Le Catéchisme de l'Eglise catholique (n° 88) définit ainsi le dogme : « Le Magistère de l'Église engage pleinement l'autorité reçue du Christ quand il définit des dogmes, c'est-à-dire quand il propose, sous une forme obligeant le peuple chrétien à une adhésion irrévocable de foi, des vérités contenues dans la Révélation divine ou bien quand il propose de manière définitive des vérités ayant avec celles-là un lien nécessaire. » Pour les « vérités contenues dans la Révélation divine », pensons aux quatre premiers conciles œcuméniques, concernant Jésus-Christ, Fils de Dieu, et l'Esprit Saint. Pour les « vérités ayant avec celles-là un lien nécessaire », pensons à la vénération des images saintes, approuvée par le septième concile œcuménique : le lien, ce n'est rien moins que l'Incarnation. Mais faut-il s'en tenir à cette définition des « dogmes ». L'Eglise n'a jamais dressé un catalogue de dogmes. Même s'il existait, il donnerait du contenu de la foi chrétienne une vision très partielle. Pour le désigner, on pourrait parler du dogme, au singulier. Aucun concile n'a formellement parlé de la Création, ni de la Résurrection. Ne pourrait-on pas dire, déjà, que tout ce que professe le Credo a valeur de dogme ? Jusqu'au concile de Trente, la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie allait de soi pour les chrétiens, sans qu'il soit nécessaire de formuler un texte juridique. Quant à l'Eglise, à part l'infaillibilité du pape définie au concile Vatican I, le concile Vatican II en a beaucoup parlé, mais sans conclure par des formules dont le refus signifierait la rupture avec la communauté : Anathema sit !
En lisant la première épître de saint Jean ou les lettres de saint Ignace d'Antioche, il apparaît que certains chrétiens tendaient à minimiser le réalisme de l'Incarnation. Ce serait la première « hérésie », mot d'origine grecque qui signifie « choix ». L'hérésie choisit dans la Révélation ce qui lui convient, alors que la vérité « catholique » accepte le tout, comme son nom l'indique. Au 2ème siècle, saint Irénée publie son Adversus haereses, Contre les hérésies. Vu la situation de l'Eglise sous l'empire romain, ce n'était pas encore le temps de réunir des conciles œcuméniques. Ceux-ci commencèrent avec le concile de Nicée en 325 : le Christ Jésus mérite-t-il vraiment le nom de « Dieu » ? Est-il bien égal au Père ? Ne fait-il qu'un avec lui, lui est-il « consubstantiel » ? Arius ne voulait pas aller jusque-là, obéissant aux schémas philosophiques de son temps. A un moment, il faut trancher, pour que la foi ne s'édulcore pas. Les dogmes, au sens canonique de l'expression, n'interviennent qu'en cas de conflit interne à la chrétienté. Ainsi en fut-il au concile de Trente : les affirmations protestantes sur la grâce, l'eucharistie, le sacerdoce rendent-elles compte pleinement de la Révélation, telle qu'elle s'énonce dans l'Écriture et telle que l'Eglise la reçoit depuis les origines ? A une époque plus récente, il fallut régler la question de savoir si le successeur de Pierre, en vertu de la mission toute spéciale que le Christ lui a donnée, pouvait exprimer la foi de l'Eglise infailliblement. Ainsi en décida le premier concile du Vatican (1870). Le pape Pie IX avait déjà exercé ce pouvoir en 1854 en promulguant la reconnaissance de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie. Il ne l'avait fait qu'après avoir consulté tous les évêques, les universités catholiques, les supérieurs des grands ordres religieux. Depuis, seul le pape Pie XII usa de ce pouvoir en proclamant l'Assomption de la Vierge, conséquence directe du dogme de 1854. L'Eglise catholique est plutôt avare de dogmes. Par exemple, les messages des apparitions mariales n'ont jamais fait l'objet de dogmes, même si les apparitions elles-mêmes sont reconnues comme authentiques : elles restent des révélations « privées ». Le cas le plus clair est celui de Lourdes. Selon les termes du Catéchisme cités plus haut, ni le fait des apparitions, ni la parole de la Vierge - « Je suis l'Immaculée Conception » - n'obligent un catholique à une « adhésion irrévocable de foi ». De même, certains catholiques souhaiteraient que Marie soit reconnue comme « co-rédemptrice ». Jusqu'ici, les papes n'ont pas jugé souhaitable, ou même possible, de donner valeur dogmatique à cette appellation qui, par ailleurs, est parfaitement juste, si elle est bien comprise. Le terme, employé isolément, mettrait la Vierge au même plan que le Christ.
Les dogmes sont dits « intouchables » ou « irréformables ». Cela signifie que l'Eglise ne reviendra pas en arrière. Mais un dogme peut être complété. Ainsi le dogme d'Ephèse (431) est complété par celui de Chalcédoine (451) : l'unique personne en Jésus-Christ est la personne du Fils de Dieu (Ephèse), en laquelle la nature divine n'absorbe pas la nature humaine (Chalcédoine). Bien que le concile Vatican II n'ait pas formulé de dogme au sens strict du mot, on peut dire qu'il complète le dogme de l'infaillibilité pontificale, définie au concile Vatican I. Autre est la question de l'expression. Pour deux dogmes majeurs, l'Eglise utilise le mot de « substance » : le Fils est « consubstantiel » au Père ; par la consécration eucharistique, s'opère la « transsubstantiation ». Dans ce dernier cas, le concile de Trente dit que le terme est « très approprié ». Jusqu'ici, aucun autre terme n'a paru rendre compte pleinement du réalisme eucharistique, selon la foi catholique. Des mots anciens peuvent redevenir d'actualité. Il en est ainsi pour le mot « consubstantiel » qui se retrouve aujourd'hui, appliqué à des réalités qui n'ont rien à voir avec l'Eglise.
Dans le deuxième paragraphe, il était dit que les dogmes, au sens étroit du mot, ne couvraient pas tout le champ de la Révélation. Ajoutons que, parmi eux, tous n'ont pas le même poids. Certains dérivent de dogmes plus fondamentaux. Le Christ était-il doté d'une volonté humaine ? Le sixième concile œcuménique (681) répond affirmativement, en s'appuyant sur le concile de Chalcédoine (451) reconnaissant dans le Christ une pleine nature humaine. Le dogme du purgatoire s'appuie sur la pratique, antérieure même au Nouveau Testament, de la prière pour les défunts. Il dérive, théologiquement, de ce qui est dit du péché originel, de la grâce et de la justification. Les deux dogmes marials se réfèrent au Christ. Dès le premier instant de son existence, Marie est indemne de toute trace de péché « en vue des mérites de Jésus-Christ ». Elle est associée à sa gloire céleste à cause de son union avec lui jusqu’à la Croix. Le Catéchisme de l'Église catholique prend à son compte une phrase du concile Vatican II dans la Déclaration sur l'œcuménisme : « Il y a un ordre ou une ”hiérarchie” des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec les fondements de la foi chrétienne. » Cela ne signifie pas que certains dogmes soient secondaires et n'engageraient pas la foi. Mais il faut voir leur cohérence avec la totalité du mystère révélé. Pour promulguer le dogme de l'Assomption, le pape Pie XII donnait, entre autres motivations, « le plus parfait accord avec les autres vérités révélées ».
Le concile Vatican I affirme que « le Dieu unique et véritable... peut être connu avec certitude par ses œuvres, grâce à la lumière naturelle de la raison humaine ». Les vérités de la foi, elles, ne se découvrent que par Révélation. Mais elles donnent à penser. Elles sont des défis à nos évidences mais la science elle-même ne progresse qu'en s'attaquant à des évidences immédiates pour trouver une explication plus profonde. La Création donne à penser sur la contingence et l'ordre du monde. Le dogme trinitaire donne à penser sur la personne ; la Résurrection de la chair, sur le composé humain ; la Présence réelle dans l'eucharistie, sur les limites de notre monde sensible.
Jacques Rivière fut le directeur de la Nouvelle Revue Française (NRF) après la guerre de 1914. Ami de Claudel, converti lui aussi, il laissa des notes publiées sous le titre À la trace de Dieu. « On ne peut songer à démontrer chaque article du dogme en en faisant apparaître l'évidence particulière... La vérité chrétienne doit être acceptée ou rejetée en bloc ; quand on l'accepte, elle contient des quantités de choses qui mettront peut-être des années à vous devenir claires et sensibles, d'autres mêmes qui ne le deviendront jamais ici-bas ; la vérité circule à travers le dogme, comme le sang dans un corps ; elle ne peut être infusée à un membre que par les membres voisins. »
Texte rédigé par Mgr Jacques Perrier, évêque émérite de Tarbes et Lourdes