Des mots forts, une expérience mystique

Des mots forts, une expérience mystique

A l’heure où les tenants du new-age proposent des techniques spirituelles où l’homme est sensé se maîtriser et se construire seul, il est aujourd’hui très utile de rappeler la relation au Dieu créateur et l’action divine dans l’expérience mystique.

Car Dieu est Trinité, effacement et jaillissement...

Dieu créateur est une Trinité où le rythme est celui du don et du dépouillement.

Comment ce Dieu n’encouragerait pas que sa créature suive le même rythme, se dépouillant de l’être reçu pour le recevoir encore ?

Il ne s'agit pas seulement de se dépouiller du vieil homme (problématique du péché originel), il s'agit surtout d'imiter la vie trinitaire où le rythme est celui du don et du dépouillement.

Marie est celle qui a correspondu au projet du créateur. C'est pourquoi nous nous offrons à Dieu par Marie.

Vis à vis de Dieu, notre offrande peut s'exprimer avec un vocabulaire radical, comme un don qui remet l'essence de notre humanité :

« C’est l’esclavage d’amour et de volonté ; et c’est celui par lequel nous devons nous consacrer à Dieu par Marie, de la manière la plus parfaite dont une créature se puisse servir pour se donner à son Créateur. » (SM 32)

Notons qu'en hébreu,

le mot " 'eved " désigne les Hébreux en Egypte, on traduit alors "esclaves" ;

le mot " 'eved " désigne aussi Moïse et David, on traduit alors "Serviteurs" (du Seigneur), et il évident que le service du Seigneur ennoblit et libère.

Se donner ainsi est une dynamique pour rejoindre notre origine en son jaillissement du Créateur.

L'éclairage mystique du Carmel

Thérèse d’Avila s’oppose à toute « inhibition » volontaire, à tout ce qui pourrait rendre « stupide ». [1]

Mais tout au long de son enseignement, Thérèse parle de certains états où Dieu agit seul, et où notre rôle est passif, nous lui avons déjà remis les clés. [2]

Ceci correspond au langage du don radical en qualité d'esclave.

L’effet est tout l’inverse d’une aliénation de la personne : « Dieu retire âme de la terre et l’établit maîtresse de tout au monde » [3] ; dans une profonde humilité car elle sait qu’elle se reçoit, elle a une très grande force et la capacité d’aider les autres [4].

Ceci correspond à ce que saint Louis-Marie de Montfort décrit : après le don de soi en qualité d’esclave d’amour le chrétien s'éloigne de la vanité des créatures, devient fort et persévérant, et il devient un bienfait pour les autres (Le Secret de Marie 67-78).

Un mot fort qui parle de fidélité

La radicalité du don de soi, « tout entier », s’oppose à un certain "rationalisme" du XVIIIe siècle, à une certaine casuistique qui distinguait le minimum à donner à Dieu d’avec le reste vécu selon une sagesse naturelle.

Montfort portait le soucis de la persévérance des chrétiens. Il a observé que se donner tout entier à Marie était un moyen de persévérance (VD 173-179). Et il a utilisé le mot esclave (VD 206. SM 67 etc.) pour marquer les esprits : l’esclave est tel pour toujours.

Dans L’amour de la sagesse éternelle (ASE 225), l’expression « en qualité d’esclave » se trouve dans un contexte baptismal. Se donner au Christ par Marie est un renouvellement des vœux du baptême (VD 120), une « ratification » (cf. ASE 225) accomplie en pleine conscience et lucidité de l’appartenance au Christ.

L’idée d’appartenance répond au fait que le don de Dieu au baptisé est objectif et irrévocable.

On pourrait donc paraphraser « je me donne […] en qualité d’esclave » (SM 68) en disant « je me donne fidèlement », ou, en tenant compte des remarques précédentes, « Je me donne gratuitement, fidèlement, entièrement, comme Dieu s’est donné à moi ».


Abréviations :

ASE : Saint Louis Marie de Montfort, Amour de la Sagesse éternelle

SM : Saint Louis Marie de Montfort, Le Secret de Marie

VD : Saint Louis Marie de Montfort, Traité de la vraie dévotion à la Vierge


Notes :

[1] Thérèse d'Avila, Le Château intérieur, 6e demeures, VII 15. et Autobiographie XII,5

[2] Thérèse d'Avila, Autobiographie, XX, 22

[3] Thérèse d'Avila, Autobiographie, XXI, 8

[4] Thérèse d'Avila, Autobiographie, XXI, 11. 12


F. Breynaert

Divers extraits choisis dans :

Françoise BREYNAERT, L'arbre de vie,

er%5D=Glossaire" title="D’un mot grec qui signifie «rassembler».Au sens courant, c’est le sig..." class="definition_texte">symbole central de la spiritualité de Saint Louis-Marie de Montfort, éditions Paroles et silence 2006. (Thèse de doctorat).