Gérard Manley Hopkins (Angleterre, 1844-1899), Marie comparée à l'air qu'on respire

Marie, Air jaillissant... (Gérard Manley Hopkins 1844-1899)

Le poète décrit merveilleusement la maternité physique et spirituelle de Marie.

Pour parler de Marie médiatrice dans l'ordre de la grâce, nous pouvons admirer la justesse de l'image de l'atmosphère qui nous permet de recevoir la chaleur, la lumière et les couleurs du soleil sans être brûlés.

Air jaillissant, mère du monde,

Partout m'entourant d'un nid,

Qui chaque cil ou cheveu

Cercle, entre le plus épais,

Frêle duvet de flocon

Arrive, en toute vie infime

Parfaitement s'infuse,

Se diffuse et foisonne ;

Cet élément nourricier,

Essentiel, inépuisable,

Qui m'est plus que boire ou manger,

L'aliment de la moindre seconde,

Cet air, sans cesse qu'il me faut

Selon la loi de vie aspirer,

A maints égards me met en l'esprit,

Rien qu'à soupirer ici sa louange,

Celle qui non seulement donna

A la divine infinité,

Resserrée en un petit enfant,

L'accueil de sa chair, de son sein,

Naissance, lait et toute sollicitude,

Mais met au monde chaque grâce

Qui parvient encore au peuple des hommes

- Marie l'Immaculée,

Simple femme, mais dont

La présence et puissance

Surpassent ce que des déesses

On a cru ou conçu, et qui

A reçu cette unique tâche :

Laisser paraître toute la gloire

Divine, gloire qui a choisi de passer

Par elle et d'elle s'épancher,

Déborder, sans autre source qu'elle.

Je dis que nous enveloppe

De partout miséricorde,

Comme l'air, de même en est-il

De Marie, et plus encore par son nom.

Etoffe native et manteau de merveille,

Elle couvre la terre fautive, Puisque Dieu a laissé dispenser

A ses prières sa Providence :

Mieux, plus que don de l'aumône,

Elle est la douce aumône même,

Et l'homme est appelé à prendre part

A sa vie, comme la vie à l'air.

Si je comprends ici,

Elle est mère éminente

De tout bien en nous de l'esprit

Et a dans la grâce sa part

Auprès du cœur frémissant de l'homme,

Apaisant, comme un flux subtil d'air,

La mortelle danse du sang ;

Mais cette part toujours

Reste le Christ Sauveur .

De sa chair il a pris chair

- Et ne cesse encore de prendre,

En un mode tout de mystère,

Aujourd'hui, non chair, mais esprit

Et donne, Ô merveilleusement !

En nous de nouveaux Nazareth

Où encore elle concevra

Son Fils, à l'aube, le midi et le soir,

De nouveaux Bethléem où lui

Naîtra le soir, le midi, le matin

- Bethléem, Nazareth où l'on peut

Tel le souffle, aspirer

Le Christ davantage et déjouer la mort ;

Et lui, naissant ainsi, devient

L'être nouveau, plus noble, singulier

En chacun de nous et chacun

Grandit, quand ceci s'accomplit,

Le Fils de Dieu mais aussi de Marie.

Regardez là-haut encore tout cet air azuré,

Ô tellement ! Il suffit d'être là

Où l'on peut dresser la main

Vers le ciel : son flot foisonnant baigne

Chacun des doigts ouverts.

Pourtant ce ciel tout vibrant de saphir ,

Chargé, saturé de couleur, laisse

Sans tache sa lumière.

Oui, voyez, Il ne lui nuit en rien.

Les jours de bleu limpide sont ceux

Où chaque ton s'avive,

Chaque forme, chaque ombre se détache.

Quoique si bleue, cette voûte

Transmet les sept ou sept fois sept

Nuances du rayon du soleil

En leur intacte perfection.

Ou si quelque teinte douce

Effleure les lointains, les hauteurs,

Ce seul ajout coloré

Vient embellir la terre ;

Car si l'air ne formait

Ce bain de bleu pour rafraîchir

Son feu, le soleil tremblerait,

Sphère aveuglante et vague,

Cernée d'obscur, et le cortège

Entier des étoiles ne charrierait

Que les lueurs de fragments charbonneux,

De quartz veinuré ou d'étincelles de sel,

Dans l'immense noirceur du ciel.

Tel était le Dieu d'antan ;

Une mère vint façonner

Ces membres semblables aux nôtres

Et ne pouvant que rendre l'astre

De nos jours bien plus cher à nos yeux ;

Sa gloire nue rendrait aveugle

Ou serait moins sensible à l'âme.

A travers sa mère nous le voyons

Adouci, sans être obscurci,

Et grâce à sa main cet éclat

Tamisé s'accommode à la vue.

Sois donc, Ô toi, mère

Chère, l'atmosphère qui m'entoure,

L'univers plus heureux où je puis

Aller sans péché en chemin ;

Sois au-dessus de moi, tout autour ,

Offrant à mon regard aventureux

La douceur du ciel sans blessure ;

Frémis en mon oreille et dis

L'amour de Dieu, Ô air vivant,

La patience, pénitence, prière :

Mère du monde, air jaillissant,

De toi environné, tel une île,

Enveloppe, enclos en toi ton enfant.

Gérard Manley Hopkins (1844-1899),

prêtre jésuite et poète anglais de grand renom.

né le 28 juillet 1844 à Stratford, Essex (Royaume-Uni)

et décédé le 8 juin 1889 à Dublin (Irlande).

Traduction française par Pierre Leyris