La maturation du dogme de l'Immaculée Conception

La maturation du dogme de l'Immaculée Conception

La Bible, et notamment l'Evangile de Luc.

La certitude que Marie avait été sanctifiée d'une manière proportionnée à sa vocation unique apparaît dès les premiers textes chrétiens concernant la Vierge, et notamment dans le mot de l'Ange la saluant comme kekharitôménè, "comblée de grâces" (Lc 1, 28).

De plus, Jérémie et Jean Baptiste qui sont désignés à une mission d'une particulière importance en vue de l'avènement du Messie, sont sanctifiés dès le sein de leur mère.

Pour Jérémie : "La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes: Avant même de te former au ventre maternel, je t'ai connu; avant même que tu sois sorti du sein, je t'ai consacré." (Jr 1, 4-5)

Pour Jean le Baptiste : "Et il advint, dès qu'Elisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l'enfant tressaillit dans son sein et Elisabeth fut remplie d'Esprit Saint." (Lc 1, 41).

Du II° au IV° siècle.

Dès le II° siècle, la doctrine de l'Immaculée conception est implicite dans le fréquent parallélisme Eve/ Marie (St Irénée, St Justin, Tertullien).

St. Hyppolite dit que le Sauveur est "une arche faite avec des bois non sujets à la putréfaction de la faute" [l'arche, c'est Marie].

Cependant, dans les premiers siècles, l'affirmation de la sainteté de la Mère de Dieu n'excluait pas que lui soient parfois reconnues certaines défaillances, par exemple, Cyrille d'Alexandrie évoque un doute de Marie au calvaire.

V° siècle : St Augustin et les discussions sur le péché originel.

La reconnaissance de la parfaite sainteté de Marie a été marquée, en Occident, par les discussions concernant le péché originel.

Pour Pélage († 422 environ), la sainteté de Marie est l'exemple de ce que peut la nature humaine lorsqu'elle refuse le péché.

Pour Julien d'Eclane († 445 environ), la sainteté de Marie permet de nier le péché originel.

Saint Augustin († 430)[1], tout en admettant que la sainteté personnelle ait été totalement accordée à Marie en tant que Mère de Dieu, refuse néanmoins que celle-ci, à la différence des autres humains, ait été conçue sans péché. En effet, elle bénéficié, elle aussi, de la grâce de la régénération.

De plus, pour saint Augustin, le péché originel se transmettait par le moyen de la libido, nécessairement connectée avec l'acte conjugal. En conséquence de quoi, certains tentèrent d'expliquer l'Immaculée Conception en disant que l'acte générateur de Joachim et Anne avait été miraculeusement exempté de la libido.

Au VII° et VIII° siècle : la fête en Orient.

Vers la fin du VII° siècle ou au début du VIII°, la fête de la Conception de Marie commence à être célébrée en Orient par exemple par André de Crète. La première homélie que l'on connaît sur la Conception est celle de Jean d'Eubée. Il s'agit d'abord de fêter la conception miraculeuse de Marie par sa mère Anne jusqu'alors stérile. La conception de Marie est assez fréquemment déclarée et immaculée.

XI° et XII° siècle : la fête en Occident.

La fête orientale de la «Conception», importée par quelque moine, venu d'Orient, apparaît en Angleterre vers 1060 environ pour disparaître presque immédiatement à la période de la conquête normande (1066) sans laisser d'autres traces qu'un souvenir mêlé de regrets. Puis elle renaît grâce à la dévotion populaire vers 1127 - 1128 et passe en Normandie, d'où elle s'étend à toute l'Europe.

St Eadmer de Canterbury.

Saint Anselme, et surtout saint Eadmer (†1134) enseignent alors l'Immaculée Conception de Marie.

XII° et XIII° siècle : St Bernard et St Thomas d'Aquin résistent.

St. Bernard et Pierre Lombard, nourris de St Augustin et de son idée de transmission du péché originel, refusent la doctrine de l'Immaculée conception : saint Bernard dit en effet que Marie ne pouvait être sanctifiée avant son animation, mais qu'elle le fut après dans le sein de sa mère, avant sa naissance.

Un siècle plus tard, St. Albert le Grand et St. Thomas (†1274) refusent cette doctrine parce qu'ils ne voient pas comment la concilier avec l'universalité de la Rédemption du Christ clairement présumée dans Rm 5, 12 : «Tous ont péché».

Le XIV° siècle et Duns Scot (†1308).

Dans son œuvre fondamentale, l'Opus Oxoniense, Jean Duns Scot dénoue toutes les raisons, qu'elles soient favorables ou opposées au jugement relatif à l'Immaculée. Les deux jugements sont également possibles.

Plus tard, il renoue avec l'école monastique anglaise du XI° siècle et reprend la formule célèbre : « Dieu pouvait préserver sa Mère du péché de la race, il convenait qu'il le fît et il l'a fait » (Potuit, decuit, fecit). La clé se situe dans le mot "préserver" et dans l'idée d'une action rétrospective de la Rédemption.

Il donne une argumentation puissante en trois points :

« La manière la plus haute et la plus parfaite de réparer l'offense de quiconque n'est autre que de prévenir cette offense. Si en effet la réparation se limite à apaiser l'offensé pour l'amener au pardon, la réparation n'est pas parfaite... Pour cette raison, le Christ n'aurait pas rendu de réparation parfaite à la Très Trinité s'il n'avait pas prévenu, au moins en quelqu'un, l'offense à la Trinité même; et ensuite si l'âme de quelque fils d'Adam n'existait pas l'exemption de telle faute. Par conséquent, il doit exister quelque descendant d'Adam, exempté de la faute originelle, qui n'ait pas de faute.

2 Le médiateur parfait mérite que toute peine soit enlevée pour celui qu'il veut réconcilier. Mais la faute originelle représente une grande punition, la privation même de la vision divine... Donc si le Christ nous a réconcilié avec Dieu de manière parfaite, il a mérité qu'au moins quelqu'un fût préservé par cette grave peine. Mais ceci ne pouvait arriver que pour sa Mère... [...]

3. La personne réconciliée, à la limite, ne se sent pas obligée vis-à-vis du médiateur si elle n'a pas reçu le maximum de bien possible. [...] Et personne ne se sentirait ensuite aussi extrêmement obligée envers le Christ médiateur que la personne préservée du péché originel... »

Duns Scot, En III sententiarum, d 3, q 1

Le XV° siècle.

En 1439, le concile de Bâle avait défini l'Immaculée Conception et institué la fête du 8 décembre ; mais ce concile était illégitime.

En 1477, le pape Sixte IV, franciscain, promulgue la constitution par laquelle il approuve solennellement la fête de l'Immaculée Conception célébrée dans de nombreux endroits.

En 1483, le pape Sixte IV affirme que ce point de doctrine est libre, et il interdit de qualifier d'hérétique la position pour ou contre l'Immaculée conception[2].

Ce courant décidément favorable à l'Immaculée Conception dans l'Eglise latine provoque une réaction opposée dans l'Eglise grecque (séparée pour des raisons politiques depuis un certain temps), en conséquence de quoi de nombreux évêques et théologiens orthodoxes s'inscrivent parmi les adversaires du privilège. (Cette opposition s'accentuera encore plus avec la proclamation du dogme en 1854).

Du XVI° au XVIII° siècle.

Le concile de Trente, à la fin du Décret sur le péché originel, en précisant qu'il n'a pas été dans son intention d'inclure dans le Décret « la bienheureuse et immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu »[3]

Le 8 décembre 1661, Alexandre VII, avec la constitution Solicitudo omnium Ecclesiarum, détermine, contre les fausses interprétations des rares adversaires restants, l'objet précis de la fête, en déclarant qu'il s'agit de la préservation de l'âme de la Vierge de la faute originelle, au premier instant de sa création et infusion dans le corps, par la grâce particulière et privilège de Dieu, en vue des mérites de Christ son Fils, Rédempteur du genre humain.[4]

L'effet de cette Constitution est incalculable. Des diocèses, des rois et des peuples se mettent sous la protection de l'Immaculée. Diverses congrégations sont fondées en son honneur.

En 1708, Clément XI fait de l'Immaculée Conception une fête de précepte dans l'Église universelle.

1854 : Le dogme.

Au cours du siècle, l'enthousiasme des fidèles et des savants va toujours croissant, tout comme s'accentuent les suppliques adressées aux pontifes romains pour la définition dogmatique. Après une consultation de l'épiscopat mondial, qui se montra à une très large majorité favorable à une telle définition, Pie IX, le 8 décembre 1854, par la bulle Ineffabilis Deus, définit infailliblement le dogme de l'Immaculée Conception, en présence de plus de deux cents cardinaux et évêques et d'une multitude de fidèles exultants.


[1] Saint Augustin, Ouvrage inachevé contre Julien, IV, 122 ; PL 45, 1418.

[2] DzS 1425-1426

[3] DzS 1416

[4] DzS 2015-2017


Extraits par F. Breynaert de :

Bogus?aw Gil (MIC),

L'Immaculée conception de Marie dans la perspective du don,

Dimension culturelle, biblique et théologique,

Copyright © 2012 ; Pères Mariens Rwanda.