Le voeu de servitude à Jésus et à Marie


Le cardinal Pierre de Bérulle (1575 -1629) est un homme d’État français influent, et le représentant majeur de l'École française de spiritualité et le fondateur de la Société de l'Oratoire. Louis-Marie Grignion de Montfort dit de lui qu'il joua un rôle important dans le développement de la dévotion mariale en France. Dans La Vie de Jésus, il explique comment, par l’union spirituelle à Jésus et Marie s’opère ce qu’il nomme un « vœu de servitude » qu’il convient de formuler.

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S'unir à Jésus pour aimer et adorer Dieu le Père

L'activité et l'influence de M. de Bérulle ne peuvent s'expliquer, comme chez les grands apôtres et réformateurs, que par un puissant souffle spirituel venant des profondeurs du cœur. Œuvre de l'Esprit de Dieu, ce souffle s'exprime selon la grâce et la vocation de chacun dans l'Eglise.

D'abord axé sur les grandeurs et les perfections de Dieu, son regard va, à l'occasion d'une retraite en 1602, puis d'une grâce mystique en 1607, opérer un dépassement et se porter sur la personne de Jésus, Verbe Incarné, parfait adorateur du Père, modèle et moyen de ce que doivent être notre attitude et nos dispositions envers le Père.

La personne de Jésus - son humanité, ses dispositions intérieures, les mystères de sa vie, surtout l'Incarnation, source de tous les autres - se trouve désormais être au cœur de l'existence de Bérulle, de son enseignement spirituel. Si l'homme ne peut se réaliser qu'en se situant par rapport au Dieu Infini dans l'adoration et l'amour, il ne peut accomplir cette œuvre qu'en s'unissant d'abord à la personne de Jésus, Dieu et Homme, parfait adorateur en même temps que Fils tout aimant.

C'est pour qu'il puisse en être ainsi que Jésus s'est incarné et a vécu les mystères de sa vie. Ils sont mystères de lui, remplis de son amour adorant, et mystères pour nous, les membres de son Corps. Ils sont lumière pour nous, appel pour nous, grâce pour nous. Nous avons à les vivre à notre tour (travail, souffrance, relations, joies, peines, solidarités, partage). Nous ne pouvons les vivre en enfants de Dieu sans lui, nous ne pouvons nous accomplir qu'en lui.

Bérulle écrit :

«Jésus est notre accomplissement, et il faut nous lier à Jésus, comme celui qui est le fond de notre être par sa divinité, et le lien de notre être à Dieu par son humanité, la vie de notre vie, la plénitude de notre capacité.
Notre première connaissance doit être notre condition manquée et imparfaite ; et notre premier mouvement doit être à Jésus comme à notre accomplissement, et en cette recherche de Jésus, en cette adhérence à Jésus, en cette continuelle et profonde dépendance de Jésus est notre vie, notre repos, notre force et toute puissance à opérer; et jamais nous ne devons agir que comme unis à lui, dirigés par lui et tirant esprit de lui.»

Un « vœu de servitude » à Jésus-Christ

Logique avec cette nécessité de dépendre de Jésus pour le laisser revivre en nous sa vie de Fils de Dieu, Bérulle ira jusqu'à proposer aux Oratoriens, aux Carmélites et à des personnes qu'il dirige un « vœu de servitude» à Jésus-Christ.

Relisons ces extraits d'un de ses textes. Ils nous disent la teneur de cette démarche, qu'il présente et justifie comme une reprise des vœux du baptême:

« Je fais vœu à Dieu de servitude perpétuelle à Jésus-Christ; à son humanité déifiée et à sa Divinité humanisée.

Et ainsi, en l'honneur de l'unité du Fils avec le Père et le Saint-Esprit, et de l'union de ce même Fils avec cette nature humaine qu'il a prise et jointe à sa propre Personne... je lie mon être à Jésus et à son humanité déifiée par le lien de servitude perpétuelle...

Ô grand et admirable Jésus, je me rends à perpétuité votre esclave et de votre humanité adorable.

En l'honneur de l'état et forme de serviteur que vous avez prise et à laquelle vous avez voulu réduire votre divinité en l'humanité, et votre humanité en l'état et la forme de servitude de vie qu'elle a menée sur terre...

Je veux qu'en raison de l'intention présente chaque moment de ma vie et chaque action d'icelle vous appartienne, ô Jésus, et à votre humanité sacrée, comme si je les lui offrais toutes en particulier ».[1]

Un « vœu de servitude » à la Vierge Marie

Le «vœu » de servitude à Jésus-Christ se double en Bérulle d'un « vœu de servitude » à la Vierge Marie. Il le propose aux mêmes personnes, non sans susciter des réticences dans quelques carmels, au motif qu'une telle démarche n'était pas prévue dans la réforme introduite par la Mère Thérèse d'Avila.
Pour le grand spirituel, un tel « vœu » (le mot n'étant à prendre, ni ici ni là, au sens canonique de «vœu religieux », mais d'engagement, de choix) découle du rôle même voulu par le Père à Marie dans le mystère ineffable de l'Incarnation.

Il découvre la grandeur incomparable de Marie élevée par la maternité divine à un degré inouï d'union au Père, au Fils et à l'Esprit Saint.

Par le Fiat, Marie communie parfaitement à l'adoration, à l'amour et au service que Jésus est venu rendre à son Père. Désormais elle n'a plus de vie intérieure et extérieure que de lui et pour lui. En même temps, sa maternité divine lui confère « droit et pouvoir de donner Jésus aux âmes ».

Le « vœu de servitude » découle donc de la grandeur et du pouvoir maternel de la Vierge auprès de Jésus et auprès des membres de son Corps. Il est reconnaissance de ce pouvoir maternel et volonté de s'y soumettre, pour l'honorer et en recueillir tous les fruits pour la parfaite union à Jésus. Nous trouvons une expression de ce « vœu » dans une très longue « Elévation à Dieu » (12 pages dans La Vie de Jésus).

Voici la prière finale de cette « élévation » :

« En l'honneur donc de votre sainteté, de votre maternité, de votre souveraineté, je me dédie et consacre tout à vous, ô Vierge des vierges, des saintes, fille et épouse du Père, mère et servante du Fils et sanctuaire du Saint-Esprit; je veux et désire de tout mon cœur que vous ayez une puissance spéciale sur mon âme, sur mon état, sur ma vie et sur mes actions, comme sur une chose qui vous appartient et par titre de vos grandeurs, et par un droit nouveau et particulier ; en vertu de l'élection que je fais de dépendre entièrement de votre sainteté, de votre maternité, de votre souveraineté, à raison de cette immense servitude que je vous offre pour jamais. . .

Je vous supplie de me tenir et traiter en la terre comme votre esclave qui s'abandonne à tous vos vouloirs et qui se livre à tous vos pouvoirs et à tous les effets de votre grandeur et souveraineté sur une chose qui vous appartient.

Je vous supplie aussi, Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Dieu, de me tenir et considérer désormais comme l'esclave de votre Très Mère, en l'honneur de ce que vous êtes son Fils et qu'elle est votre Mère, et en l'honneur de ce qu'elle est seule entre toutes les créatures qui a ce rapport singulier et admirable avec vous, et je vous supplie qu'en cette qualité vous daigniez me faire part de vos voies et miséricordes éternelles. Amen. »[2]

C'est ce que les spirituels appellent « la voie du saint esclavage» ou «l'esclavage d'amour ». Tout amour vrai impliquant une dépendance de la personne aimée, cet amour peut aller jusqu'au choix libre de la dépendance totale.

 

 

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Pour en savoir plus

- sur Pierre de Bérulle (1575-1629, cardinal), dans l'Encyclopédie mariale

-sur Les expressions bibliques : serviteur, servante, dans l'Encyclopédie mariale

-sur l’école française de spiritualité, dans l'Encyclopédie mariale