Comment imaginer le quotidien de Marie?

"Béni sois-tu Seigneur qui m'as créée selon ta volonté".

 Telle était la berakah que toutes les filles d'Israël répétaient chaque matin dès le lever. Les hommes, on le sait récitaient trois bénédictions différentes. Dans la bénédiction qu'elle adressait à Dieu, Marie acceptait pleinement sa condition de femme.

Or, en Orient, la femme avait un rang inférieur à celui de l'homme. Aucune trace de revendication, ni de résignation dans cette prière, car Dieu a créé l'homme et la femme à son image. Chaque matin la mémoire de la femme était renvoyée à la parole de Dieu contenue dans la première page de la Bible, à l'hymne du Dieu créateur qui a donné une dignité sans pareille à l'homme et à la femme créés le sixième jour : 

"A peine le fis-tu moindre qu'un dieu, le couronnant de gloire et de splendeur", s’était écrié l'auteur du psaume 8.

Marie avait tout loisir de se rendre à la synagogue pour écouter la parole de Dieu. En effet, toute femme avait le droit de se rendre à la Synagogue au premier siècle de notre ère. L'introduction du matronée réservé aux femmes dans les Synagogues est tardive et ne date que du quatrième siècle.

Marie a été formée à la prière, à la Synagogue 

Les synagogues, en particulier celles des villages, n'étaient que des salles rectangulaires au centre desquelles le rouleau de la loi qui contenait la parole de Dieu était mis en honneur. Ce même rouleau servait de livre de lecture pour les garçons pendant la journée, car on n'avait pas les moyens d'acheter d'autres parchemins dans les villages.

Fréquentant la synagogue (après avoir passé son enfance au Temple !), Marie avait très souvent l'occasion d'écouter l'Ecriture, car la synagogue avant d'être le lieu de la prière était l'endroit où l'on approfondissait la parole de Dieu. "Shema Israel" : Ecoute Israël, répétait le livre du Deutéronome.

En hébreu le verbe "Shema" signifie "Ecoute" et "Obéis". Les rabbins en avaient déduit que seul celui qui obéit à la loi la comprend. Il faut vivre la loi pour la comprendre, car seule une connaissance expérimentale est authentique.

A la synagogue Marie a entendu proclamer les Poèmes du Serviteur qui rappelaient que la mission d'Israël était d'être le serviteur de Dieu qui apporte la lumière au monde. C'est pour cela qu'elle acceptera d'être la servante du Seigneur. Par elle la compassion du Créateur va passer à toutes les générations.

A la synagogue Marie pouvait facilement mémoriser les poésies et les prières rythmiques de la Bible, en particulier les Psaumes. La prière d'Anne, la mère de Samuel, qui offrait une synthèse de l'histoire du salut en même temps qu'un résumé de la pédagogie de Dieu, lui plaisait de façon particulière, étant une prière de femme. Bien plus, sa mère portait le beau nom d'Anne, "la gracieuse".

Lorsqu'elle visitera Elisabeth, l'action de grâce qui jaillit spontanément de sa mémoire dans le Magnificat s'inspire clairement des Psaumes et du Cantique d'Anne. Enfin, à la synagogue, Marie a appris que le juif refusait de nommer Dieu par son Nom, mais se contente d'évoquer ses attributs. Dans le Magnificat elle désigne Dieu comme le Puissant et le Saint. Dieu est Puissant et Saint.

Le judaïsme qu'a connu la Vierge Marie

Il est le Dieu de justice qui inspire la crainte religieuse de son peuple et aussi le Dieu de miséricorde qui étend sa compassion à toutes les générations. La crainte de Dieu n'était-elle pas le commencement de la sagesse? Le judaïsme n'est pas d'abord une orthodoxie, mais une orthopraxie. L'arbre se reconnaît à ses fruits. C'est dans son agir qu'on révèle les véritables pensées de son coeur.

Le judaïsme a toujours insisté sur l'accomplissement des oeuvres de charité. La version synagogale de la Bible au livre de la Genèse 35,9, lorsqu’elle évoque la mort de Débora que Jacob ensevelit à Béthel, ajoute une prière qui énumère les oeuvres de miséricorde que tout Juif est tenu d'observer:

"Dieu éternel... tu nous as enseigné à bénir le fiancé et la fiancée depuis Adam et sa compagne; tu nous as enseigné encore à visiter les malades depuis notre père Abraham, le juste, quand tu lui es apparu dans la plaine de la vision tandis qu’il souffrait toujours de sa circoncision; tu nous as enseigné aussi à consoler ceux qui pleurent, depuis notre père Jacob, le juste. La mort surprit Débora, nourrice de Rébecca sa mère, et Rachel mourut près de lui pendant son voyage. Il s’assit alors en poussant des clameurs et pleura en poussant de grands cris de détresse. Mais toi, dans ta miséricordieuse bonté, tu lui apparus et tu le bénis, tu le bénis de bénédictions de ceux qui pleurent et tu le consolas."

Trois oeuvres sont recensées : bénir le fiancé et la fiancée, visiter les malades et consoler ceux qui pleurent.

Parmi les oeuvres de miséricorde figure la visite des malades. Dans ce contexte s'inscrit la visite de Marie à sa cousine Elisabeth qui était enceinte. Mais il y a plus. Dans le Magnificat qu'elle chante Marie mentionne Israël :

"Il a porté secours à Israël son serviteur, se souvenant de sa miséricorde".

Marie connaissait la page biblique de la Genèse relatant la passage de Jacob au gué du Yabboq. Pour retrouver la terre qu'il avait quittée en fugitif, Jacob est attaqué par un être mystérieux qui se dévoile finalement comme étant Dieu lui-même. Dans cette lutte il a la hanche démise et reçoit un nom nouveau: 

"Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël, car tu as combattu avec Dieu comme avec des hommes et tu as vaincu".

Le sens du combat avec l'ange, pour Israël, au temps de la Vierge

Par sa solennité ce texte dépasse le stade d'un fait divers pour devenir une confession de foi, une illustration de ce que le peuple considère être l'origine et le but de son histoire, la lutte avec Dieu ou la lutte pour la victoire de Dieu. "Tu es bénie entre les femmes", le cri d'Elisabeth reprenait celui de Déborah célébrant Yaël qui avait tué l'ennemi d'Israël (Juges 5).

Marie savait que l'initiative de la lutte appartient à Dieu; c'est lui qui est l'assaillant et l'issue de la lutte est à la fois la victoire de l'homme sur Dieu et sa défaite par lui. Israël est l'enjeu d'une lutte; il ne peut pas échapper à Dieu. Il est à la fois écrasé et béni.

De cette lutte Jacob sort avec la hanche démise, mais aussi en emportant une bénédiction qui est une puissance de vie. La rencontre de Jacob avec Dieu lui permet de rencontrer ensuite son frère Esaü. Marie en concluait que la sacralité rejoint toujours le terrestre et la piété se double d'une éthique.

Marie avait appris qu'à l'origine d'Israël il y a l'élection. Israël est un peuple avec lequel Dieu est entré dans une relation particulière, afin d'accomplir par lui son oeuvre qui est le salut du monde.

A l'origine de cette élection il y a l'amour gratuit de Dieu. Aimer signifie choisir. La foi qui est demandée comme la forme normale d'existence est la réponse à l'élection. Le chemin de la foi mène tout d'abord celui qui est appelé dans l'isolement et la solitude, l'abandon de toutes les assurances conduit à la souffrance. Abraham l'avait appris à ses dépens.

Mais la souffrance, ce n'est rien d'autre que la main de Dieu sur Israël. Israël boîte de la hanche, sa marche dans le monde est mal assurée, elle lui a valu mépris et haine, mais c'est une marche vers la lumière. Marie répétait dans sa prière du Psaume 147:

"Pas un peuple qu'il ait ainsi traité, pas un n'a connu ses commandements".

Au milieu du monde païen, Marie professait avec tout Israël, la foi au Dieu unique

Et pourtant, c'était Rome qui avait imposé sa culture à la Palestine et son empire s’étendait jusqu’à l’extrémité orientale du bassin méditerranéen. Assujetti par les Romains, Israël conservait sa mémoire.

Celle-ci, consignée dans la Bible, et orchestrée dans la tradition orale, lui donnait une conscience très claire de son destin et une force de résistance à toutes les formes d’oppression. Chaque année la liturgie pascale entretenait, en l’actualisant, ce sens de la liberté que rien ne peut entraver. "L’an prochain, à Jérusalem".

Au milieu d’un monde païen, - peut-être Joseph travaillait-il à la reconstruction de Sephoris au contact des Romains - Marie professait avec tout Israël la foi au Dieu unique “qui a fait le ciel et la terre”. Elle l’adorait non seulement comme puissance créatrice, mais aussi comme le Miséricordieux qui est intervenu personnellement dans le cours de l’histoire pour choisir un peuple.