p. 137

[7] Ibid., p. 281-282

[8] Ibid., p. 150-153


Synthèse Françoise Breynaert