Les patriarches et l’archéologie

Abraham et l’archéologie

Abraham, de l'époque d'Hammurabi (1792-1750 av. J.-C.)

Parti de la ville d'Ur en Mésopotamie et établi à Harân, Abraham quitta sa famille d'origine pour se rendre en Syrie et en Palestine. Après un court séjour en Egypte, il s'installa dans la région d'Hébron. Dieu lui apparut et lui promit que tout ce territoire lui reviendrait ainsi qu'à sa descendance, appelée à devenir nombreuse "comme les grains de poussière de la terre" (Gn. 13).

Le chapitre 14 de la Genèse rapporte qu'Abraham était parvenu en Canaan lorsqu'il assista à un conflit armé opposant plusieurs cités voisines de la mer Morte à quatre puissants rois : "Aux jours d'Amraphel, roi de Sennaar, d'Arioch, roi d'Ellasar, de Chodorlahomor, roi d'Elam, et de Thadal, roi de Goïm, il arriva qu'ils firent la guerre à Bara, roi de Sodome, à Bersa, roi de Gomorrhe, à Sennaab, roi d'Adama, à Séméber, roi de Séboïm, et au roi de Bala, qui est Ségor." Le conflit tourna à l'avantage des Sumériens, qui rétablirent leur autorité sur les cités vassales puis retournèrent chez eux. Abraham serait alors intervenu à ce moment pour délivrer son neveu Loth retenu prisonnier par les vainqueurs, au moyen d'une opération nocturne (Gn. 14).

L'histoire mésopotamienne étant assez bien reconstituée grâce au déchiffrement des tablettes cunéiformes, il a été possible pour des orientalistes du début du XXème siècle de proposer une identification des quatre rois bibliques : "Amraphel, roi de Sennaar" ne serait autre que Hammourabi, roi de Sumer. Ce puissant monarque originaire de Babylone se tailla un empire englobant le pays de Sumer. "Arioch, roi d'Ellasar" serait Eri-Aku, roi de Larsa et de Ur. Il était le fils d'un prince élamite, Koudour-Mabug, qui avait pris la cité de Larsa. "Chodorlahomor, roi d'Elam" serait une transcription de Koudour-Lagamar, titre religieux pouvant avoir été porté par un roi d'Elam comme Koudour-Mabug. Quant à "Thadal, roi de Goïm", ce serait Tudghula, le roi d'un peuple nomade de la région d'Elam. Cette thèse semble en outre confortée par un ensemble de tablettes cunéiformes dites "de Spartoli", beaucoup plus récent (IIIème siècle av. J.-C.)

Les dates du règne de Hammourabi ont été fixées par les historiens à 1792-1750 av. J.-C. De ce qui précède, il découle une chronologie qui situe la vie d'Abraham vers 1800-1750 avant notre ère.

Partant de ce constat, un calcul simple permet de déterminer approximativement toute la suite de la chronologie biblique. Abraham engendra Isaac, qui vécut 60 ans avant d'avoir un fils, Jacob (Gn. 25, 26). Celui-ci vécut 130 ans avant d'entrer en Egypte (Gn. 47, 9). En additionnant ces années, on trouve une date possible d'entrée de Joseph en Egypte vers le début du XVIème siècle. Cette époque peut coïncider avec le règne des rois "hyksos", qui envahirent le nord de l'Egypte et s'y établirent comme pharaons.

Abraham : une pieuse légende ?

Dans un ouvrage de synthèse paru en 2002 sous le titre de "La Bible dévoilée", l'archéologue Israël Finkelstein et l'historien Niels Silbermann relèvent de prétendus anachronismes dans le récit de la vie d'Abraham : l'utilisation des chameaux et la référence aux Philistins . Ils en concluent qu'il n'est pas historiquement crédible, et relèguent les chroniques bibliques de cette époque au rang de pieuses légendes.

Les chameaux (Gn 12.16 ; 24. 10 ; 30.43 ; 31.17, etc.) ne sont pas anachroniques :

Il est exact que les animaux les plus utilisés pour le transport étaient alors les ânes. La référence aux chameaux pourrait s'expliquer par des modifications tardives du texte introduites après sa première composition. Cela dit, l'argument des chameaux pourrait aussi être relativisé par des traces réelles de domestication du chameau, qui ont été trouvés dans des sites archéologiques très anciens. En 1944, Joseph Free releva des indices d'utilisation de chameaux dans des sites égyptiens des toutes premières dynasties : statuettes de chameaux en céramique (env. 3000 av. J.-C.), corde en poil de chameau (vers 2500 av. J.C.), pétroglyphe montrant deux hommes montés sur un chameau (env. 2300 av. J.-C.). Dans la même démarche, en 1966 l'archéologue britannique Kenneth Kitchen cita des éléments similaires trouvés au Proche-Orient : ossements de cet animal trouvés à Mari en Mésopotamie (au moins 1800 ans av. J-C.), textes sumériens de Nippur parlant de lait de chameau ... Ces éléments bien qu'assez disparates, attestent que l'usage domestique de cet animal avait déjà commencé à l'époque supposée d'Abraham.

Les Philistins, terme générique, ne sont pas anachroniques :

Le problème des Philistins est plus difficile à résoudre. Les Philistins sont assimilés à un ensemble plus large de "peuples de la mer", dont on sait qu'ils déferlèrent massivement sur les côtes de Canaan au XIIème siècle av. J.-C., bien avant Abraham. Cela dit, plusieurs vagues d'immigration de peuples méditerranéens ont pu avoir lieu en Canaan à des époques différentes, et des Philistins ont pu s'y établir auparavant.

Un indice important à considérer se trouve dans l'étymologie de leur nom exact, Peleset, qui pourrait dériver de la racine sémitique plsh signifiant "traverser" ou "envahir". Dans ce cas le mot est à prendre dans un sens générique, et peut concerner n'importe quel peuple envahisseur. Il peut donc s'agir de populations méditerranéennes qui se seraient établies sur les côtes du pays de Canaan, longtemps avant la future invasion qui se produira au XIIème siècle.

Cependant le récit biblique contient une indication géographique plus précise. Il cite la ville de Gerare comme étant occupée par le peuple philistin. Abraham s'allie avec le Philistin "Abimelech, roi de Gerare", et plus tard son fils Isaac se rendra à "Gerare chez Abimelech, roi des Philistins" (Gn 20, 2 ; Gn. 26, 2). Aujourd'hui, Gerare est assimilée au site de Tel Haror, au sud-est de Gaza. Les fouilles effectuées à Tel Haror par le professeur Eliezer Oren, de l'université Ben Gourion du Néguev, ont montré que ce fut effectivement une cité philistine au XIIème siècle av. J.-C. Mais elle fut également au XVIIème siècle avant notre ère l'une des plus grandes villes de Canaan, et probablement déjà conséquente à l'époque présumée des patriarches. En 1996, on découvrit à Tel Haror un tesson de céramique portant des signes relevant d'une écriture ancienne déjà connue : l'écriture crétoise linéaire. Trouvé dans les ruines remontant à la première période d'occupation, il est daté de 1600 environ avant notre ère. A Tel Haror également fut découvert un vase typique de la civilisation crétoise minoenne. Ce type d'inscriptions linéaires se retrouve également dans d'autres sites dispersés du pourtour méditerranéen.

Ces éléments indiquent simplement que des liens culturels existaient entre la région de Tel Haror et de lointaines contrées maritimes comme la Crète. Les indices autorisent à penser que le site de Gerare (Tel Haror) a pu être occupé au temps d'Abraham par des immigrants, que la Genèse aurait appelé "Philistins" dans le sens générique de "peuple envahisseur venu de la mer".


Références :
[1] - G. Roux : "La Mésopotamie". Seuil, Paris 1995.
[2] - S. Caiger : "Bible and spade". The University Press, Oxford 1936 (katapi.org.uk).
[3] - G.F. Wright : "The Testimony of the Monuments to the Truth of the Scriptures". In "The Fundamentals: A Testimony to the Truth", ed. R.A. Torrey, A.C. Dixon and Others, The Bible Institute of Los Angeles, 1917 (xmission.com).
[4] - A. Custance : "Some Remarkable Biblical Confirmations from Archaeology: With Special Emphasis on the Book of Genesis". Part IV of vol. 7, "Hidden Things of God's Revelation". Doorway Publications, Hamilton, Canada, 2nd Online Edition, 2001 (custance.org).
[5] - I. Finkelstein et N. Silberman : "La Bible dévoilée". Gallimard, Paris 2006.
[6] - J. Lendering : "Camels and dromedaries", 2004 (livius.org).
[7] - "Camels". University College London 2003 (digitalegypt.ucl.ac.uk).
[8] - J.P. Free : "Abraham's camels". Journal of Near Eastern Studies, juillet 1944, 3, 187-193.
[9] - K.A. Kitchen : "Ancient Orient and Old Testament", chapter 4. Inter-Varsity Press, London 1966 (biblicalstudies.org.uk). [10] - B. Wood : "The Genesis Philistines". ABR Electronic Newsletter, may 31, 2006 (biblearchaeology.org).
[11] - M. Finkelberg : "Bronze age writing : contacts between east and west". Annales d'archéologie égéenne de l'université de Liège, 18, 1998 (ulg.ac.be).
[12] - "The Philistines, the Minoans and the Patriarchs", march 18, 2006 (christiancadre.blogspot.com).
[13] - G. Couturier : "Macpéla : tombeau des patriarches". Chronique du 14 nov. 2008 (interbible.org).


Extraits de : bible.archeologie.free.fr/abrahamcanaan.html>http://bible.archeologie.free.fr/abrahamcanaan.html Le 06.09.2013.

Seuls les sous-titres ont été ajoutés par nos soins.

Ces idées sont aussi présentées sur le site www.areopage.net/VersetsDifficiles_Genese_12_16.html qui donne aussi la référence de - A.S. Saber, « The Camel in Ancient Egypt », Proceedings of the Third Annual Meeting of Animal Production Under Arid Conditions, 1998, Vol. 1 : 208-215. [iconographie, pp. 210-214]