A Kefr Kenna, le lieu des noces de Cana?

Cana, ou Kefr kenna, le sanctuaire de Marie Médiatrice

(Cf S.Jean,2,I-II)

Dès le matin des bandes d'enfants aux visages poussiéreux s'agitent autour de la maison, épiant les grandes soeurs qui s'empressent auprès de la fiancée et l'habillent pour ses nissu'in, la plus belle fête de sa vie.

Cette réjouissance bruyante éclatait par tout le village, ponctuée de rires et de cris. Les hommes, nombreux, se sont abstenus d'aller aux champs et, assis par petits groupes, ressassent les mille potins du village.

Chacun vit dans l'attente du soir car ce sera alors une grande fête pour Cana. Parmi les préparatifs, les femmes n'oublient point de nettoyer les vieilles lampes. Au coucher du soleil, l'époux, entouré de ses amis, se dirige au milieu des vivats et des quolibets joyeux vers la maison de la fiancée.

Couronnée de fleurs et brillante de beauté, celle-ci l'attend sur le seuil de la porte; elle est pressée entre ses compagnes dont l'une élève une lampe, l'autre une cymbale... Et le cortège s'organise, se met en branle puis traverse tout le village.

Les femmes marchent les premières et entremêlent les cris stridents de la réjouissance à l'éloge des époux et à leurs richesses incroyables. A l'entrée de la maison de l'époux, la cérémonie nuptiale éclate en ouragan de joie pour s'apaiser graduellement dans l'intimité des amis.

Parmi les invités se trouvaient Marie, cette femme réservée, drapée dans le large voile des veuves, et aussi son fils le fameux Rabbi Jésus avec quelques disciples.

«Faites tout ce qu'Il vous dira ».

Kefr Kenna

Le récit de l'Evangile ne fournit guère d'indications précises pour localiser Cana. La spécification de «Cana en Galilée» laisse supposer qu'il évite de la confondre avec une autre ville du même nom.

D'ailleurs Flavius Josèphe parle de «Cana, village de Galilée» qui est probablement celui de saint Jean, pour affirmer qu'il l'a occupé à cause de sa position stratégique entre Séphoris et Tibériade.

Tant de précision retient loin de l'antique Qanah de la tribu d'Azer cité sur les listes des pharaons Seti I et Toutmosi III qui est situé en pleine Phénicie, à une dizaine de kilomètres au sud-est de Tyr. Un indice indirect mais de grande valeur est le chauvinisme campagnard de Nathanaël, si commun entre villages voisins.

Enfin, le rapprochement des textes de l'Evangile montre bien que Cana se trouve sur la route qui va de Nazareth à Capharnaüm. Bref, ces motifs et ces indices sans prétention convergent vers une localisation sûre qui, réaffirmée par la tradition, correspond au site de l'antique Itta de la tribu de Zabulon.

Cette identification s'appuie encore sur la liste des cités vassales de la même Tribu compilée sur des documents antiques et conservée dans la synagogue de Saphed. On y lit en effet:

«La ville de Itta Hazim, appelée plus tard Isanna, est devenue aujourd'hui Khaphar Cana».

Quaresmius (1626) relate les opinions qui avaient cours de son temps sans la préoccupation de localiser les souvenirs de l'Evangile.

On connaissait alors deux Cana: Cana de Galilée et Sepher Cana. A son avis Cana correspond beaucoup plus probablement aux récits de l'Evangile et à la tradition. L'orthographe de l'actuel Kefr Kenna est privée du kof préfixe employé par l'Evangile.

Cependant l'argument de la phonétique renferme sa valeur propre car, dans le cas présent, il dirige sûrement vers la localisation traditionnelle. Ainsi la phonétique s'est attachée à une fontaine 'Ain-el-Qana et l'on sait que les points d'eaux constituent la plus solide garantie de la tradition orale dans l'onomastique (1 ).

Comment la Tradition écrite localise le vrai Cana :

La tradition écrite occupe une place fort importante dans la localisation de Cana. Toutefois, son premier témoignage ne semble guère favoriser le Cana de l'Evangile qu'il confond avec Qanah de la tribu d'Aser.

Eusèbe de Césarée, tributaire d'Origène et peu sûr dans la localisation des récits de l'Evangile, est le premier témoin de la confusion des deux Cana.

Saint Jérôme s'exprime au contraire avec une belle assurance quand il trace à Marcelle l'itinéraire d'un pèlerinage en Galilée. «Nous nous rendons à Nazareth... et à peu de distance nous visiterons Cana où l'eau fut changée en vin. Ce «peu de distance» par rapport à Nazareth est noté en vue de l'exigence des lieux à visiter parce qu'immédiatement après survient l'allusion à l'ascension du Mont Tabor.

La logique de cette explication n'a pas échappé au P. Abel qui, pour défendre son opinion favorable à Khirbet Qana, se voit contraint de faire de l'équilibrisme en affirmant qu'il s'agit d'un «simple artifice littéraire destiné a inclure Cana dans l'énumération des Lieux Saints».

Décrivant ailleurs le pèlerinage de Paule, saint Jérôme situe Cana sur la voie de Nazareth à Capharnaüm:

«Dans un parcours rapide elle passa par Nazareth, Cana et Capharnaüm, tous lieux témoins de miracles du Seigneur».

Il va de soi que l'expression exclut Khirbet Qar qui est situé plus au nord et en dehors de la voie de Nazareth à Capharnaüm.

L'identification du Cana de l'Evangile devient encore plus précis avec le moine Théodose(530) car il situe Cana et Nazareth à une égale distance (de cinq milles) de Séphoris.

En vérité, le calcul est largement compté et le pèlerin songeait sans doute à cinq mille pas, soit cinq kilomètres, distance confirmée par l'anonyme de Plaisance (570). II convient de mentionner que le calcul des distances, en relation avec Séphoris, que les deux pèlerins fournissent, pourrait jouer en faveur de Khirbet Qana; mais celui-ci est situé au nord-est de Séphoris, tandis que Kefr Kenna, dans la direction est, est placé sur la grande voie de communication de Capharnaüm.

Le récit de l'anonyme de Plaisance présente des détails d'un vif intérêt. «Nous nous sommes assis sur le siège même qui a servi au Christ et sur lequel, tout indigne, j'ai inscrit le nom de mes parents.

II y a là deux des amphores du miracle et j'ai rempli de vin celle qui m'a servi à l'autel; et nous nous sommes lavés dans la fontaine pour nous assurer de la bénédiction céleste». Un siècle et demi plus tard, saint Willibald visite à Cana «une grande église» et vénère «sur l'autel l'une des six urnes que le Seigneur avait fait remplir d'eau».

Il ne mentionne pas le «siège du Seigneur» qui très probablement avait déjà disparu car cette époque byzantine fournit de nombreux exemples du «déplacement» des reliques de Palestine. Et de fait, en 1885, on a trouvé dans les ruines de l'église d'Elatea en Phocide une pierre qui porte cette inscription grecque: "de Cana en Galilée où Notre Seigneur a changé l'eau en vin".

De l'église byzantine visitée par saint Willibald nous avons encore le témoignage du Commemoratonum de caris Dei; le pèlerin saint Epiphane trouva un monastère construit à côté. Ce fut ensuite la pénible histoire commune à tous les sanctuaires de Palestine. En 1102, Saewulf y verra le village en ruines; et l'emplacement est marqué par un monastère byzantin.

L'oeuvre des Croisés

Avec les croisés se multiplient les récits de pèlerinage en Palestine et quelques-uns font revivre le souvenir de Cana, mais les indications de distance et de localisation sont généralement vagues et imprécises.

De Nazareth à Cana, Saewulf compte six milles, l'auteur du De situ urbis Jerusalem en compte cinq, Jean de Wurzbourg, quatre...; l'hégoumène russe Daniel calcule une verste et demi qui, pour l'auteur de la citez de Jherusalem, devient trois lieues.

Si la différence de l'appréciation de distance est parfois sensible, le témoignage des pèlerins concorde sur une localisation vraisemblable de Kefr Kenna, ce qui constitue une preuve solidement établie.

D'autre part, l'hégoumène Daniel situe le Cana de l'Evangile sur la grande voie qui relie Séphoris, Tibériade et Capharnaüm tandis que Jean de Wurzbourg précise qu'il est situé «à quatre milles de Nazareth et à deux milles de Séphoris vers l'Orient».

Un siècle plus tard, l'auteur des ltinerarii e Pellegrinaggi di Terra Santa, espèce de guide pratique du pèlerin, localisera Cana à cinq lieues du Mont Tabor, ce qui signifie environ trois lieues à l'ouest de Nazareth.

Il est fort intéressant de noter qu'aucun des récits de la période des croisés ne mentionne la reconstruction de l'église de Cana. Cette absence ne saurait s'attribuer à l'oubli mais bien "au fait que les croisés n'ont pas relevé ce sanctuaire. Ils se bornèrent sans doute à déblayer les lieux et à nettoyer la crypte de l'église car plusieurs pèlerins en parlent comme étant «la salle des noces» et vénéreront l'endroit où étaient placées les urnes de l'Evangile.

Ce n'est assurément pas au hasard que les pèlerins sont unanimes à reconnaître le sanctuaire sous l'appellation du «lieu où les noces eurent lieu». L'église que visitent Tetmar et, plus tard, Nicolas de Poggibonsi puis Francesco Suriano n'est qu'une crypte comme l'affirment Burchard du Mont Sion (1283) et Jean Poloner.

Horizons archéologiques

A partir du XIVè siècle, la tradition favorable à Kefr Kenna fut la seule à survivre jusqu'au siècle dernier quand l'érudition commença à manifester des exigences nouvelles. L'archéologie devait apporter des preuves définitives.

Les fouilles entreprises au déclin du XIXè siècle se limitèrent aux fondations de la petite église que les Franciscains construisirent en 1878; les recherches furent plus expéditives que compétentes mais elles se révélèrent très fructueuses.

Les fondations de l'église byzantine furent mises à jour et un important matériel archéologique fut recueilli suffisant pour permettre de fixer la chronologie du sanctuaire. Si nous avons cru un moment que l'église commémorative du miracle de Cana ne datait que du VIIIè siècle, les éléments recueillis dans les fouilles et surtout les matériaux réemployés dans les constructions voisines fournissent des preuves évidentes de la technique des ouvriers byzantins de la première période.

Ainsi, sans nul doute, la chronologie du sanctuaire doit être revisée pour donner sa pleine valeur au témoignage de l'anonyme de Plaisance qui, au VIè siècle, déclare y avoir prié devant l'autel.

Au - delà de cette attestation, le champ est resté ouvert aux hypothèses. La découverte sur place d'une inscription araméenne, en caractères communément datés d'avant les Septantes, a suggéré que Joseph comte de Tibériade, avait érigé à Cana, comme à Séphoris, un sanctuaire sur les ruines d'une ancienne synagogue; c'est une hypothèse audacieuse que l'archéologie seule pourrait confirmer.

Cana , lieu de pélerinage dès le IVè siècle

Il reste acquis que selon l'itinéraire tracé par saint Jérôme pour l'usage de Paule et de Marcelle, Cana était un lieu de pèlerinage dès le IVè siècle, reposant donc sur une tradition antérieure à la paix de l'Eglise sous Constantin.

A la fin de cette promenade archéologique dans le centre de la Galilée, un souhait jaillit spontanément du coeur des pèlerins et de tous ceux qui sacrifient leur vie à conserver avec amour les traces de Jésus sur la terre.

Ce souhait est que les fouilles soient reprises à Cana selon les méthodes critiques de la S. Custodie de Terre- et de l'Institut Biblique de la Flagellation de Jérusalem.

Les succès remportés dans les excavations à 'Ain Karim, soit à Saint-Jean soit à la Visitation, à la Basilique de la Nativité et au Champ des Pasteurs de Bethléem, à la Grotte de Gethsémani et à Nazareth, depuis une trentaine d'années, se portent garants que des fouilles entreprises à Cana complèteraient les témoignages scientifiques des principales traditions palestiniennes en conformité avec les récits de l'Evangile pour lesquelles des esprits malveillants manifestent trop peu de respect.

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(1 ) Onomastique : étude des noms propres.