Jean Paul II, Redemptoris Mater (Encyclique)


Le 27 mars 1987, en la Solennité de l’Annonciation, le saint pape Jean-Paul II nous a donné l’encyclique Redemptoris Mater, dans laquelle il explique la place de la Vierge Marie dans l’histoire du salut, dans le mystère de l’Incarnation du Christ, mais également  au centre de l’Église en marche et par sa médiation maternelle. L’encyclique analyse également l’antienne Alma Redemptoris Mater que la liturgie consacre à la Vierge Marie, notamment pendant le temps de l’Avent et de Noël. Dans l’introduction de l’encyclique, il est question de la place de la Vierge Marie dans l’histoire du salut.

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Introduction

1. La Mère du Rédempteur a une place bien définie dans le plan du salut, parce que, «quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l'adoption filiale.

Et la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père!» (Ga 4, 4-6). Par ces paroles de l'Apôtre Paul, que le Concile Vatican II reprend au début de son exposé sur la Bienheureuse Vierge Marie. Je voudrais, moi aussi, commencer ma réflexion sur le sens du rôle qu'a Marie dans le mystère du Christ et sur sa présence active et exemplaire dans la vie de l'Église.

En effet, ces paroles proclament conjointement l'amour du Père, la mission du Fils, le don de l'Esprit, la femme qui a donné naissance au Rédempteur, notre filiation divine, dans le mystère de la «plénitude du temps». Cette plénitude détermine le moment fixé de toute éternité où le Père envoya son Fils «afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle» (Jn 3, 16). Elle désigne l'heureux moment où «le Verbe qui était avec Dieu, ... s'est fait chair et a habité parmi nous» (Jn 1, 1. 14), se faisant notre frère. Elle marque le moment où l'Esprit, qui avait déjà répandu en Marie de Nazareth la plénitude de la grâce, forma en son sein virginal la nature humaine du Christ.

Elle indique le moment où, par l'entrée de l'éternité dans le temps, le temps lui-même est sauvé et, pénétré par le mystère du Christ, devient définitivement le «temps du salut». Enfin, elle désigne le début secret du cheminement de l'Eglise. Dans la liturgie, en effet, l'Eglise acclame Marie de Nazareth comme son commencement parce que, dans l'événement de la conception immaculée, elle voit s'appliquer, par anticipation dans le plus noble de ses membres, la grâce salvifique de la Pâque, et surtout parce que dans l'événement de l'Incarnation elle trouve le Christ et Marie indissolublement associés: celui qui est son Seigneur et sa Tête et celle qui, en prononçant le premier fiat de la Nouvelle Alliance, préfigure sa condition d'épouse et de mère.

2. Soutenue par la présence du Christ (cf. Mt 28, 20), l'Église marche au cours du temps vers la consommation des siècles et va à la rencontre du Seigneur qui vient; mais sur ce chemin -et je tiens à le faire remarquer d'emblée- elle progresse en suivant l'itinéraire accompli par la Vierge Marie qui «avança dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l'union avec son Fils jusqu'à la Croix».

Je reprends les paroles si denses et si évocatrices de la Constitution Lumen gentium, qui présente, dans sa conclusion, une synthèse remarquable de la doctrine enseignée par l'Eglise sur le thème de la Mère du Christ qu'elle vénère comme sa Mère très aimante et son modèle dans la foi, l'espérance et la charité. Quelques années après le Concile, mon grand prédécesseur Paul VI voulut reparler de la Vierge très Sainte, exposant dans l'encyclique Christi Matri, puis dans les exhortations apostoliques Signum magnum et Marialis cultus, les fondements et les critères de la vénération unique que reçoit la Mère du Christ dans l'Église, et également les différentes formes de la dévotion mariale - liturgiques, populaires ou privées- correspondant à l'esprit de la foi.

3. La circonstance qui me pousse à reprendre maintenant ce thème est la perspective de l'an 2000, désormais proche, où le Jubilé du bimillénaire de la naissance de Jésus Christ porte en même temps notre regard vers sa Mère. Ces dernières années, diverses voix se sont fait entendre pour exprimer l'opportunité de faire précéder cette commémoration par un Jubilé analogue destiné à célébrer la naissance de Marie.

En réalité, s'il n'est pas possible de déterminer chronologiquement un moment précis pour fixer la date de la naissance de Marie, dans l’Église on a constamment eu conscience de ce que Marie est apparue avant le Christ à l'horizon de l'histoire du salut. C'est une réalité que, tandis qu'approchait définitivement «la plénitude du temps», c'est-à-dire l'avènement salvifique de l'Emmanuel, celle qui était destinée de toute éternité à être sa Mère existait déjà sur la terre. Le fait qu'elle «précède» la venue du Christ se trouve reflété chaque année dans la liturgie de l'Avent.

Si donc les années qui nous séparent de la conclusion du deuxième millénaire après le Christ et du commencement du troisième millénaire peuvent être rapprochées de cette antique attente historique du Sauveur, il devient pleinement compréhensible que nous désirions nous tourner spécialement en cette période vers celle qui, dans la «nuit» où était attendu l'Avènement, commença à resplendir comme une véritable «étoile du matin» (Stella matutina).

En effet, comme cette étoile, en même temps que l'«aurore», précède le lever du soleil, de même Marie, dès sa conception immaculée, a précédé la venue du Sauveur, le lever du «soleil de justice» dans l'histoire du genre humain. Sa présence en Israël -si discrète qu'elle passa presque inaperçue aux yeux de ses contemporains - resplendissait clairement devant l'Éternel qui avait associé au plan salvifique embrassant toute l'histoire de l'humanité cette «fille de Sion» cachée (cf. So 3, 14; Za 2, 14).

C'est donc à juste titre que, au terme du deuxième millénaire, nous les chrétiens, sachant combien le plan providentiel de la Trinité est la réalité centrale de la révélation et de la foi, nous éprouvons le besoin de mettre en relief la présence unique de la Mère du Christ dans l'histoire, particulièrement au cours de ces dernières années avant l'an 2000.

4. Le Concile Vatican II nous prépare à cela en présentant dans son enseignement la Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l'Église. En effet, s'il est vrai que «le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné» - comme l'affirme ce même Concile -, il convient d'appliquer ce principe d'une manière toute particulière à cette «fille des générations humaines» exceptionnelle, à cette «femme» extraordinaire qui devint la Mère du Christ.

C'est seulement dans le mystère du Christ que s'éclaire pleinement son mystère. Du reste, c'est ainsi que l'Église a cherché à le déchiffrer dès le commencement: le mystère de l'Incarnation lui a permis de pénétrer et d'éclairer toujours mieux le mystère de la Mère du Verbe incarné. Dans cet approfondissement, le Concile d' Ephèse (431) eut une importance décisive, car, à la grande joie des chrétiens, la vérité sur la maternité divine de Marie y fut solennellement confirmée comme vérité de foi dans l'Église. Marie est la Mère de Dieu ( = Théotokos), parce que, par le Saint-Esprit, elle a conçu en son sein virginal et a mis au monde Jésus Christ, le Fils de Dieu consubstantiel au Père.

«Le Fils de Dieu..., né de la Vierge Marie, est vraiment devenu l'un de nous» 10, il s'est fait homme. Ainsi donc, par le mystère du Christ, le mystère de sa Mère resplendit en plénitude à l'horizon de la foi de l'Église. A son tour, le dogme de la maternité divine de Marie fut pour le Concile d'Éphèse et est pour l'Église comme un sceau authentifiant le dogme de l'Incarnation, selon lequel le Verbe assume véritablement, dans l'unité de sa personne, la nature humaine sans l'abolir.

5. Présenter Marie dans le mystère du Christ, c'est aussi pour le Concile une manière d'approfondir la connaissance du mystère de l'Église. En effet, Marie, en tant que Mère du Christ, est unie spécialement à l'Église «que le Seigneur a établie comme son corps». Le texte conciliaire rapproche de façon significative cette vérité sur l'Église corps du Christ (suivant l'enseignement des Lettres de saint Paul) de la vérité que le Fils de Dieu «par l'Esprit Saint est né de la Vierge Marie». La réalité de l'Incarnation trouve pour ainsi dire son prolongement dans le mystère de l'Église - corps du Christ.

Et l'on ne peut penser à la réalité même de l'Incarnation sans évoquer Marie, Mère du Verbe incarné. Cependant, dans les présentes réflexions, je veux évoquer surtout le «pèlerinage de la foi» dans lequel «la bienheureuse Vierge avança», gardant fidèlement l'union avec le Christ. Ainsi ce «double lien» qui unit la Mère de Dieu avec le Christ et avec l'Église prend une signification historique. Il ne s'agit pas ici seulement de l'histoire de la Vierge Mère, de l'itinéraire personnel de sa foi et de la «meilleure part» qu'elle a dans le mystère du salut, mais aussi de l'histoire de tout le Peuple de Dieu, de tous ceux qui participent au même pèlerinage de la foi.

Cela, le Concile l'exprime dans un autre passage quand il constate que Marie «occupe la première place», devenant «figure de l'Église ... dans l'ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ». Sa «première place» comme figure, ou modèle, se rapporte au même mystère intime de l'Église qui réalise et accomplit sa mission salvifique en unissant en soi, comme Marie, les qualités de mère et de vierge. Elle est vierge, «ayant donné à son Époux sa foi qu'elle garde intègre et pure», et elle «devient à son tour une Mère...: elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu».

6. Tout cela s'accomplit au cours d'un grand processus historique et, en quelque sorte, d'un «itinéraire». Le pèlerinage de la foi désigne l'histoire intérieure, pour ainsi dire l'histoire des âmes. Mais c'est aussi l'histoire des hommes, soumis à une condition transitoire sur cette terre, situés dans le cadre de l'histoire. Dans les réflexions qui suivent, nous voudrions être attentifs avant tout à la phase actuelle, qui, en soi, n'est pas encore l'histoire, et cependant la modèle sans cesse, spécialement au sens de l'histoire du salut.

Un champ très ample s'ouvre ici à l'intérieur duquel la Bienheureuse Vierge Marie continue d'occuper «la première place» dans le Peuple de Dieu. Son pèlerinage de foi exceptionnel représente une référence constante pour l'Eglise, pour chacun individuellement et pour la communauté, pour les peuples et pour les nations et, en un sens, pour l'humanité entière. En vérité, il est difficile de saisir et de mesurer son rayonnement.

Le Concile souligne que la Mère de Dieu est désormais l'accomplissement eschatologique de l'Église: «L'Église, en la personne de la Bienheureuse Vierge, atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride (cf. Ep 5, 27)» -et il souligne simultanément que «les fidèles sont encore tendus dans leur effort pour croître en sainteté par la victoire sur le péché: c'est pourquoi ils lèvent les yeux vers Marie comme modèle des vertus qui rayonne sur toute la communauté des élus». Le pèlerinage de la foi n'est plus ce qu'accomplit la Mère du Fils de Dieu: glorifiée dans les cieux aux côtés de son Fils, Marie a désormais franchi le seuil qui sépare la foi de la vision «face à face» (1 Co 13, 12).

En même temps, toutefois, dans cet accomplissement eschatologique, Marie ne cesse d'être «l'étoile de la mer» (Maris stella) pour tous ceux qui parcourent encore le chemin de la foi. S'ils lèvent les yeux vers elle dans les divers lieux de l'existence terrestre, ils le font parce qu'elle «engendra son Fils, dont Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères (Rm 8, 29)» et aussi parce que, «à la naissance et à l'éducation» de ces frères et de ces sœurs, elle «apporte la coopération de son amour maternel».

Source :

-Jean-Paul II. Encyclique Redemptoris Mater, 25 mars 1987, Introduction.

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Pour en savoir plus

-sur Marie dans le mystère du Christ (enc. Redemptoris mater 1987, 1ère partie), dans l’Encyclopédie mariale

-sur La mère de Dieu au centre de l’Église en marche (enc. Redemptoris mater 1987, 2è partie), dans l’Encyclopédie mariale

-sur la médiation maternelle (enc. Redemptoris mater 1987, 3è partie), dans l’Encyclopédie mariale

-sur les encycliques mariales, dans l’Encyclopédie mariale

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