Pourquoi je t'aime, ô Marie !


Dans la dernière poésie qu’elle a composée (P. 54 - mai 1897), Ste Thérèse de Lisieux nous offre, en même temps qu’un vibrant hommage d’amour à la Vierge Marie, les fondements de sa mariologie.

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"Oh! Je voudrais chanter, Marie pourquoi je t'aime

Pourquoi ton nom si doux fait tressaillir mon cœur

Et pourquoi la pensée de ta grandeur suprême

Ne saurait à mon âme inspirer de frayeur.

 

Si je te contemplais dans ta sublime gloire

Et surpassant l'éclat de tous les bienheureux

Que je suis ton enfant je ne pourrais le croire

O Marie, devant toi je baisserais les yeux!...

 

Il faut pour qu'un enfant puisse chérir sa mère

Qu'elle pleure avec lui, partage ses douleurs

O ma Mère chérie, sur la rive étrangère

Pour m'attirer à toi, que tu versas de pleurs!...

 

En méditant ta vie dans le saint Évangile

J'ose te regarder et m'approcher de toi

Me croire ton enfant ne m'est pas difficile

Car je te vois mortelle et souffrant comme moi...

 

Lorsqu'un ange du Ciel t'offre d'être la Mère

Du Dieu qui doit régner toute l'éternité

Je te vois préférer, ô Marie, quel mystère!

L'ineffable trésor de la virginité.

 

Je comprends que ton âme, ô Vierge Immaculée

Soit plus chère au Seigneur que le divin séjour

Je comprends que ton âme, Humble et Douce Vallée

Peut contenir Jésus, L'Océan de l'Amour!.

 

Oh! Je t'aime, Marie, te disant la servante

Du Dieu que tu ravis par ton humilité

Cette vertu cachée te rend toute-puissante

Elle attire en ton cœur la Trinité

 

Alors l'Esprit d'Amour te couvrant de son ombre

Le Fils égal au Père en toi s'est incarné...

De ses frères pécheurs bien grand sera le nombre

Puisqu'on doit l'appeler: Jésus, ton premier-né!...

 

O Mère bien-aimée, malgré ma petitesse

Comme toi je possède en moi Le Tout-Puissant

Mais je ne tremble pas en voyant ma faiblesse:

Le trésor de la mère appartient à l'enfant

 

Et je suis ton enfant, ô ma Mère chérie

Tes vertus, ton amour, ne sont-ils pas à moi?

Aussi lorsqu'en mon cœur descend la blanche Hostie

Jésus, ton Doux Agneau, croit reposer en toi!...

 

Tu me le fais sentir, ce n'est pas impossible

De marcher sur tes pas, ô Reine des élus,

L'étroit chemin du Ciel, tu l'as rendu visible

En pratiquant toujours les plus humbles vertus.

 

Auprès de toi, Marie, j'aime à rester petite,

Des grandeurs d'ici-bas je vois la vanité,

Chez Elisabeth, recevant ta visite,

J'apprends à pratiquer l'ardente charité.

 

Là j'écoute ravie, Douce Reine des anges,

Le cantique sacré qui jaillit de ton cœur.

Tu m'apprends à chanter les divines louanges

À me glorifier en Jésus mon Sauveur.

 

Tes paroles d'amour sont de mystiques roses

Qui doivent embaumer les siècles à venir.

En toi le Tout-Puissant a fait de grandes choses

Je les veux méditer, afin de l'en bénir.

 

Quand le bon Saint Joseph ignore le miracle

Que tu voudrais cacher dans ton humilité

Tu le laisses pleurer tout près du Tabernacle

Qui voile du Sauveur la divine beauté!...

 

Oh! Que j'aime, Marie, ton éloquent silence,

Pour moi c'est un concert doux et mélodieux

Qui me dit la grandeur et la toute-puissance

D'une âme qui n'attend son secours que des Cieux...

 

Plus tard à Bethléem, ô Joseph et Marie!

Je vous vois repoussés de tous les habitants

Nul ne veut recevoir en son hôtellerie

De pauvres étrangers, la place est pour les grands...

 

La place est pour les grands et c'est dans une étable

Que la Reine des Cieux doit enfanter un Dieu.

O ma Mère chérie, que je te trouve aimable

Que je te trouve grande en un si pauvre lieu!...

 

Quand je vois L'Éternel enveloppé de langes

Quand du Verbe Divin j'entends le faible cri

O ma Mère chérie, je n'envie plus les anges

Car leur Puissant Seigneur est mon Frère chéri!...

 

Que je t'aime, Marie, toi qui sur nos rivages

As fait épanouir cette Divine Fleur!....

Que je t'aime écoutant les bergers et les mages

Et gardant avec soin toute chose en ton cœur!...

 

Je t'aime te mêlant avec les autres femmes

Qui vers le temple saint ont dirigé leurs pas

Je t'aime présentant le Sauveur de nos âmes

Au bienheureux Vieillard qui le presse en ses bras

 

D'abord en souriant j'écoute son cantique

Mais bientôt ses accents me font verser des pleurs.

Plongeant dans l'avenir un regard prophétique

Siméon te présente un glaive de douleurs.

 

O Reine des martyrs, jusqu'au soir de ta vie

Ce glaive douloureux transpercera ton cœur

Déjà tu dois quitter le sol de ta patrie

Pour éviter d'un roi la jalouse fureur.

 

Jésus sommeille en paix sous les plis de ton voile

Joseph vient te prier de partir à l'instant

Et ton obéissance aussitôt se dévoile

Tu pars sans retard et sans raisonnement.

 

Sur la terre d'Égypte, il me semble, ô Marie

Que dans la pauvreté ton cœur reste joyeux,

Car Jésus n'est-Il pas la plus belle Patrie,

Que t'importe l'exil, tu possèdes les Cieux?...

 

Mais à Jérusalem, une amère tristesse

Comme un vaste océan vient inonder ton cœur

Jésus, pendant trois jours, se cache à ta tendresse

Alors c'est bien l'exil dans toute sa rigueur!...

 

Enfin tu l'aperçois et la joie te transporte,

Tu dis au bel Enfant qui charme les docteurs:

"O mon Fils, pourquoi donc agis-tu de la sorte? "

Voilà ton père et moi qui te cherchions en pleurs."

 

Et l'Enfant Dieu répond, oh quel profond mystère !

À la Mère chérie qui tend vers lui ses bras:

"Pourquoi me cherchiez-vous?... Aux œuvres de mon Père

Il faut que je m'emploie; ne le savez-vous pas?"

 

L'Évangile m'apprend que croissant en sagesse

À Joseph, à Marie, Jésus reste soumis

Et mon cœur me révèle avec quelle tendresse

Il obéit toujours à ses parents chéris.

 

Maintenant je comprends le mystère du temple,

Les paroles cachées de mon Aimable Roi.

Mère, ton doux Enfant veut que tu sois l'exemple

De l'âme qui Le cherche en la nuit de la foi.

 

Puisque le Roi des Cieux a voulu que sa Mère

Soit plongée dans la nuit, dans l'angoisse du cœur;

Marie, c'est donc un bien de souffrir sur la terre?

Oui souffrir en aimant c'est le plus pur bonheur!...

 

Tout ce qu'Il m'a donné Jésus peut le reprendre

Dis-lui de ne jamais se gêner avec moi...

Il peut bien se cacher, je consens à l'attendre

Jusqu'au jour sans couchant où s'éteindra ma foi...

 

Je sais qu'à Nazareth, Mère pleine de grâces

Tu vis très pauvrement, ne voulant rien de plus

Point de ravissements, de miracles, d'extases

N'embellissent ta vie, ô Reine des Élus!...

 

Le nombre des petits est bien grand sur la terre

Ils peuvent sans trembler vers toi lever les yeux

C'est par la voie commune, incomparable Mère

Qu'il te plaît de marcher pour les guider aux Cieux.

 

En attendant le Ciel, ô ma Mère chérie,

Je veux vivre avec toi, te suivre chaque jour

Mère, en te contemplant, je me plonge ravie

Découvrant dans ton cœur des abîmes d'amour.

 

Ton regard maternel bannit toutes mes craintes

Il m'apprend à pleurer, il m'apprend à jouir.

Au lieu de mépriser les joies pures et saintes

Tu veux les partager, tu daignes les bénir.

 

Des époux de Cana voyant l'inquiétude

Qu'ils ne peuvent cacher, car ils manquent de vin

Au Sauveur tu le dis dans ta sollicitude

Espérant le secours de son pouvoir divin.

 

Jésus semble d'abord repousser ta prière

"Qu'importe" répond-Il, «femme, à vous et à moi?"

Mais au fond de son cœur, Il te nomme sa Mère

Et son premier miracle, Il l'opère pour toi...

 

Un jour que les pécheurs écoutent la doctrine

De Celui qui voudrait au Ciel les recevoir

Je te trouve avec eux, Marie, sur la colline

Quelqu'un dit à Jésus que tu voudrais le voir

 

Alors, ton Divin Fils devant la foule entière

De son amour pour nous montre l'immensité

Il dit: «Quel est mon frère et ma sœur et ma Mère,

Si ce n'est celui-là qui fait ma volonté?"

 

O Vierge Immaculée, des mères la plus tendre

En écoutant Jésus, tu ne t'attristes pas

Mais tu te réjouis qu'Il nous fasse comprendre

Que notre âme devient sa famille ici-bas

 

Oui tu te réjouis qu'Il nous donne sa vie,

Les trésors infinis de sa divinité!...

Comment ne pas t'aimer, ô ma Mère chérie

En voyant tant d'amour et tant d'humilité?

 

Tu nous aimes, Marie, comme Jésus nous aime

Et tu consens pour nous à t'éloigner de Lui.

Aimer c'est tout donner et se donner soi-même

Tu voulus le prouver en restant notre appui.

 

Le Sauveur connaissait ton immense tendresse

Il savait les secrets de ton cœur maternel,

Refuge des pécheurs, c'est à toi qu'Il nous laisse

Quand Il quitte la Croix pour nous attendre au Ciel.

 

Marie, tu m'apparais au sommet du Calvaire

Debout près de la Croix, comme un prêtre à l'autel

Offrant pour apaiser la justice du Père

Ton bien-aimé Jésus, le doux Emmanuel...

 

Un prophète l'a dit, ô Mère désolée,

"Il n'est pas de douleur semblable à ta douleur!"

O Reine des Martyrs, en restant exilée

Tu prodigues pour nous tout le sang de ton cœur!

 

La maison de Saint Jean devient ton seul asile

Le fils de Zébédée doit remplacer Jésus...

C'est le dernier détail que donne l'Évangile

De la Reine des Cieux il ne me parle plus.

 

Mais son profond silence, ô ma Mère chérie

Ne révèle-t-il pas que Le Verbe Éternel

Veut Lui-même chanter les secrets de ta vie

Pour charmer tes enfants, tous les Élus du Ciel?

 

Bientôt je l'entendrai cette douce harmonie

Bientôt dans le beau Ciel, je vais aller te voir

Toi qui vins me sourire au matin de ma vie

Viens me sourire encor...Mère...voici le soir!...

 

Je ne crains plus l'éclat de ta gloire suprême

Avec toi j'ai souffert et je veux maintenant

Chanter sur tes genoux, Marie, pourquoi je t'aime

Et redire à jamais que je suis ton enfant!..."

 

Source :

Ste Thérèse de Lisieux, Poésie 54 - mai 1897

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Pour en savoir plus

-sur ste Thérèse de Lisieux (1873-1897), docteur de l’Église, dans l’Encyclopédie mariale

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