La naissance de Jésus annoncée par Isaïe (Is 7)

Isaïe 7, 14 ; 9, 5 ; 11, 1-6

1) Une révélation de Dieu dans un temps d'invasion et de guerre

Transportons-nous à Jérusalem, ce n’est qu’une toute petite capitale coincée entre des nations autrement importantes.

Nous sommes en 733, trois ou quatre ans après l’accession au trône du roi Achaz. Sa réputation est déplorable : il a fait passer son fils par le feu ("Moloch") pour tenter de conjurer la menace qui vient du Nord, c’est-à-dire de l’empire assyrien. La tribu d’Ephraïm et le roi de Syrie ont fait une coalition pour résister à l’envahisseur et complotent aussi contre Achaz pour l'inclure dans leur coalition. Le temps est à la panique.

Isaïe donne alors le fameux oracle :

« Voici la jeune fille ('alma) est enceinte et enfantera un fils, et elle l’appellera Emmanuel. » (Isaïe 7, 14, Hébreu)

Puis Isaïe explique que les deux comploteurs (Ephraïm et Damas) ne tiendront pas (Is 7, 16).

« Car avant que l'enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, elle sera abandonnée, la terre dont les deux rois te jettent dans l'épouvante.» (Isaïe 7, 16)

Le texte exact d’Isaïe 7,14 (Hébreu TM) est :

« Voici la jeune fille ("alma") est enceinte et enfantera un fils, et elle l’appellera Emmanuel. » [1]

  • Il existe en hébreu, le terme "betulah", un terme ambigu :

- Dans les textes non juridiques, il peut signifier simplement l’âge de la vie plus que l’état physique de la fille ou de la femme.

- Dans les textes législatifs, le terme "betulah" signifie vierge au sens strict.

  • Mais la notion de virginité n’est pas obligatoire dans le texte hébreu "'alma".

Par contre, la notion de virginité sera explicite dans le texte grec de la Septante (« parthenos »).

Ce qu’il faut retenir de façon très sûre, c’est que le prophète parle d’un signe donné par Dieu.

Si dans le texte hébreu, la jeune femme n’est pas forcément vierge, le signe consiste simplement dans ce fait : une jeune femme va donner la vie.

Dans le contexte historique, ce simple fait s’oppose à l’attitude du roi Achab qui a sacrifié son fils, et il s’oppose à l’atmosphère générale quasi désespérée. Le prophète a la révélation que c’est un signe donné par Dieu, un message important, une parole forte qui doit faire changer le comportement du roi, et du peuple. C’est comme si Dieu disait : quitte ton voile de tristesse, espère, prend courage (cf. Isaïe 41, 7)…

La chute de Samarie (-721) aux mains de l'Assyrie confirme la prophétie (Is 7, 16), cependant, il n'est pas convainquant de penser que ce soit parce que la naissance serait celle d'Ezéchias qu'elle constituerait « un signe » pour le roi Achaz.

Le signe annoncé est enveloppé de mystère.

La tradition juive (le midrash) : Is 7, 14 parle d'Ezéchias.

- Dans la tradition hébraïque, le Midrash Rabbah sur Exode 18, 5 fait allusion à Isaïe 7, 14 : l'enfant qui est en vue est tout simplement Ezéchias.

Ce Midrash médite sur la situation de Jérusalem après la destruction du royaume du Nord en l'an 721 av J-C.

Jérusalem et le roi Ezéchias furent terrorisés par l'approche de l'armée assyrienne de Sennachérib (704-681). Mais Le Seigneur est intervenu, et, lorsque les habitants de Jérusalem se levèrent le matin, ils virent les corps morts de leurs ennemis (Cf. 2R 21, 35). Le midrash y voit l'explication du nom du second fils du prophète Isaïe "Maher-salal-cash-baz" (Is 8,3), ce qui signifie "prompt pillage - prompt butin", parce qu'à cette occasion Ezéchias pilla l'armée de Senhacherib. Le midrash y voit aussi l'explication d'un autre texte : "Emmanuel", c’est-à-dire "Je serai avec lui" (Is 7,14), car "avec nous combat notre Dieu" (2 Chr 32, 8). [1]

- Certains exégètes chrétiens ont pensé que la prophétie d'Isaïe 7, 14 concernait la naissance du roi Ezéchias, et ont lu dans le même sens la suite du livre d'Isaïe : sa naissance est un gage de paix (Isaïe 9, 5-6) et son intronisation est une promesse de réconciliation pour le peuple divisé "Le loup habitera avec l'agneau, la panthère se couchera avec le chevreau", etc. (Isaïe 11, 1-6).

Cependant, ce peut être une autre femme, et un autre enfant... Et, dit Benoît XVI, cette lecture n'est qu'une hypothèse "qui ne peut être vérifiée d'aucune façon", et il convient de lire le texte d'Isaïe 7, 14 comme "une question ouverte", une parole "adressée à l'humanité" [2]

2) La Septante oriente vers un messie transcendant

Dans la Septante, Isaïe 7, 14 (grec, Septante) :

« Voici, la vierge ("parthenos") portera dans le ventre et enfantera un fils, et tu l'appelleras Emmanuel » (Is 7, 14)

Le texte grec de la septante est plus tardif, mais il est aussi inspiré.

Il y a là une nouvelle révélation, à l’époque des Grecs, quand il n'y a plus de dynastie royale.

Isaïe 7, 14 annonce alors une conception virginale, donc un messie transcendant, qui n’est pas conçu par la semence humaine.

Les paroles « Emmanuel » (Is 7, 14) et « Dieu fort » (Is 9, 5) reçoivent en même temps une signification transcendante.

C’est dans cette version grecque que le Nouveau Testament affirmera l’accomplissement de la prophétie par le Christ.

3) La conception de Jésus accomplit Isaïe 7, 14

Saint Matthieu est surpris par ce qu'il découvre : la naissance virginale de Jésus.

« Or tout ceci advint pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur: Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera du nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: "Dieu avec nous". » (Mt 1, 22-23)

Ce texte reprend principalement l’oracle d’Isaïe dans la Septante :

« Voici, la vierge ("parthenos") portera dans le ventre et enfantera un fils, et tu appelleras Emmanuel" » (Isaïe 7, 14 grec , Septante)

Le texte de Matthieu 1-2 n’est pas inventé pour illustrer les prophéties, il cherche au contraire laborieusement à cadrer avec les prophéties à partir d'une découverte réelle. [3]

Jésus n'est pas engendré de Joseph, fils de David, comme on l’attendait, et cela met en question sa qualification de Messie.

Matthieu fait preuve d’exigence historique en assumant cette donnée scandaleuse, en la justifiant par des biais laborieux.

Il recourt, pour cela, à la prophétie d’Isaïe 7,14. Matthieu n’y parvient lui-même que de manière malaisée, car la prédiction ne s’accorde pas en tous points avec l’événement [3] :

  • Le nom d’Emmanuel, donné au Messie, selon Isaïe 7,14 ne coïncidait pas avec le nom de Jésus. Jésus n'a pas pour nom Emmanuel, il est Dieu avec nous, et il a pour nom Jésus. Pourtant, Matthieu n’a pas gommé ce trait.

  • Selon le texte hébreu d’Isaïe 7,14, c’est la mère qui donnait le nom à l’enfant. Mais cela aurait exclu Joseph dont Matthieu voulait attester le rôle.

  • Selon le grec (la Septante), c’était le roi Achaz qui donnait le nom. Et cela ne servait pas davantage le propos de Matthieu. Pour mettre en relief la mission paternelle de Joseph, il a du s’écarter du texte.

Il est donc clair que Matthieu n'a pas inventé un évangile pour cadrer avec les prophéties et nous pouvons partager d'une façon toute nouvelle l'étonnement pour le fait qu'une parole de l'an 733, relue dans la Septante, s'avère vraie en Jésus-Christ et regarde le monde entier. [2]

4) Jésus accomplit aussi Isaïe 9, 5

« Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom: conseiller merveilleux, Dieu fort, Père à jamais, Prince de Paix, pour que s'étende le pouvoir dans une paix sans fin sur le trône de David et sur son royaume, pour l'établir et pour l'affermir dans le droit et la justice

(Is 9, 5-6)

Le récit de l’Annonciation à Marie exprime l’accomplissement de cette prophétie en Jésus. En effet, l’ange Gabriel dit :

« Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David […] et son règne n’aura pas de fin.»

(Lc 1, 32-33)

Le récit de Noël, les anges louaient Dieu en disant :

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objet de sa complaisance !»

(Lc 2, 14)

La naissance de Jésus est cause de paix.

La tradition chrétienne, dans la liturgie de Noël, donne les titres de Isaïe 9, 5 au Christ.

5) Jésus accomplit aussi Isaïe 11, 1-6

« 1 Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines.

2 Sur lui reposera l'Esprit de YHWH, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de YHWH:

3 son inspiration est dans la crainte de YHWH. Il jugera mais non sur l'apparence. Il se prononcera mais non sur le ouï-dire. 4 Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays. 5 La justice sera la ceinture de ses reins, et la fidélité la ceinture de ses hanches. 6 Le loup habitera avec l'agneau, la panthère se couchera avec le chevreau. Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble. »

(Is 11, 1-6)

La prophétie d’Isaïe est accomplie par le Christ :

En témoigne la lettre aux Romains

« Et Isaïe dit à son tour : Il paraîtra, le rejeton de Jessé, celui qui se dresse pour commander aux nations. En lui les nations mettront leur espérance. »

(Rm 15, 12 // Is 11, 1)

En témoigne l'Apocalypse

« Moi, Jésus, j'ai envoyé mon Ange publier chez vous ces révélations concernant les Eglises. Je suis le rejeton de la race de David, l'Etoile radieuse du matin. »

(Ap 22, 16 // Is 11, 1)

En témoigne l'évangile selon saint Jean

« Et Jean rendit témoignage en disant: "J'ai vu l'Esprit descendre, tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, celui-là m'avait dit: Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint. Et moi, j'ai vu et je témoigne que celui-ci est l'Elu de Dieu." »

(Jn 1, 32-34 // Is 11, 2)


[1] E. Peretto (Faculté théologique pontificale, Marianum, Rome)

[2] J. Ratzinger, Benoît XVI, L'enfance de Jésus, Flammarion, Paris 2012, p. 74-76

[3J Cf. Extrait de R. Laurentin, Les de l’Enfance du Christ, Desclée, Paris, 1982, pp. 379-382

Synthèse par F. Breynaert