Que sait-on des Esséniens ?

La fable des moines Esséniens et du scriptorium de Qumrân

La fable des moines Esséniens et du scriptorium de Qumrân

Les Pères Carmes et « moines esséniens »

Dans la foulée de la réforme de l'Ordre du Carmel en Espagne, certains Pères Carmes voulurent démontrer à tout prix la continuité qui existerait entre le prophète Elie sur le mont Carmel et les premiers moines chrétiens occidentaux qui s'y installèrent au 12° siècle (et qui formèrent bientôt l'ordre du Carmel). Rien n'indique que les grottes du mont aient jamais été habitées par des moines avant eux, et deux millénaires séparent Elie des fils de la grande réforme thérésienne... lesquels ne se sont guère embarrassés de tels détails : le chaînon manquant

était trouvé, les "moines esséniens"[1].

Voltaire et la confrérie des moines esséniens.

Voltaire reprit l'idée de la "confrérie des Esséniens" dans le but de montrer l'absence d'originalité du christianisme : Jésus, explique-t-il, avait été un essénien ![2]

Un romancier, en 1929, parla lui aussi, comme d'une évidence, d'un monastère essénien : Maurice Magre, Lucifer, Paris 1929[3].

La découverte de 1947 à Qumrân

La pression culturelle était si forte que ce qui devait rester une hypothèse de travail fut immédiatement répété comme une certitude : les grottes de Qumran étaient le lieu d'un « monastère essénien ». Et le touriste du XXI° siècle peut y voir un « scriptorium »[4], imaginé sur le modèle des salles de copistes monastiques médiévales...

Mais qu'en est-il vraiment ?

Au congrès tenu à New York en 1992[5], a été mis en évidence la destination économique du site de Qumrân, une activité liée à un arbuste rare, le baumier, à partir duquel étaient faits des baumes précieux. Des soldats étaient présents, simplement pour protéger des pillards.

Quand à la dimension religieuse du lieu, elle n'a jamais été démontrée, au contraire : la présence d'un cimetière de 1100 ou 1200 tombes à moins de 50m rendait le lieu rituellement impur. De tels cimetières n'ont rien d'exceptionnel. Les restes de repas (des os grillés dans des jarres) témoignent tout simplement des repas des familles venant à des funérailles.

En outre, à Qumrân, on a trouvé des dalles de pierre colorées et des urnes en pierre, objets riches et bien peu « monastiques ».

Le fait de retrouver des manuscrits n'est pas non plus exceptionnel : on a retrouvé - similaires - à Massada ou à Aïn Fechka.

A Qumrân, il est vrai, on a trouvé deux encriers, mais ils ne provenaient pas du niveau des fouilles correspondant aux restes du premier étage où furent trouvés des morceaux de table plâtrés, les encriers étaient à même le sol du rez de chaussée. Quant aux morceaux de table, il s'agit d'un morceau de salle à manger hellénistique, situé à l'étage aéré, sans rapport avec les encriers.

Bref, il n'y a pas eu de scriptorium, et l'idée d'une communauté monastique en ce lieu n'est littéralement qu'un roman[6].

Tous ces rouleaux ont été cachés, soit pour les protéger (par les partisans d'une « secte ») soit pour les écarter (par respect pour les Ecritures, les chefs juifs ne détruisaient pas les rouleaux jugés hérétiques, ils les endommageaient par le feu et les mettaient à l'écart).

Esséniens. Une question de langage :

Plutôt que d'entretenir la confusion sur les « Esséniens », il vaut donc mieux parler d'Esseni (célibataires vivant au-dessus d'Engaddi) avec Pline l'ancien et d'Esséens (palestiniens mais pas forcément célibataires) avec Philon d'Alexandrie.

Ou encore, à propos des rouleaux de la mer morte, il vaut mieux parler de « littérature apocalyptique » avec Jacqueline Genot-Bismuth, ou, de « mouvance messianique » (messianisme guerrier) avec Edouard-Marie Gallez.

Ceci dit, beaucoup d'auteurs parlent encore « d'Esséniens » (par exemple R. Neusner en parle, et c'est dans le sens de « mouvance messianique »).


[1] Philippe de la Trinité, Theologia carmelitana, Rome, 1665, p.142.

[2] Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Esséniens, Paris, réédition Ménard et Desenne, 1825.

[3] Maurice Magre, Lucifer, Paris, Albin Michel 1929, p. 85 et 202.

[4] Cf. Le site du ministère des affaires étrangères israéliennes. https://www.mfa.gov.il. - 18 novembre 2010

[5] Wise Michael O & Alii, Methods of Investigation of the Dead Sea Scrolls & the Khirbet Qumran Site : Present Realities & Future Prospects, Annal of the New York academy of sciences, vol 722, 1994, p. 11.12.37.

[6] Maurice Magre, Lucifer, Paris, Albin Michel 1929, p. 85 et 202.


Résumé par F. Breynaert de : Edouard-Marie Gallez, Le messie et son prophète, Editions de Paris 2012, p. 104-112 et p. 137-166