La transsubstantiation et les miracles eucharistiques, S. Thomas d’Aquin († 1274)

La transsubstantiation et les miracles eucharistiques. S. Thomas d’Aquin (†1274)

Résumé :

Saint Thomas d'Aquin évoque le sacrement de l'Eucharistie dans la Somme théologique Pars III, questions 73-81.

Saint Thomas d'Aquin utilise le mot « transsubstantiation » qui vient du mot « substance » : dans la consécration eucharistique du pain et du vin, il y a changement de substance, c'est à dire d'être (« Ceci est mon corps » dit Jésus).

La substance du pain a changé. Mais le Christ reste le Christ. Le sacrement de l'Eucharistie n'enferme pas le Christ dans un lieu donné, dans une forme donnée. Le Christ reste présent dans la gloire divine, et par le sacrement de l'Eucharistie il nous attire à lui et nous unit à sa divinité.

Ce langage est toujours d'actualité (catéchisme de l'Eglise catholique de 1998, § 1376).

Cette précision du langage permet de comprendre les miracles eucharistiques :

Un miracle eucharistique ne concerne donc pas le pain, mais concerne la forme que revêt le Christ. Si le pain consacré se conserve mille ans, s'il s'élève tout seul, s'il saigne, aucune solution ne sera trouvée dans l'étude de la farine ! Mais tout cela a pour origine le Christ qui manifeste sa présence à travers les "formes" et les "accidents". (Somme Théologique, III Qu.76 et 77)

La transsubstantiation

« Car toute la substance du pain est convertie en toute la substance du corps du Christ, et toute la substance du vin en toute la substance du sang du Christ. Cette conversion n'est donc pas formelle mais substantielle. Elle ne figure pas parmi les diverses espèces de mouvements naturels, mais on peut l'appeler " transsubstantiation ", ce qui est son nom propres. »

(Somme Théologique, III Qu.75 a.4)

Dans le même article, saint Thomas explique ce qu'est une conversion « substantielle », que seul le créateur peut accomplir :

« Par la vertu d'un agent fini on ne peut ni changer- une forme en une autre, ni une matière en une autre. Mais par la vertu de l'agent infini, dont l'action s'étend à tout l'être, une telle conversion peut se réaliser, car les deux formes et les deux matières ont quelque chose de commun: l'appartenance à l'être. Et ce qu'il y a d'être dans l'une, l'auteur de l'être peut le convertir en ce qu'il y a d'être dans l'autre, en supprimant ce qui les distinguait. »

(Somme Théologique, III Qu.75 a.4)

Les miracles eucharistiques

Saint Thomas d'Aquin commente alors les miracles eucharistiques. Il parle « d'accident » pour signifier les changements dans l'apparence (par exemple une hostie qui se soulève, ou qui saigne). Il écrit :

Une apparition de ce genre se produit de deux façons; - parfois on voit par miracle dans ce sacrement de la chair, ou du sang, ou même un enfant.

Car quelquefois cela se produit chez les voyants, dont les yeux sont impressionnés de la même façon que s'ils voyaient de la chair, du sang ou un enfant objectivement et de l'extérieur, sans qu'aucune modification se soit produite dans le sacrement. C'est ce qui semble arriver quand le sacrement se manifeste à un seul témoin sous une apparence de chair ou d'enfant, tandis que les autres continuent à le voir sous l'apparence du pain, ou quand le même témoin le voit un moment sous une apparence de chair ou d'enfant, et ensuite sous l'apparence du pain.

Il n'y a pas là cependant d'illusion, comme en produisent les prestiges des magiciens, car c'est Dieu qui forme dans l'œil du voyant cette apparence, pour symboliser une vérité, c'est-à-dire pour manifester que le corps du Christ existe vraiment dans ce sacrement; c'est ainsi que le Christ est apparu aux disciples marchant vers Emmaüs, sans les rendre victimes d'une illusion. Car S. Augustin écrit: "Lorsque l'image que nous formons a une valeur significative, elle n'est pas un mensonge mais un symbole de la vérité." Et parce que, dans ce cas, il n'y a aucune modification dans le sacrement, il est évident que le Christ ne cesse pas d'exister dans ce sacrement, lorsque se produit une apparition de ce genre.

- Il arrive aussi parfois qu'une telle apparition ne consiste pas seulement dans une modification produite chez les voyants, mais la forme qu'ils voient a une existence réelle. Il semble que ce soit le cas quand tout le monde voit le sacrement sous cette forme, et cela non pas pour un moment mais pendant un long espace de temps. En ce cas, prétendent certains, c'est l'aspect propre du corps du Christ qui se manifeste. Peu importe que parfois on ne voie pas le Christ tout entier, mais une partie de sa chair; ou encore qu'on le voie non sous l'aspect d'un homme jeune, mais avec la ressemblance d'un enfant. Car il est au pouvoir d'un corps glorieux, comme on le verra plus loin, d'être vu par un oeil non glorifié soit en totalité soit en partie, soit sous l'aspect qui lui est propre, soit sous une ressemblance étrangère.

Mais cela semble inadmissible. D'abord parce que le corps du Christ ne peut être vu sous son aspect propre que dans un seul lieu ou il est contenu comme dans des limites. Aussi puisque c'est au ciel qu'on le voit et qu'on l'adore, ce n'est pas sous son aspect propre qu'il est vu dans ce sacrement. - Ensuite parce que le corps glorieux, qui apparaît comme il veut, après son apparition disparaît quand il veut, selon S. Luc (Lc 24,3 1) 1): "Le Seigneur disparut aux yeux des disciples." Or, ce qui apparaît sous l'aspect de la chair, dans ce sacrement, demeure longtemps ainsi. Bien plus, on lit parfois qu'il a été enfermé et, par la décision de nombreux évêques, mis en réserve dans un ciboire; façon de faire qui serait impie, s'adressant au Christ sous son aspect propre.

Il faut donc dire qu'ici les dimensions antérieures subsistent, tandis que d'autres accidents tels que la figure, la couleur, etc. sont miraculeusement modifiés pour faire apparaître de la chair, du sang, ou même un enfant.

Et, comme nous l'avons dit plus haut, il n'y a pas là d'illusion, car cela se fait "en figure d'une vérité", c'est-à-dire pour montrer par cette apparition miraculeuse que dans ce sacrement se trouvent vraiment le corps et le sang du Christ. Ainsi est-il clair que les dimensions demeurent, qui sont les fondements des autres accidents, comme on le montrera plus loin: c'est ainsi que le corps du Christ demeure vraiment dans ce sacrement.

(Somme Théologique, III Qu.76 a.8 resp.)

Puis, commentant les « accidents » qui subsistent (c'est à dire les changements dans l'apparence, par exemple une hostie qui se soulève, ou qui saigne), saint Thomas réfléchit au fait que ces accidents ne concernent plus le pain ou le vin puisque leur substance a été changée en corps du Christ. Il écrit :

« On est donc contraint d'admettre que, dans ce sacrement, les accidents subsistent sans sujet. Ce qui peut être produit par la vertu divine.

Car, puisque l'effet dépend davantage de la cause première que de la cause seconde, Dieu, qui est la cause première de la substance et de l'accident, peut par sa vertu infinie conserver dans l'être un accident dont la substance a été enlevée, alors que cette substance le conservait dans l'être comme étant sa cause propre.

C'est ainsi que Dieu peut produire d'autres effets des causes naturelles en se passant de ces causes naturelles; par exemple, il a formé un corps humain dans le sein de la Vierge "sans la semence d'un homme".

(Somme Théologique, III Qu.77 a.1 resp.)


Saint Thomas d'Aquin

Synthèse F. Breynaert

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