Marie et la fin des temps (S. Boulgakov)

Marie et la fin des temps (S. Boulgakov)

Marie active au ciel

S. Boulgakov * pense que l'âme est capable d'opérer un certain changement dans son état par rapport à Dieu. Il le déduit de l'efficacité de la prière de l'Eglise pour les défunts. Si l'âme séparée est purifiée par les prières de l'Eglise, ce changement ne peut se faire d'une manière purement passive. (1)

Si Boulgakov a tellement insisté sur l'activité des âmes dans l'au-delà et sur leur sensibilité à la prière de l'Eglise et à l'intercession de la Vierge, c'est pour réagir contre la théorie du sommeil des âmes qui a longtemps joui de la faveur dans la tradition byzantine.

A cette tradition du sommeil de l'âme de Marie, nous avons préféré, à la suite des fragments syriaques, les meilleurs manuscrits latins et grecs qui concluent le récit de la dormition et de la déposition du corps de Marie, sous l'arbre de vie, par la scène de la résurrection :

"Le Seigneur prit l'âme de Marie des mains de l'archange Michel et la replaça dans son corps. Se levant sur ses pieds, la bienheureuse Marie marchait et les anges chantaient des hymnes."

(Transitus latin, Ms. De Karlsruhe Augensis 229, n° 50)

Marie sera présente à la fin des temps : elle est toujours unie à Jésus

La fin des temps, se demande Serge Boulgakov, est-ce la fin de ce monde, ou la transfiguration de ce monde, purifié comme par le feu ? La fin de l'éon présent n'est pas au terme d'une évolution cosmique ; elle est le résultat d'une intervention souveraine de Dieu.

Ascension et retour du Seigneur sont corrélatifs : « Ce Jésus qui est monté d'auprès de vous dans le ciel viendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel. » (Ac 1,11).

Marie restera-t-elle au ciel, au moment du second avènement de son Fils dans ce monde, qu'elle n'a pas abandonné même par son Assomption, elle qui est déjà ressuscitée ? Elle y sera.

Marie au jugement dernier

La tradition parle dans le silence par l'iconographie et cela suffit ; il n'est pas, dans l'iconographie orientale, une seule représentation du jugement dernier où la Vierge serait absente. Et cela suffit. La présence de la Vierge au jugement dernier est, selon Boulgakov, la manifestation de l'hypostase de l'Esprit Saint, non comme son incarnation, ce qui est impossible, mais comme son œuvre la plus parfaite dans la nature humaine. Elevée aux cieux, la Vierge reste présente au monde. Elle est la gloire du monde. D'où les icônes cosmiques comme celles du Buisson ardent, du thème : « Toute créature en toi se réjouit», « Une reine se tient à ta droite», ou encore «Il est digne de te louer », l'icône du Pokrov, ou de la Protection du monde par Marie.

« Au Jugement dernier, quand le Seigneur lui-même, doux et humble de cœur, sera le juge de Justice prononçant le verdict de son Père, où sera la miséricorde ? Toute la théologie orientale donne à cette question une réponse tacite mais significative par l'iconographie : les icônes du jugement dernier représentent à la droite du Fils la Vierge Très Pure qui implore sa pitié par son amour maternel. Elle est la Mère de Dieu et de tout le genre humain. Le Fils lui a confié la pitié, quand il reçut du Père le jugement de justice.

Quand cette parousie mariale a-t-elle lieu ?

La parousie mariale aura lieu, pas plus tard que celle du Christ ; à tout le moins en même temps.

Il n'y a pas d'objection évidente à concevoir même que la Mère de Dieu apparaisse d'abord. [3]

Restée dans le monde après l'Ascension, la Mère pourrait seule encore anticiper son avènement, si cela était nécessaire pour l'humanité qui a besoin de la vision de sa face qui lui attendrit le cœur.

Là trouve son insertion le thème des apparitions de la Vierge qui sont comme autant de visitations à notre pauvre monde, ainsi que l'intercession de Marie et sa manifestation aux âmes dans l'au-delà, dans l'attente du jugement dernier.


* Serge Boulgakov, au plus fort du déchaînement de l'athéisme, demanda au patriarche Tikhon de devenir prêtre et fut ordonné le jour de la Pentecôte 1918.

[1] Cf. Serge BOULGAKOV, L'Epouse de l'Agneau, 1942, traduit par Constantin Andronikov, aux Editions L'Age d'Homme, Paris 1984, p.268-288

[2] Serge BOULGAKOV, L'Orthodoxie. Traduit du russe par Constantin Andronikov, Ed. l'Age d'Homme, Lausanne, 1980, p. 207 et référence à Jean 5,22 et 27 : Le Père ne juge personne, il a remis tout jugement au Fils.

[3] Serge BOULGAKOV, L'Epouse de l'Agneau, 1942, traduit par Constantin Andronikov, aux Editions L'Age d'Homme, Paris 1984, p. 314


A.WENGER, Marie et la fin des temps dans la tradition orientale grecque et russe, dans M.- J. Coloni, C.Molette, J.Pintard A.Wenger, P.Yousif, Marie et la fin des temps II Approche patristique, 42° session de la Société française d'études mariales, Lyon, 1985, ŒIL, Paris 1986, pp. 79-105, p. 80-84, extraits choisis par F.Breynaert.