3 notions à distinguer : composition, écriture et publication

Le judaïsme était une culture d’oralité 

Souvent on méconnait le fait que le judaïsme du 1er siècle est une culture basée sur l’oralité.
Il peut paraître surprenant pour un contemporain que Jésus n’ait rien écrit personnellement et qu’il se soit contenté de prêcher oralement à des disciples pendant 3 ans, mais c’est une attitude normale dans la culture de l’époque, qu’il faut absolument expliquer et prendre en compte :

« Les évangélistes n'avaient pas reçu comme Moïse les commandements sur des tables de pierre, mais ainsi que le dit le prophète : « je leur donnerai une alliance non pas comme celle-ci, mais ma loi dans leur esprit et je l'écrirai sur leur cœur (Jr 31,31) » - (Saint Ephrem, commentaire sur le Diatessaron, 2)

Le principal événement qui a marqué cette culture fut l’exil de -538 av JC à Babylone, qui a duré 70 ans et qui a conduit le peuple hébreu à perdre sa langue, ses écrits et sa culture même s’il a pu conserver de manière assez inexplicable d’un point de vue sociologique sa religion et sa foi. L’exil a contraint Israël à comprendre que la foi devait se transmettre de cœur à cœur, de maître à disciple.

Le mythe de Platon sur la naissance de l’écriture (article suivant) montre bien les réticences intelligentes que les anciens pouvaient avoir par rapport à l’écrit qui donne « l’illusion du savoir » et qui quand on l’interroge « ne répond pas ». L’écrit seul n’est pas fiable ou suffisant pour protéger de mauvaises interprétations. La transmission de la foi dans la première Église s’est toujours faite en s’appuyant sur les Écritures sacrées qui étaient mémorisées, sur l’enseignement des Apôtres, qui l’était aussi, et sur une Tradition qui garantit la juste interprétation des textes.

Israël était aussi le seul endroit du monde où tous les garçons étaient scolarisés et apprenaient à lire et à écrire pour leur Bar Mitsva et pour vivre en croyants éclairés.

Il faut bien distinguer les 3 notions de "composition", "écriture" et "publication"

Dans cette culture orale du judaïsme du 1er siècle, les questions récurrentes que se posent les exégètes occidentaux modernes sur la date d’écriture des textes ne sont pas toujours pertinentes, parce qu’il faut en réalité distinguer 3 moments :

  • 1. le moment de la composition progressive, pendant lequel le texte est composé, de manière orale, et arrangé pour être mémorisable, puis transmis oralement ainsi de maître à disciples,
  • 2. le moment de l’écriture, où le texte finalement fixé est écrit, le plus souvent pour servir d’aide mémoire ou par sécurité, en support de l’oralité, lors de persécutions ou pour démultiplier les enseignants, mais toujours sans diffusion publique,
  • 3. le moment de la publication, où le texte de référence est copié pour être diffusé d’une manière différente, la plupart du temps après la mort des Apôtres ou de leurs auteurs.

En culture orale, le texte est fixé et conservé parfaitement dès la fin de la première étape, lorsqu’il est composé une fois pour toutes, et les deux autres temps ne le font plus évoluer : ils servent seulement à aider sa conservation pour l’enseignement puis à faire évoluer son mode de diffusion, lorsque l’enseignement oral n’est plus possible.

Dans le processus tel qu’il est reconstitué et imaginé dans la culture ancienne, l’écriture du texte comme aide mémoire ou copie de sécurité suit d’assez près la composition orale, mais la publication, qui vise un autre objectif, peut se faire après un long délai parce que tant que l’auteur est présent ou actif, son témoignage est bien plus significatif et puissant que son texte et dans la culture judaïque orale du 1er siècle, les Apôtres comme tous les juifs privilégient l’enseignement oral. C’est seulement quand l’auteur est mort ou quand on risque de le quitter à cause de la persécution ou de toute autre cause que l’écriture puis la publication est décidée. Eusèbe de Césarée écrit ainsi :

« Au temps où Luc et Marc éditaient un Évangile par écrit à cause de leur éloignement de leur communauté, Jean continuaient encore sa prédication tout le temps sans mise par écrit. » (Histoire Ecclésiastique 3,24,8).

De même, la tradition juive, qui était restée orale pendant des siècles, avant d’être fixée par écrit dans les Talmuds après la dispersion des juifs.

En résumé, ce qui est important c’est bien le moment de la composition voire celui de l’écriture, et non celui de la publication parce que c’est lors de la composition que le texte est fixé définitivement.

Le Judaïsme était un monde très structuré

Pour bien comprendre la culture dans laquelle est née la première Église, il faut aussi mesurer à quel point la Judaïsme était un monde structuré, codifié, dans lequel rien n’était laissé au hasard. Dieu avait choisi un Peuple, une terre, une ville, un sanctuaire et il avait fixé des règles très précises pour que le Peuple soit gouverné et que la Liturgie soit garantie.

Le peuple de Dieu était structuré avec :

  • - un Pontife suprême, le Grand Prêtre,
  • - les Chefs des Prêtres (au nombre de 12),
  • - des Prêtres,
  • - des Lévites,
  • - des prophètes,
  • - des docteurs de la Loi,
  • - des scribes,
  • - un Sanhédrin (72 membres).

C’est sur même cette structure que s'est bâtie l’Église, nouvel Israël, avec :

  • - un Pontife Suprême (le successeur de Pierre),
  • - des Évêques (successeurs des 12 Apôtres),
  • - des Prêtres,
  • - des diacres,
  • - des prophètes,
  • - des docteurs,
  • - des exégètes 
  • - des Conciles

Tout cela structure le Corps du Christ en continuité avec Israël.
Le judaïsme a pu codifier et normer l’oralité pour faire face aux risques et aux dangers de l'exil.