Puissance, sagesse, amour : jusqu’où utiliser les appropriations ?

Puissance, sagesse, amour : jusqu’où utiliser les appropriations ?

Depuis les pères de l'Eglise, on attribue aux personnes divines telle ou telle propriété. Par exemple, saint Augustin attribue au Père la mémoire, au Fils l'intelligence, et à l'Esprit Saint l'amour[1].

Au Moyen Age, Abelard durcit cette méthode en disant la puissance, c'est le Père, la sagesse, c'est le Fils, la Bonté c'est le saint Esprit, et cela de manière exclusive, de sorte par exemple que l'Esprit Saint n'ayant pas la puissance, sa divinité était mise en doute. Saint Bernard rappela que les vertus ou les opérations appartiennent aux trois personnes divines sans exclusivité d'une seule[2]. Abelard fut condamné au concile de Sens en 1140[3].

La leçon de cette controverse est qu'il ne faut pas faire d'abstraction ni de schéma abstraits ; il vaut mieux en rester aux et à une connaissance des personnes divines en tant que personnes, que l'on rencontre dans la prière.

Retenant la leçon du concile de Sens, les disciples d'Abelard acceptèrent de ne plus durcir le procédé et surtout de ne plus parler de propriété exclusive. Dès lors, le procédé ne fut plus contesté[4]. C'est toujours le même procédé logique : attribution spéciale à une personne d'une perfection, œuvre ou effet commun.

Donnons une idée de l'ampleur du procédé, désormais appelé « appropriation » :

Père

Eternité

Unité

Puissance

Cause efficiente

Fils

Beauté

Egalité

Sagesse

Cause exemplaire

Esprit

Jouissance

Harmonie

Bonté

Cause finale

Père

Création

Création

Autorité

Fils

Re-création

Mise en ordre

Loi

Esprit

Glorification

Justification ou sanctification

Juste volonté

Père

Etre de substance

Mémoire

Péché d'infirmité qui s'opposerait au Père

Fils

Forme

Connaissance

Péché d'ignorance qui s'opposerait au Fils

Esprit

Tendance

Amour

Péché de malice qui s'opposerait à l'Esprit Saint

Saint Thomas d'Aquin a réfléchi aux limites de ce procédé, qu'il trouve utile mais imparfait.

1) Saint Thomas d'Aquin explique qu'on ne peut pas démontrer la Trinité à partir des attributs, comme par exemple, puissance, sagesse et bonté[5]. Toutes les appropriations données dans les tableaux ci-dessus proviennent de la raison naturelle, et par la raison naturelle on ne peut atteindre que l'essence divine, principe de tous les êtres, mais on ne peut pas atteindre la distinction des Personnes[6].

2) Les appropriations ont une affinité avec ce que chacune des Personnes a réellement en propre (être Père, être Fils, procéder comme Esprit). Elles permettent donc de connaître les Trois Personnes, mais cette connaissance est imparfaite[7].

Saint Thomas et Saint Bonaventure condamnèrent l'utopie issue de Joachim de Flore et de son idée du rythme trinitaire de l'histoire[8].

La vision de l'histoire en trois périodes attribuées au Père, au Fils et à l'Esprit Saint, vision inspirée de Joachim de Flore (†1202), fut une nouvelle erreur dérivée de ce procédé logique - voir article spécifique sur ce thème). Saint Thomas et surtout saint Bonaventure (†1274) condamnèrent cette utopie issue de Joachim de Flore et de son idée du rythme trinitaire de l'histoire[9].

Le récent catéchisme de l'Eglise catholique n'utilise pas les « appropriations », ni dans le chapitre concernant la Trinité (CEC 249-267), ni dans le chapitre la création de l'homme à l'image de Dieu (CEC 356-361)


[1] Cf. Saint Augustin, De Trinitate, Livre VI, etc.

[2] Cf. Saint Bernard, Traité contre quelques erreurs d'Abélard, Lettre 190 au pape Innocent II., § 5, PL 182, 1058 D

[3] Dz. S. 368, 381

[4] St Thomas d'Aquin, La Trinité, tome II, Edition de la revue des jeunes, Desclées, (Paris, Tournai, Rome) 1945. Appendice. III Les appropriations trinitaires, p. 412

[5] Cf. St Thomas d'Aquin, De Veritate, Q 10, a 13

[6] Cf. St Thomas d'Aquin, Somme Théologique, IaI Qu.32 a.1, resp

[7] Cf. St Thomas d'Aquin, Somme Théologique, Ia I Qu.39, voir surtout les articles 2, 6, 7 et 8.

[8] Cf. Benoit XVI, audience du 10 mars 2010.

[9] Cf. Benoit XVI, audience du 10 mars 2010.

Synthèse Françoise Breynaert

Chapitre : Je crois en Dieu