Le Royaume, une réalité complexe (Benoît XVI)

Le Royaume, une réalité complexe (Benoît XVI)

Il y a là quelque chose de nouveau [Jésus dépasse le judaïsme] qui s'exprime essentiellement dans les paroles « le Règne de Dieu est tout proche » (Mc 1, 15), « le Règne de Dieu est survenu pour vous » (Mt 12, 28), « le Règne de Dieu est au milieu de vous » (Lc 17,21). La venue du règne telle qu'elle s'exprime ici est une action présente qui concerne l'histoire tout entière.

Ce sont ces paroles qui suscitèrent la thèse de l'attente de l'accomplissement imminent, la faisant apparaître comme spécifique de Jésus. Mais rien n'oblige à suivre cette interprétation et, si l'on considère les paroles de Jésus dans leur ensemble, il faut même clairement l'exclure : la preuve en est que ceux qui soutiennent l'interprétation apocalyptique de l'annonce du Royaume par Jésus sont tout simplement obligés, à partir de leurs critères, de contester une grande partie des paroles de Jésus sur ce sujet et d'en infléchir d'autres dans leur sens, même s'ils doivent pour cela leur faire violence.

Dans le message de Jésus relatif au Royaume, nous l'avons vu, sont inscrites des affirmations qui expriment la pauvreté de ce royaume dans l'histoire : il est comme un grain de moutarde, la plus petite de toutes les graines. Il est comme le levain, quantité infime en comparaison de la masse de la pâte, mais élément déterminant pour son devenir. Le Royaume est constamment comparé à la semence qui est répandue dans le champ du monde et qui connaît des sorts divers : mangée par les oiseaux, étouffée sous les ronces ou bien au contraire parvenant à maturité pour donner beaucoup de fruit. Une autre parabole raconte que la semence du royaume croît, mais qu'un ennemi sème pardessus de l'ivraie qui croît en même temps, et ce n'est qu'à la fin qu'on peut séparer les deux (cf. Mt 13, 24-30).


Un aspect encore différent de cette mystérieuse réalité de la « seigneurie de Dieu » se fait jour lorsque Jésus la compare à un trésor enfoui dans un champ. Celui qui le découvre l'enfouit à nouveau et vend tout ce qu'il a pour acheter le champ et pour entrer ainsi en possession du trésor capable de combler toutes ses attentes. Dans la parabole symétrique de la perle fine, celui qui trouve la perle vend lui aussi tout ce qu'il a pour acquérir ce bien plus précieux que tout (cf. Mt 13, 44-46). Une autre facette encore de la réalité de la « seigneurie de Dieu » (Règne) se fait jour lorsque Jésus prononce des paroles, difficiles à interpréter, selon lesquelles le « Royaume des cieux subit la violence et les violents cherchent à s'en emparer » (Mt 11, 12).

Sur le plan méthodologique, affirme Benoît XVI, il n'est pas admissible d'isoler de l'ensemble un aspect que l'on reconnaît comme « propre à Jésus » et de s'appuyer ensuite sur cette affirmation arbitraire pour infléchir tout le reste dans le sens souhaité. Nous devons dire au contraire : la réalité que Jésus appelle « Royaume de Dieu, seigneurie de Dieu » est extrêmement complexe, et c'est seulement en l'acceptant dans sa totalité que nous pouvons nous approcher de son message et nous laisser guider par lui.

[...]

Cette nouvelle forme de proximité du Royaume dont parle Jésus et dont la proclamation constitue le trait distinctif de son message, cette proximité nouvelle, c'est Jésus lui-même. Par sa présence et son action, Dieu est entré dans l'histoire d'une manière tout à fait nouvelle, ici et maintenant, comme Celui qui agit. C'est pourquoi aujourd'hui « les temps sont accomplis » (Mc 1, 15) ; c'est pourquoi sont venus maintenant, d'une façon unique en son genre, le temps de la conversion et de la pénitence, tout comme le temps de la joie, car Dieu vient à nous en Jésus. En lui, Dieu est maintenant celui qui agit et qui règne, qui règne de manière divine, c'est-à-dire sans pouvoir temporel, qui règne en aimant « jusqu'au bout » (Jn 13, 1), jusqu'à la Croix.

C'est à partir de cet élément central que l'on peut relier les différents aspects en apparence contradictoires. C'est à partir de lui que l'on peut comprendre les déclarations sur le caractère humble et caché du Royaume, l'image essentielle de la semence qui continuera de nous occuper à plus d'un titre ; et aussi l'invitation au courage de se mettre à la suite de Jésus, en abandonnant tout le reste. Il est lui-même le trésor ; la communion avec lui est la perle précieuse.


JOSEPH RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris 2007, p. 78-82