Judaïsme, Sagesse-Torah et loi naturelle

Judaïsme, Sagesse-Torah et loi naturelle

« Le don de la Loi au Sinaï, dont les « Dix Paroles » constituent le centre, est un élément essentiel de l'expérience religieuse d'Israël. Cette Loi d'alliance comporte des préceptes éthiques fondamentaux.

Ils définissent la manière dont le peuple élu doit répondre par la sainteté de sa vie au choix de Dieu : « Parle à toute la communauté des Israélites. Tu leur diras : ‘Soyez saints, car moi, Yahvé votre Dieu, je suis saint' » (Lv 19, 2).

Mais ces comportements éthiques sont aussi valables pour les autres peuples, de sorte que Dieu demande des comptes aux nations étrangères qui violent la justice et le droit (Amos 1-2.)

De fait, Dieu avait déjà conclu en la personne de Noé une alliance avec la totalité du genre humain qui impliquait en particulier le respect de la vie (Genèse 9). Plus fondamentalement, la création elle-même apparaît comme l'acte par lequel Dieu structure l'ensemble de l'univers en lui donnant une loi. « Qu'ils [les astres] louent le nom du Seigneur : lui commanda, eux furent créés ; il les posa pour toujours sous une loi qui jamais ne passera » (Ps 148, 5-6). Cette obéissance des créatures à la loi de Dieu est un modèle pour les hommes. » (1)

« La Bible contient aussi une littérature de sagesse. Cette sagesse ne se trouve pas tant dans l'histoire que dans la nature et la vie de tous les jours. (2) Dans cette littérature, la Sagesse est souvent présentée comme une perfection divine, parfois hypostasiée. Elle se manifeste de manière étonnante dans la création, dont elle est « l'ouvrière » (Sg 7, 21). L'harmonie qui règne entre les créatures lui rend témoignage.

De cette sagesse qui vient de Dieu, l'homme est rendu participant de multiples manières. Cette participation est un don de Dieu qu'il faut demander dans la prière : « J'ai prié, et l'intelligence m'a été donnée, j'ai invoqué, et l'esprit de Sagesse m'est venu » (Sg 7, 7).

Elle est encore le fruit de l'obéissance à la Loi révélée. En effet, la Torah est comme l'incarnation de la sagesse. « Convoites-tu la sagesse ? Garde les commandements, le Seigneur te la prodiguera. Car la crainte du Seigneur est sagesse et instruction » (Si 1, 26-27).

Mais la sagesse est aussi le résultat d'une observation sagace de la nature et des mœurs humaines dans le but de découvrir leur intelligibilité immanente et leur valeur exemplaire (Pr 6, 6-9) » (3)

Le judaïsme a identifié la loi de Moïse à la Sagesse préexistante qui préside aux destinées de l'univers (cf. Si 24, 23), ce qui permet de considérer dans le Décalogue une expression privilégiée et toujours valable de la loi naturelle, ce qu'ont bien compris les chrétiens eux aussi (4). D'ailleurs, pour certains Pères, une des raisons pour lesquelles Dieu donna une loi écrite à Moïse fut de rappeler aux hommes les exigences de la loi naturellement écrites dans leur cœur mais que le péché avait partiellement obscurcies et effacées (5).

Philon est un Juif qui vécut à Alexandrie (12 av J.-.C. - vers 54 après J-C), il écrivit De Abrahamo (6) :

- Selon Philon, Abraham, sans la Loi écrite, menait déjà « par nature » une vie conforme à la Loi :

« [275] Moïse dit : ‘Cet homme [= Abraham] accomplit la loi divine et tous les ordres divins' (Gn 26, 5). Et il n'avait pas reçu un enseignement de textes écrits. Mais, poussé par la nature - non écrite - il mit son zèle à suivre de près des élans sains et sans défaut. »

- Philon observe que c'est très adéquat que Moïse ait parlé de Enos, Enoch, Noé (et Abraham) dans « LE livre de la Genèse de l'homme. », car

« [11] Celui qui espère est digne d'être inscrit et rappelé, non pas sur de petits morceaux de papyrus qui seront détruits par les vers, mais dans la nature immortelle, en laquelle les bonnes actions se trouvent comme enregistrées par écrit. »

Autrement dit, Enos, Enoch, Noé et Abraham vivent une certaine loi, non pas par une connaissance anticipée de ce qui sera révélé par Moïse, mais poussés par la nature.

- Philon insiste sur « l'espoir ». La connaissance de la loi inscrite dans « nature » est « indigente ». Philon manifeste une ouverture, l'histoire doit conduire l'homme à devenir plus « beau » :

« [47] Celui qui espère, comme le mot suffit à le montrer, est indigent ; toujours tendu vers le beau, il n'a pas encore pu y parvenir et ressemble aux navigateurs qui, pressés de débarquer dans des ports, tiennent la mer sans pouvoir trouver un mouillage. »

L'espérance dont parle Philon inscrit la loi naturelle dans l'histoire du salut.

Les pères de l'Eglise développeront cette perspective, en distinguant les différents états de la nature (nature originelle, nature déchue, nature restaurée) dans lesquels la loi naturelle se réalise différemment (7).


(1) COMMISSION THEOLOGIQUE INTERNATIONALE, A la recherche d'une éthique universelle : Nouveau regard sur la loi naturelle, 20 mai 2009, § 22

(2) Les sages ne sous-estiment pas les leçons de l'histoire et leur valeur de révélation divine (cf. Si 44-51), mais ils ont une vive conscience de ce que les liens entre les événements dépendent d'une cohérence qui n'est pas elle-même un évènement historique. [...] La littérature de sagesse essaie donc de mettre en valeur les conditions qui rendent possibles la vie de tous les jours. L'histoire décrit ces éléments de façon successive, la sagesse va au delà de l'histoire vers une description atemporelle de ce qui constitue la réalité au temps de la création, « au commencement », quand les êtres humains furent créés à l'image de Dieu.

(3) COMMISSION THEOLOGIQUE INTERNATIONALE, Ibid., § 23

(4) Cf. Saint Thomas d'Aquin, Summa theologiae, Ia-IIae, q. 100.

(5) Cf. Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos, lvii, 1

(6) Philon d'Alexandrie, De Abrahamo, (Introduction, traduction et notes par J. Gorez, « Les œuvres de Philon d'Alexandrie, 20 », Paris, 1966) cité avec les numéros de paragraphes.

(7) COMMISSION THEOLOGIQUE INTERNATIONALE, Ibid., § 26


Synthèse F. Breynaert