Quelle historicité pour la Présentation de Marie au Temple ?


La question de l’historicité de la Présentation de Marie au Temple est complexe. Elle est liée à la tradition populaire de la vie de Marie à l’intérieur du Temple pendant son enfance.

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Pour aborder la question de l’historicité de la Présentation de Marie au Temple, il est nécessaire d’établir une distinction entre

- L'acte intérieur par lequel Joachim et Anne, ont offert la petite Marie au Seigneur, pour que Dieu son guide et sa plénitude. Et l'acte intérieur de la petite Marie elle-même qui se livre et consacre avec un « Oui » entier, prélude du » Oui » de l'Annonciation. L'Église d'Orient et d'Occident a toujours validé une telle tradition.

- L'acte extérieur d'une venue au Temple de Jérusalem et d'une vie « cloîtrée » de l'enfant Marie, éduquée par une maîtresse. Cette tradition populaire provient des récits apocryphes et elle est diversement reçue. C'est sur cet aspect que porte la discussion d'historicité.

L'apport de l'Ancien Testament

L'Ancien Testament mentionne le service de femmes à l'entrée de la Tente de la Rencontre :

" Il fit le bassin en bronze et son socle en bronze avec les miroirs des femmes qui faisaient le service à l'entrée de la Tente du Rendez-vous." (Exode 38,8).

L'apport du Nouveau Testament

Dans le Nouveau Testament, le descriptif d'Anne la prophétesse qui

"ne s'écartait pas du Temple, rendant un culte [à Dieu] nuit et jour par des jeûnes et des prières" (Luc 2,37)

pourrait laisser supposer qu'il y avait des femmes dans le Temple, mais notons que l'évangile ne dit pas « dans » le Temple, mais à proximité (elle ne « s'en écartait pas »).

Les traditions juives.

La tradition juive (Mishna et Talmud) nous aide très peu. Il est dit que le voile du temple est tissé par des « jeunes filles » filles [hébreu : « ribot » et non pas « betoulot », vierge] (Mishna Sheqalim 8,5).

Une autre source juive dit que le voile est tissé par des vierges : Au moment de la destruction du temple :

« Quand les vierges qui tissaient le rideau du temple virent que le temple était en feu, elles se jetèrent dans le feu, afin que l'ennemi ne puisse pas les violer » (Pesiqta Gabbati ; Piska 26, 6).

Ce texte semble indiquer que les vierges vivaient au temple, mais ce n'est pas certain. Le texte est un midrash qui se réfère à « D'en haut il a envoyé un feu » (Lam 1, 13) et en tant que midrash, son but n'est pas historique. De plus, ce texte est éloigné des origines : les spécialistes considèrent qu'il date du 3°, 7° ou 8° siècle[1].

Une troisième source juive dit que le voile est tissé par « des femmes » (Tosephta Sheqalim) .Il est dit que les femmes (nashim) qui tissaient le rideau du temple étaient payées. Cela est repris dans d'autres textes plus tardifs.

Aucun de ces textes ne mentionne un logement de ces jeunes filles ou de ces femmes dans l'enceinte du temple comme dans une « clôture religieuse ».

Enfin, Clemens Brentano[2] pense avoir trouvé chez le rabbin Azarias de Rubeis (XVIème siècle), une autorité juive attestant la présence de jeunes filles au service du Temple[3] en citant Philon d'Alexandrie. Ce que conteste "Les annales de philosophie chrétienne"[4] : la citation de Philon d'Alexandrie, reprise par le rabbin Azarias, semble en effet décrire des communautés d'hommes et de femmes plus proches des communautés esséniennes que des corps constitués du Temple.

Sources apocryphes, patristiques, et mystiques

Le Protévangile de Jacques est un récit apocryphe qui remonte au II° siècle et parle du vœu de Joachim et Anne de se séparer de la petite Marie pour qu'elle soit élevée dans le Temple du Seigneur (Protévangile deJacques 7, 1).

Longtemps mis à l'écart par les pères de l'Église, ce récit est repris au VII° siècle dans un cadre liturgique par saint Jean Damascène, et dans la « vie de la Vierge » de Maxime le Confesseur.

Au Moyen Age, Jacques de Voragine amplifie le récit apocryphe en écrivant « la Légende dorée ».

Parmi les mystiques, R. Laurentin compare les « vies de Marie » par Marie d'Agréda[5] (†1665), Anne Catherine Emmerich[6] (†1824), Maria Valtorta[7] (1961) et Consuelo[8] :

Au sujet de la consécration de Marie, ses conclusions sont qu’

« il s'agit là moins d'une dépendance directe à l'égard du texte du Protévangile que de la tradition commune, laissée dans la mémoire populaire, par la fête liturgique de la Présentation. »[9]

Au sujet de l'attitude de Marie lors de la montée des marches (les quinze marches du Pseudo-Matthieu), « les variantes abondent »[10] .

Au sujet de la vie de Marie dans le temple, les mystiques élaguent le merveilleux des récits apocryphes (Marie dans le Saint des saints, nourrie par la main des anges), Marie vie seulement dans l'enceinte du Temple où elle étudie et travaille de ses mains ; l'harmonie des quatre mystiques

« est parfaite mais en écho à la très large tradition populaire issue du Protévangile »[11]

La position catholique à travers les choix liturgiques

La fête de la « Présentation de Marie au Temple » provient des Églises d'Orient et elle est étendue à toute l'Église catholique par le pape Sixte IV en l'an 1472.

Mais en l'an 1568, le concile de Trente la supprime du calendrier à cause de ses origines apocryphes. En 1585, la fête est ré-inscrite en prescrivant cependant d'utiliser le formulaire liturgique de la Nativité de Marie.

Après le Concile Vatican II, à cause des incertitudes dues au manque de fondement biblique et historique, le pape Paul VI a conservé « la Présentation de Marie » [sans dire « au Temple »] en pensant à l'union avec les Églises orientales où c'est une fête très importante (cf. Marialis Cultus 7) et non plus au titre de « fête » mais de simple « mémoire » ; la liturgie catholique, comme les théologiens orthodoxes, insistent sur la signification spirituelle.[12]

Conclusion

Ni l'Ancien ni le Nouveau Testament, ni la Mishnah ni le Talmud ne donnent de précision sur un quelconque bâtiment dans l'enceinte du Temple qui aurait été réservé à des maîtresses éduquant des fillettes, mangeant et dormant dans une « clôture religieuse ».

Nous pourrions accepter d'imaginer que la Mishnah et le Talmud ait effacé des références évoquant des souvenirs chrétiens[13] . Mais comment comprendre un tel silence dans l'Ancien et le Nouveau Testament ?

S'il existait un statut de femme habitant le Temple, pourquoi l'évangéliste saint Luc ne le dit-il pas plus clairement au sujet de la prophétesse Anne (Lc 2, 37) ? Pourquoi, au contraire, Luc ne dit-il rien sur un statut de servante du Temple qui aurait été un honneur riche de signification pour la Vierge Marie ?

« Lc 1, 26 présente Marie comme une femme de Nazareth en Galilée sans titres humains mais chérie de Dieu, seul contraste que renforce les titres dynastiques de Zacharie et d'Elisabeth. »[14]


 

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Pour en savoir plus

-sur la Présentation de Marie au Temple, dans l’Encyclopédie mariale 

-sur l’enfance de Marie selon les mystiques, dans l’Encyclopédie mariale

-sur la Présentation de Marie au Temple dans l’art, dans l’Encyclopédie mariale

Françoise Breynaert et l’équipe de MDN.