Les gens de maison (1 P 2, 18-25)

L’humble personnel d’une maison païenne… et le Christ, pierre angulaire de l’Eglise

Les chrétiens de la primitive Eglise, en Asie (actuelle Turquie), vivent dans une société prospère mais très inégalitaire. Pour la plupart, ils se recrutaient dans le petit peuple, libre ou esclave ; leurs communautés étaient très solidaires, fraternellement soudées.

La 1° lettre de saint Pierre (Nouveau Testament) dit à tous :

« Comme pierres vivantes, prêtez-vous à l'édification d'un édifice spirituel [grec : oíkos pneumatikos] »

(1P 2, 5)

Il utilise le mot « oíkos » (maison) et non pas « naos » (temple).

Plus loin, l'auteur parle aux « oíkétai » (gens de maison) sans utiliser le mot plus habituel « douloi » (serviteurs / esclaves).

Ce mot « oíkétai » permet d'inclure les travailleurs libres mais pauvres, et permet surtout de suggérer leur place capitale dans la construction de l'Eglise « oíkos pneumatikos ».

C'est ce que nous allons observer de près.

18 Vous les gens de maison [oíkétai], soyez soumis à vos maîtres, avec une profonde crainte, non seulement aux bons et aux bienveillants, mais aussi aux difficiles. 19 Car c'est une grâce que de supporter, par égard pour Dieu, des peines que l'on souffre injustement. 20 Quelle gloire, en effet, à supporter les coups si vous avez commis une faute? Mais si, faisant le bien, vous supportez la souffrance, c'est une grâce auprès de Dieu.

21 Or, c'est à cela que vous avez été appelés, car le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces, 22 lui qui n'a pas commis de faute -- et il ne s'est pas trouvé de fourberie dans sa bouche; 23 lui qui insulté ne rendait pas l'insulte, souffrant ne menaçait pas, mais s'en remettait à Celui qui juge avec justice; 24 lui qui, sur le bois, a porté lui-même nos fautes dans son corps, afin que, morts à nos fautes, nous vivions pour la justice; lui dont la meurtrissure vous a guéris. 25 Car vous étiez égarés comme des brebis, mais à présent vous êtes retournés vers le pasteur et le gardien de vos âmes.

(1Pierre 2, 18-25)


Pour tous les chrétiens, le langage de la soumission (1P 2, 13) croise celui de la liberté (1P 2, 16). Les « gens de maison » se « soumettent » à l'autorité (1P 2, 18), en « hommes libres » (1P 2, 16).

La lettre de saint Pierre leur fait l'honneur d'être appelés à faire figure du Christ pascal, dans la manière d'assumer la souffrance qui vient de l'environnement païen où les maîtres sont parfois durs (1P 2, 18). « Tout en agissant bien », ils souffrent, et leur souffrance injuste est le lieu d'un appel à communier aux souffrances du Christ dans le même esprit que lui.

La passion du Christ est relue non plus seulement comme type de la souffrance des grands apôtres tel saint Paul (Col 1, 24), mais aussi comme type de la souffrance de l'humble personnel d'une maison païenne.

Le Christ a laissé un « modèle » : le terme hypogrammos évoque quelque chose d'assez précis comme par exemple le modèle d'écriture.

D'autre part, vous êtes appelés à suivre ses traces. Quelqu'un est passé par-là. Il a laissé des traces à mon intention. Je m'engage sur le même chemin, même si je n'en vois pas encore le terme.


La lettre de saint Pierre emprunte au chant du Serviteur d'Isaïe 53, mais en sélectionnant.


- Rien n'est repris de la comparaison avec la brebis muette devant les tondeurs ou l'agneau conduit à l'abattoir (Is 53,7), comme pour éviter l'impression de recommander une résignation passive.

- Rien ne rappelle cette apparence de sous-humanité méprisable, qui était celle du Serviteur (Is 52,14) ; il s'agit au contraire de réhabiliter les esclaves à leurs propres yeux.

- Mais la lettre relève l'innocence absolue du Christ (1P 2, 22) comme celle du Serviteur (Is 53, 9). Avec cette innocence doit s'harmoniser le comportement des gens de maison, qui non seulement souffrent sans avoir fait le mal, mais même en ayant fait le bien.

Il s'agit d'une souffrance immérité et surmontée par une initiative d'amour.

- Dans sa passion, le Christ n'a pas rendu le mal pour le mal : « insulté, il ne rendait pas l'insulte, souffrant, il ne menaçait pas. » (1P 2, 23). Il ne dégrade pas en rentrant dans le cercle de la vengeance.

Il ne fait pas que s'abstenir de rendre le mal pour le mal. Il est sans complicité avec lui. Le mal qui l'atteint physiquement n'entame pas sa détermination spirituelle.

Le mal subi ne devient pas non plus un motif morbide.

Au contraire, il attend du juste Juge que justice lui soit rendue : « s'en remettait à Celui qui juge avec justice. » (1P 2, 23).

Le Christ met à profit la souffrance pour la guérison spirituelle d'autrui.

Cette guérison consiste à pouvoir suivre les traces du Christ en cassant le cycle de la violence.

C'est ainsi que les gens de maison suivent les traces du Christ en sa Passion et s'approchent du Christ crucifié, la Pierre vivante, méprisée et rejetée par les hommes, glorifiée par Dieu pour être la pierre angulaire (1P 2, 4-6).

Dans la maison spirituelle qu'est l'Eglise, les gens de maison sont tout proches du Christ, la pierre angulaire.

Au sein de l'Eglise, ils sont valorisés.

Et, au regard de la société entière, la Lettre de Pierre est orientée vers le jour de la visite du Seigneur où les oppresseurs glorifieront Dieu, mettant fin à toute violence (1P 2, 12) .


Bibliographie :

Paul BONY, La première épître de Pierre, Cerf, Paris 2004, p. 97-123

Congrès de l'ACFEB, Etudes sur la première lettre de Pierre, Paris 1979, p. 127

F. Breynaert