Les enfants malades (C. Péguy)

Les enfants malades (C. Péguy)

Il pense à ses enfants qu'il a mis particulièrement sous la protection de la Vierge.

Un jour qu'ils étaient malades.

Et qu'il avait eu grand peur. Il pense encore en frémissant à ce jour-là. Qu'il avait eu si peur. Pour eux et pour lui. Parce qu'ils étaient malades.

Il en avait tremblé dans sa peau. A l'idée seulement qu'ils étaient malades.

Et sa femme qui avait tellement peur. Si affreusement.

Qu'elle avait le regard fixe en dedans et le front barré et qu'elle ne disait plus un mot.

Comme une bête qui a mal. Qui se tait. Car elle avait le cœur serré. [...]

Sa femme qui serrait les dents, qui serrait les lèvres. Et qui parlait rarement et d'une autre voix. D'une voix qui n'était pas la sienne.

Tant elle avait affreusement peur. Et ne voulait pas le dire.

Mais lui, par Dieu, c'était un homme. Il n'avait pas peur de parler.

Il avait parfaitement compris que ça ne pouvait pas se passer comme ça.

Ça ne pouvait pas durer. Comme ça.

Il ne pouvait pas vivre avec des enfants malades. Alors il avait fait un coup (un coup d'audace), il e riait encore quand il y pensait. Il s'en admirait même un peu. Et il y avait bien un peu de quoi. Et il en frémissait encore. Il faut dire qu'il avait été joliment hardi et que c'était un coup hardi.

Et pourtant tous les chrétiens peuvent en faire autant. On se demande même pourquoi ils ne le font pas.

Comme on prend trois enfants par terre et comme on les mets tous les trois. Ensemble. A la fois. Par amusement. Par manière de jeu. Dans les bras de leur mère et de leur nourrice qui rit. Et se récrie. Parce qu'on lui en met trop. Et qu'elle n'aura pas la force de les porter.

Lui, hardi comme un homme. Il avait pris, par la prière il avait pris. (Il faut que France, il faut que chrétienté continue)

Ses trois enfants dans la maladie, dans la misère où ils gisaient.

Et tranquillement il vous les avait mis.

Par la prière il vous les avait mis. Tout tranquillement dans les bras de celle qui est chargée de toutes les misères du monde. [...]

Il avait dit : Je n'en peux plus. Je n'y comprends rien. J'en ai par-dessus la tête. Je ne veux plus rien savoir. Ça ne me regarde pas. [...] Celle qui a été la mère de Jésus-Christ peut bien aussi être la mère de ces deux petits garçons et de cette petite fille. Qui sont les frères de Jésus-Christ. Et pour qui Jésus-Christ est venu au monde. [...]

Vous les voyez, disait-il, je vous les donne. Et je l'en retourne et je me sauve pour que vous ne me les rendiez pas. Je n'en veux plus, vous le voyez bien. [...]

Depuis ce temps là tout marchait bien.

Naturellement.

Comment voulez vous que ça marche autrement.

Que bien.

Puisque c'était la Vierge qui s'en mêlait.

Qui s'en était chargée.

Elle sait mieux que nous...

Il s'en est allé les mains vides. [ ...]

Et elle qui les avait pris, elle était

Si touchante et si pure.

Non seulement toute en foi et en charité.

Mais toute en espérance même.

Pure et jeune comme l'espérance. (Pendant que lui s'en allait les bras ballants).


Charles Péguy, Le porche du mystère de la deuxième vertu, Gallimard 1911, p.58-70.

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