Le piétisme luthérien

Le piétisme luthérien

Nous résumons H. Jaeger, attaché de recherches au centre national de recherches scientifiques (CNRS).

Le primat du sentiment religieux.

Le mouvement piétiste est peu cohérent, il est difficile de le définir.

Il peut être analysé comme une réaction au refus de l'immanence divine dans l'enseignement de Luther. Le chrétien de base se sent exténué à ne vivre que de la foi pour une justification reçue de l'extérieur. Alors, le piétisme met la piété à la place de la foi ; ce faisant, il modifie de fond en comble la spiritualité luthérienne.

Ce qui prime pour le mouvement piétiste, c'est la fluidité des sentiments religieux, leur fusion sans distinction.

Pour faire avancer la vie intérieure, le mouvement piétiste pense nécessaire l'expérience continue des émotions du cœur, souvent méthodiquement excitées.

Cependant, le piétisme transforme l'expérience « spirituelle » en une habitude bien vite trop usée pour être personnelle : c'est tout l'inverse de ce que préconisait Luther...

Le rejet des efforts intellectuels même minimes.

Dans ce contexte, le mouvement piétisme rejette les efforts intellectuels les plus minimes.

Le christianisme primitif et les premiers disciples de Jésus sont présentés comme des hommes incultes, modèles du christianisme authentique. La personne est alors noyée dans la masse des gens simples sans instruction selon une sorte d'idéal communiste de la communauté primitive.

Le mouvement piétisme adapte à la langue commune le vocabulaire religieux et psychologique de Luther et du théologien luthérien Arndt ; mais il adapte tout autant le vocabulaire des théosophes, Paracelse ou Boehme.

Le mouvement piétisme cultive la langue maternelle (notamment allemande - ce qui va par la suite nourrir le nationalisme allemand par un élan profond). De là aussi vient l'idée chère au fameux théologien Schleiermacher que seule langue maternelle comporte une vraie valeur pédagogique.

Le culte de l'amitié spirituelle et le culte de la femme.

Le réveil piétiste allemand se complait dans des interminables effusions, des échanges d'expériences émotionnelles, les larmes, la jouissance, les déceptions. C'est dans le cœur humain que se joue le salut, c'est pourquoi il faut s'exprimer afin que soit assuré le progrès spirituel.

Et, du faut que la femme est naturellement vouée à la vie intérieure, il faut se mettre à l'école de la femme. Cependant, le modèle féminin n'est pas la Vierge Marie de l'Evangile (qui, du côté catholique, n'évite pas non plus le sentimentalisme). Véritable incarnation de la sagesse, Madame Guyon représente pour Gottfried Arnold le meilleur guide spirituel.

On distingue cependant plusieurs branches dans le piétisme luthérien. Citons par exemple :

Le piétisme modéré de Philipp Jacob Spener qui met l'accent sur la piété plus que sur la foi, sur le petit cercle de fidèles fervents plus que sur l'Eglise luthérienne.

Le piétisme de Halle, inauguré par August Hermann Francke. Il insiste de manière radicale sur la piété et sur l'expérience immédiate de la conversion, de l'heure même de la nouvelle naissance. (Il faut se souvenir ici que Luther, à la différence de Calvin, n'avait pas de doctrine de la sanctification progressive : par conséquent, dès lors que la piété remplace la foi, il faut ressentir émotionnellement la conversion comme un évènement très ponctuel).

Le piétisme enthousiaste et ses variantes apocalyptiques, illuministes (cf. Gottfried Arnold).

Etc.

N.B. L'enfance de Kant, fondateur de l'idéalisme allemand, s'est déroulée en milieu piétiste.

Ouverture mariale.

La Vierge Marie est la mère du Bel amour, celle qui nous fait mieux comprendre la miséricorde de Dieu le Père, et celle dont la vie surnaturelle n'a pas détruit les merveilleuses qualités du cœur.

La redécouverte dans les milieux luthériens de Marie, mère de Dieu, pourrait bien être une chance capable, en évitant les dérives, de préserver le meilleur de la mystique de Luther.


Source : H. JAEGER, « Mystique protestante et anglicane », dans Aa Vv, La mystique et les mystiques, DDB, Paris 1965, p. 310-316.

Synthèse F. Breynaert