Ananie et Saphire, antithèse de Joseph et Marie (Ac 5)

Ananie et Saphire, pécheurs contre l'Esprit Saint, antithèse de Joseph et Marie

Le livre des Actes est lié à l’évangile de Luc (cf. Ac 1, 1). Les premiers chapitres de l’un et de l’autre forment un prologue, une Genèse, une introduction.

Dans les premiers chapitres de l'Evangile de saint Luc, est présent un couple, Marie et Joseph, parents virginaux de Jésus conçu par l'Esprit Saint.

Dans les premiers chapitres des Actes des Apôtres, est présent un autre couple, Ananie et Saphire, deux baptisés qui commettent le péché contre l'Esprit Saint.

« Un certain Ananie, d'accord avec Saphire sa femme, vendit une propriété; il détourna une partie du prix, de connivence avec sa femme, et apportant le reste, il le déposa aux pieds des apôtres. "Ananie, lui dit alors Pierre, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, que tu mentes à l'Esprit Saint et détournes une partie du prix du champ? Quand tu avais ton bien, n'étais-tu pas libre de le garder, et quand tu l'as vendu, ne pouvais-tu disposer du prix à ton gré? » (Actes 5, 1-4).

Or, quand tandis que l’apôtre démasque la vérité, tous les deux meurent.

Dans cette lecture des Actes, nous allons suivre Daniel MARGUERAT.

Le contexte des Actes : une communauté de partage

Barnabé d’abord, puis le couple Ananie et Saphire ensuite, offrent leurs biens dans l’optique de faire disparaître la pauvreté dans la communauté (Ac 4, 34), pour que cela soit distribué au gré des besoins de chacun (Ac 4, 35), les dons sont déposés aux pieds des apôtres, en soumission au pouvoir des apôtres en tant qu’envoyés de Dieu dans la communauté. Le contexte est donc celui d’une communauté de partage, et c’est cette communauté qui est missionnaire. (1)

Cet esprit de partage a un précédent dans l’évangile de Luc 1-2. Le couple Marie et Joseph vit à Nazareth dans l’humilité, et leur fils a été conçu virginalement (ce qui est une forme de pauvreté). A sa naissance, loin de la maison, l’enfant est déposé dans une mangeoire, ce qui est à la fois le signe de la recherche d’une digne intimité et le signe d’une grande pauvreté. Le fait que Joseph et Marie accueillent les bergers des environs dans la nuit de Noël traduit leur esprit de simplicité et de partage. Et les bergers repartent en annonçant ce qu’ils ont vu et entendus, ils repartent missionnaires.

Le péché d’Ananie et Saphire

Or voici, Ananie et Saphire meurent. La sortie des cadavres concrétise le slogan du Deutéronome : « tu ôteras le mal du milieu de toi » (Dt 13, 6 etc. cf. Ac 3, 23). Quelle est leur faute ?

Actes 5, 3 parle d’un mensonge à l’Esprit Saint. Non seulement Ananie a dissimulé son bien et l’a détourné à son profit, mais il a péché par manque d’intégralité du cœur.

En effet, le Actes 5, 4 souligne qu’Ananias était libre de l’usage de son bien, soit avant la vente, soit après. Le mensonge de ce couple se situe envers Dieu. Le couple s’est exclu de l’idéal d’être un seul cœur et d’une seule âme. Toute la communauté est alors menacée dans son efficacité missionnaire. (1)

A l’opposé de ce couple, l’Evangile de Luc a montré le couple Joseph et Marie dans une situation de don total. Le couple présente l’enfant au Temple, obéissant à la loi et dépassant ce que la loi prescrit (la loi ne demandait pas un voyage à Jérusalem ni pour les rites de rachat du premier né, ni pour les rites de purification), c’est le signe d’une grande générosité. Librement.

Dieu protège sa communauté, l'Eglise

Dans les Actes, Pierre démasque la tromperie d’Ananie et Saphire, il la situe dans le cadre du combat de Dieu et de Satan, mais il ne promulgue aucune sentence : il prédit la mort de Saphira mais ne la décide pas.

Contrairement aux communautés pythagoriciennes, la mise à l’écart du fautif n’est pas l’œuvre de la communauté, mais de Dieu. C’est Dieu qui manifeste sa puissance. Dieu sauve ainsi la communauté de la division. La communauté devient le peuple de Dieu, le peuple protégé par Dieu dans son unité.

Pour marquer cela, l’épisode d’Actes 5 donne à la communauté de l’appellation « ekklesia », terme utilisé ici pour la première fois (Ac 5, 11), c’est-à-dire peuple de Dieu. « L’ekklesia » est une communauté dont les membres sont faillibles mais dont le projet de communion est sauvé par le jugement de Dieu. Dieu se joue, terriblement, d’un acte qui blesse l’unanimité de la communauté. (1)

Dans l’évangile selon saint Luc, le couple innocent de Joseph et Marie entend de la bouche de Siméon que Jésus sera un signe en butte à la contradiction. Ils entendent donc l’annonce qu’Israël ne restera pas une communauté unanime devant Jésus. Or tout le vocabulaire utilisé par Siméon suggère que Jésus a vocation de serviteur souffrant. Il prendra donc sur lui la faute de la division.

La faute originelle de l’Eglise

L’insistance sur la complicité du couple d'Ananias et Saphira (Ananie et Saphire Ac 5, 2.8) nous met sur la piste d’une analogie avec la faute originelle (Gn 3) : on y retrouve en effet, la destruction de l’harmonie, la figure de Satan, l’origine de la faute située dans un couple, le mensonge à Dieu, l’expulsion finale.

C’est un délit d’argent, or le lecteur est averti depuis la dénonciation de l’orgueil des riches dans le Magnificat (Lc 1, 53), jusqu’à l’éloge de l’offrande de la veuve au seuil de la passion (Lc 21, 1-4), tandis que les Actes rapportent la malédiction attachée au salaire de l’injustice obtenu par Judas (Actes 1, 18).

Luc veut faire savoir à ses lecteurs que "le péché originel en Eglise" est un péché d’argent. Mammon (Lc 16, 13) destructeur de la vie, est aussi destructeur de l’Eglise. L’histoire d’Ananias et de Saphira prend sa place dans une séquence narrative (Ac 2-5) qui peut être qualifiée de récit d’origine, au même titre que Gn 1-11, ce qui explique que le narrateur ne montre pas de compassion : il ne parle pas du salut individuel, mais de l’Eglise. (1)

Puisse l’Eglise se souvenir du couple Joseph et Marie, car Dieu « a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides. » (Luc 1, 53)


(1) Cf. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, les Actes des apôtres, « lectio divina » 180, Paris Genève, Le Cerf-labor et fides, 1999, 2° édition 2003, p. 239-268


F. Breynaert

F. BREYNAERT, Marie dans la communauté primitive. Traces en Lc 1-2 d'une liturgie à l'occasion de la mort de Marie, et relation entre Lc 1-2, l'Eglise des Actes et les communautés pauliniennes » dans « Miles Immaculatae », Anno XLIV, 2008, fasc II.