Le contexte des chants du Serviteur

Dans le contexte spirituel perse

Cyrus, le roi perse :

Le contexte historique de ce texte est celui de la décadence de Babylone et des conquêtes de Cyrus, le Perse.

Isaïe a une notion de la royauté de Dieu suffisamment large pour concevoir que Dieu exerce sa souveraineté sur les païens, c'est lui qui suscite Cyrus (Is 41, 25) et lui donne la victoire. Cyrus est appelé "serviteur" de YHWH (Is 44, 28) et "oint" (Is 45,1) parce qu’il a permis le retour sur leur terre des Juifs exilés.

Le retour au pays est un événement très modeste.

Alors entre en scène un mystérieux Serviteur.

La mission du Serviteur :

L'oracle dit :

"C'est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d'Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre." (Isaïe 49, 6)

Le Serviteur devient aussi une alliance pour le peuple (Is 49,8) c’est-à-dire celui qui indique la Loi.

La Torah sera la lumière des nations, comme cela est expliqué peu après (Is 51, 4).

Mais il est persécuté et devient un serviteur souffrant (Is 49-53).

Qui est ce serviteur : un homme ? un groupe d'hommes (les exilés qui reviennent) ?

Le monothéisme de Cyrus :

Le dieu de Cyrus est Ahura Mazdâ.

Le mazdéisme est une sagesse qui croit en un Dieu unique mais abstrait : Ahura Mazdâ, un principe régissant l’univers.

Cyrus et son père Ataxerses sont à la tête de système politique centralisé : un Dieu lumière, « Mazdâ », source de toute l’énergie cosmique, pôle de l’univers, justifie leur système.

Dans la religion de Mazdâ il y a néanmoins une véritable mystique, et une morale des comportements. Son universalité est de type philosophique : Mazdâ est l’origine de tout, c’est aussi ce que tout le monde à en commun : le plus petit dénominateur commun. Il permet aux moralistes de s’entendre, aux scientifiques de s’harmoniser, etc...

Et tout le monde doit entrer dans cette religion qui est la plus haute qui soit. Les autres sont des retardataires, une fois initiés, ils seront intégrés. Autrement dit, il n’y a pas la place pour une liberté de réponse comme dans l’Alliance Biblique.

Le monothéisme d’Isaïe :

Face au monothéisme de Cyrus, (abstrait mais séduisant, Cyrus est riche...) Isaïe croit à l’unicité du Dieu de l’Alliance, et préfère YHWH à Mazdâ.

Jusque là, les hébreux n'adoraient que YHWH, mais il pouvait penser que les divinités étrangères existaient ailleurs.

Placer YHWH au-dessus d’une religion monothéiste provoque la foi juive à devenir elle-même monothéiste.

« Les idoles n’existent pas : "Voici, vous êtes moins que rien, et votre œuvre, c’est moins que néant, vous choisir est abominable." » (Isaïe 41,24)

C’est le Dieu de l’alliance, maître de l’histoire, qui existe et non pas Mazdâ.

« Cyrus dont j’ai saisi la main droite pour faire plier devant lui les nations… c’est moi qui vais marcher devant toi... c’est à cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu que je t’ai appelé par ton nom, je te donne un titre, sans que tu me connaisses... » (Isaïe 45 1-7)

Cyrus sert YHWH mais les juifs ont bien conscience que le dieu de Cyrus, Mazdâ, est une construction de l’homme, une idole au service d’un système, d’un empire.

Pour les religions bibliques, l’univers à droit de réponse, il peut résister, le péché peut exister, le refus est digne de Dieu, Dieu n’est pas abstrait, et son alliance n’en serait pas une s’il n’y avait pas place pour le refus. Nous sommes des fils.

Ce contexte éclaire les chants du serviteur :

Au regard du faste des dieux de Babylone et des prétentions religieuses de Cyrus, le peuple juif était ridiculisé dans sa foi, dans sa conscience.

Le peuple était un serviteur « sans beauté ni éclat » (Is 53, 2).

Il semblait bien « frappé par Dieu et humilié » (Is 53, 4). Et pourtant, « par lui, la volonté de YHWH s’accomplira » (Is 53, 10), cette volonté qui est la révélation que Dieu n’est pas abstrait et que nous sommes ses fils.

Cependant, les "chants du Serviteur" semblent désigner un personnage mystérieux dépassant toute figure historique connue, comme nous l'expliquerons.


F. Breynaert