Convenait-il d'annoncer à la Bienheureuse Vierge ce qui allait se faire en elle?

Convenait-il d'annoncer à la Bienheureuse Vierge ce qui allait se faire en elle?

Saint Thomas voit en Marie celle qui, à l'Annonciation, représente tout le genre humain, et qui donne le "Oui" pour l'Incarnation qui est comme "un mariage" entre Dieu et l'humanité.

Sa réflexion est aussi utile dans le dialogue entre chrétiens et musulmans. En effet, le Coran durcit l'idée de prédestination et pense que la Vierge Marie ne donne pas son consentement. Saint Thomas replace l'idée de prédestination dans le cadre de l'Alliance, il montre l'importance du consentement volontaire de Marie "Voici la servante du Seigneur" (Lc 1, 38) et comment ce consentement exprime un certain mariage spirituel entre le Fils de Dieu et la nature humaine.

N.B. Les articles de saint Thomas répondent à une question (celle du titre), et commencent par des "objections".

Ensuite, il cite l'Evangile et donne réponse à la question posée.

A la fin, il donne des "solutions" aux objections.

Objections:

1. Cette annonce paraissait uniquement nécessaire pour obtenir son consentement. Mais celui-ci ne paraît pas avoir été nécessaire; car cette conception par une Vierge avait été annoncée à l'avance par une prophétie de prédestination qui s'accomplit sans notre décision, dit une Glose sur S. Matthieu (Mt 1,22). Donc une telle annonciation n'était pas nécessaire.

2. La Bienheureuse Vierge avait la foi en l'incarnation, foi sans laquelle personne ne pouvait être en état de salut parce que, dit l'Apôtre aux Romains (Rm 3,22), "la justice de Dieu est donnée par la foi en Jésus Christ". Mais lorsque l'on croit quelque chose avec certitude, on n'a pas besoin d'être instruit davantage. Donc il n'était pas nécessaire à la Bienheureuse Vierge que l'incarnation du Fils de Dieu lui soit annoncée.

3. De même que la Bienheureuse Vierge a conçu le Christ corporellement, ainsi toute âme le conçoit spirituellement, ce qui fait dire à S. Paul (Ga 4,19): "Mes petits enfants, vous que j'enfante à nouveau jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous." Mais à ceux qui doivent concevoir le Christ spirituellement, une telle conception n'est pas annoncée. Il n'y avait donc pas à annoncer à la Bienheureuse Vierge qu'elle concevrait dans son sein le Fils de Dieu.

En sens contraire,

on trouve en S. Luc (Lc 1,31) que l'ange lui a dit: "Voici que tu concevras dans ton sein, et que tu enfanteras un fils."

Réponse: Il convenait d'annoncer à la Bienheureuse Vierge qu'elle concevrait le Christ.

1 Pour suivre l'ordre qui convenait à cette union du Fils de Dieu avec la Vierge: que son esprit soit informé avant qu'elle le conçoive dans sa chair. Ce qui a fait dire à S. Augustin: Marie fut plus heureuse de recevoir la foi au Christ que de concevoir la chair du Christ. Et il ajoute peu après: Cette intimité maternelle n'aurait servi de rien à Marie, si elle n'avait eu plus de bonheur à porter le Christ dans son coeur que dans sa chair.

2 Pour lui permettre d'attester avec plus de certitude ce mystère quand elle en avait été instruite par Dieu.

3 Pour qu'elle offrît à Dieu les services volontaires de son dévouement, ce qu'elle fit avec promptitude en disant: "Voici la servante du Seigneur."

4 Pour montrer ainsi un certain mariage spirituel entre le Fils de Dieu et la nature humaine. Et voilà pourquoi l'annonciation demandait le consentement de la Vierge représentant toute la nature humaine.

Solutions:

1. La prophétie de prédestination s'accomplit sans que notre libre arbitre en soit cause, mais non sans qu'il y consente.

2. La Bienheureuse Vierge avait une foi expresse en l'Incarnation future. Mais son humilité l'empêchait d'avoir une si haute idée d'elle-même. C'est pourquoi il fallait qu'elle en fût instruite.

3. La conception spirituelle du Christ qui se réalise par la foi est bien précédée d'une annonciation par la prédication de la foi selon ce principe "la foi vient de ce qu'on entend" (Rm 10,17). Cependant cela ne nous donne pas la certitude d'avoir la grâce, mais nous enseigne que la foi reçue par nous est la vraie.


St Thomas d'Aquin, Somme Théologique, III Qu.30 a.1