Léon XIII, Providentissimus Deus (1893)

Léon XIII, Providentissimus Deus (extraits), 1893

[...]

Auparavant, le Saint-Siège a eu surtout affaire à ceux qui, s'appuyant sur leur jugement particulier, et répudiant les diverses traditions et l'autorité de l'Eglise, affirmaient que l'Ecriture était l'unique source de la révélation et le juge suprême de la foi.

Maintenant, nos adversaires principaux sont les rationalistes, qui, fils et héritiers pour ainsi dire de ces hommes dont Nous parlons plus haut, se fondant de même sur leur propre opinion, ont rejeté entièrement même ces restes de foi chrétienne, encore acceptés par leurs prédécesseurs.

Ils nient, en effet, absolument toute inspiration, ils nient l'Ecriture, et ils proclament que tous ces objets sacrés ne sont qu'inventions et artifices des hommes; ils regardent les Livres Saints non comme contenant le récit exact d'événements réels, mais comme des fables ineptes, comme des histoires mensongères. A leurs yeux, il n'y a pas de prophéties, mais des prédictions forgées après que les événements ont été accomplis, ou bien des pressentiments dus à des causes naturelles; il n'existe pas de miracles vraiment dignes de ce nom, manifestations de la puissance divine, mais des faits étonnants qui ne dépassent nullement les forces de la nature, ou encore des prestiges et des mythes; enfin les et les écrits des apôtres ne sont pas écrits par les auteurs auxquels on les attribue.

Pour appuyer de telles erreurs, grâce auxquelles ils croient pouvoir anéantir la vérité de l'Ecriture, ils invoquent les décisions d'une nouvelle science libre; ces décisions sont d'ailleurs si incertaines aux yeux mêmes des rationalistes, qu'ils varient et se contredisent souvent sur les mêmes points.

Et tandis que ces hommes jugent et parlent d'une façon si impie au sujet de Dieu, du Christ, de l'Evangile et du reste des Ecritures, il n'en manque pas parmi eux qui veulent être regardés comme chrétiens, comme théologiens, comme exégètes et qui, sous un nom très honorable, voilent toute la témérité d'un esprit plein d'insolence.

A ceux-ci viennent s'ajouter un certain nombre d'hommes qui, ayant le même but et les aidant, cultivent d'autres sciences, et qu'une semblable hostilité envers les vérités révélées entraînent de même façon à attaquer la Bible. Nous ne saurions trop déplorer l'étendue et la violence de plus en plus grande que prennent ces attaques. Elles sont dirigées contre des hommes instruits et sérieux, quoique ceux-ci puissent se défendre sans trop de difficultés ; mais c'est surtout contre la foule des ignorants que des ennemis acharnés agissent par tous les procédés.

Au moyen des livres, des opuscules, des journaux, ils répandent un poison funeste; par des réunions, par des discours, ils le font pénétrer plus avant ; déjà ils ont tout envahi, ils possèdent de nombreuses écoles arrachées à l'Eglise, où, dépravant misérablement, même par la moquerie et les plaisanteries bouffonnes, les esprits encore tendres et crédules des jeunes gens, ils les excitent au mépris de la Ecriture.

Il y a bien là, Vénérables Frères, de quoi émouvoir et animer le zèle commun des pasteurs, de telle sorte qu'à cette science nouvelle, à cette science fausse (24), on oppose cette doctrine antique et vraie que l'Eglise a reçue du Christ par l'intermédiaire des apôtres, et que, dans un tel combat, se lèvent de toutes parts d'habiles défenseurs de la Ecriture.

Notre premier soin doit donc être celui-ci : que dans les Séminaires, dans les Universités, les Lettres divines soient enseignées en tout point comme le demandent l'importance même de cette science et les nécessités de l'époque actuelle.

Pour cette raison, vous ne devez rien avoir plus à cœur que la prudence dans le choix des professeurs; pour cette fonction, en effet, il importe de désigner, non pas des hommes pris parmi la foule, mais ceux que recommandent un grand amour et une longue pratique de la Bible, une véritable culture scientifique, qui soient, en un mot, à la hauteur de leur mission.

Il ne faut pas mettre moins de soin à préparer ceux qui devront prendre ensuite la place de ceux-ci. Il Nous plaît donc que, partout où cela sera possible, on choisisse parmi les disciples qui auront parcouru d'une façon satisfaisante le cycle des études théologiques, un certain nombre qui s'appliqueront tout entiers à acquérir la connaissance des Saints Livres, et auxquels on fournira la possibilité de se livrer à des travaux plus étendus. Quand les maîtres auront été ainsi désignés et formés, qu'ils abordent avec confiance la tâche qui leur sera confiée, et pour qu'ils la remplissent excellemment, pour qu'ils obtiennent les résultats auxquels on peut s'attendre, Nous voulons leur donner quelques instructions plus développées.

Au début même des études, ils doivent examiner la nature de l'intelligence des disciples, faire en sorte de la cultiver, de la rendre apte en même temps à conserver intacte la doctrine des Livres Saints, et à en saisir l'esprit. Tel est le but du Traité de l'introduction biblique, qui fournit à l'élève le moyen de prouver l'intégrité et l'authenticité de la Bible, d'y chercher et d'y découvrir le vrai sens des passages, d'attaquer de front et d'extirper jusqu'à la racine les interprétations sophistiques.

A peine est-il besoin d'indiquer combien il est important de discuter ces points dès le début, avec ordre, d'une façon scientifique, en recourant à la théologie ; et, en effet, toute l'étude de l'Ecriture s'appuie sur ces bases, s'éclaire de ces lumières. Le professeur doit s'appliquer avec un très grand soin à bien faire connaître la partie la plus féconde de cette science, qui concerne l'interprétation, expliquer à ses auditeurs comment ils pourront utiliser les richesses de la parole divine pour l'avantage de la religion et de la piété.

Certes, Nous comprenons que ni l'étendue du sujet, ni le temps dont on dispose, ne permettent de parcourir dans les écoles tout le cercle des Ecritures. Mais, puisqu'il est besoin de posséder une méthode sûre pour diriger avec fruit l'interprétation, un maître sage devra éviter à la fois le défaut de ceux qui font étudier des passages pris çà et là dans tous les livres, le défaut aussi de ceux qui s'arrêtent sans mesure sur un chapitre déterminé d'un seul livre.

Si, en effet, dans la plupart des écoles, on ne peut atteindre le même but que dans les académies supérieures, à savoir qu'un livre ou l'autre soit expliqué d'une façon suivie et détaillée, au moins doit-on mettre tout en œuvre afin d'arriver à ce que les passages choisis pour l'interprétation soient étudiés d'une façon suffisamment complète; les élèves, alléchés en quelque sorte et instruits par cet exemple d'explication, pourront ensuite relire et goûter le reste de la Bible pendant toute leur vie.

Le professeur, fidèle aux prescriptions de ceux qui Nous ont précédé, devra faire usage de la version Vulgate.

C'est celle, en effet, que le Concile de Trente a désignée comme authentique et comme devant être employée " dans les lectures publiques, les discussions, les prédications et les explications" ; c'est celle aussi que recommande la pratique quotidienne de l'Eglise. Nous ne voulons pas dire cependant qu'il ne faudra pas tenir compte des autres versions que les chrétiens des premiers âges ont utilisées avec éloges, et surtout des textes primitifs.

En effet si, pour ce qui concerne les grands points, le sens est clair d'après les éditions hébraïque et grecque de la Vulgate, cependant, si quelque passage ambigu ou moins clair s'y rencontre, " le recours à la langue précédente ", suivant le conseil de saint Augustin, sera très utile.

Il est clair qu'il faudra apporter à cette tâche beaucoup de circonspection; c'est, en effet, le devoir du commentateur d'indiquer, non pas ce que lui-même pense, mais ce que pensait l'auteur qu'il explique.

Après que la lecture aura été conduite avec soin jusqu'au point voulu, alors ce sera le moment de scruter et d'expliquer le sens. Notre premier conseil à ce sujet est d'observer les prescriptions communément en usage relatives à l'interprétation, avec d'autant plus de soin que l'attaque des adversaires est plus vive.

Il faut donc peser avec soin la valeur des mots eux-mêmes, la signification du contexte, la similitude des passages, etc. et aussi profiter des éclaircissements étrangers de la science qu'on nous oppose. Cependant, le maître devra prendre garde à ne pas consacrer plus de temps et plus de soin à ces questions qu'à l'étude des Livres divins eux-mêmes, de peur qu'une connaissance trop étendue et trop approfondie de tels objets n'apporte à l'esprit des jeunes gens plus de troubles que de force.

De là résulte une marche sûre à suivre dans l'étude de l'Ecriture au point de vue théologique.

Il importe, en effet, de remarquer à ce sujet qu'aux autres causes de difficultés qui se présentent dans l'explication de n'importe quels auteurs anciens, s'en ajoutent quelques-unes qui sont spéciales à l'interprétation des Livres Saints. Comme ils sont l'œuvre de l'Esprit-Saint, les mots y cachent nombre de vérités qui surpassent de beaucoup la force et la pénétration de la raison humaine, à savoir les divins mystères et ce qui s'y rattache. Le sens est parfois plus étendu et plus voilé que ne paraîtraient l'indiquer et la lettre et les règles de l'herméneutique ; en outre, le sens littéral cache lui-même d'autres sens qui servent soit à éclairer les dogmes, soit à donner des règles pour la vie.

Aussi, l'on ne saurait nier que les Livres Saints sont enveloppés d'une certaine obscurité religieuse, de sorte que nul n'en doit aborder l'étude sans guide : Dieu l'a voulu ainsi (c'est l'opinion commune des saints Pères) pour que les hommes les étudiassent avec plus d'ardeur et plus de soin, pour que les vérités péniblement acquises pénétrassent plus profondément leur esprit et leur cœur; pour qu'ils comprissent surtout que Dieu a donné les Ecritures à l'Eglise afin que, dans l'interprétation de ses paroles, celle-ci fût le guide et le maître le plus sûr.

Là où Dieu a mis ses dons, là doit être cherchée la vérité. Les hommes en qui réside la succession des apôtres expliquent les Ecritures sans aucun danger d'erreur, saint Irénée nous l'a déjà enseigné.

C'est sa doctrine et celle des autres Pères qu'a adoptée le Concile du Vatican, quand, renouvelant un décret du Concile de Trente sur l'interprétation de la parole divine écrite, il a décidé que, " dans les choses de la foi et des mœurs, tendant à la fixation de la doctrine chrétienne, on doit regarder comme le sens exact de la Ecriture, celui qu'a regardé et que regarde comme tel notre Mère l'Eglise, à qui il appartient de juger du sens et de l'interprétation des Livres sacrés. Il n'est donc permis à personne d'expliquer l'Ecriture d'une façon contraire à cette signification ou encore au consentement unanime des Pères."

Par cette loi pleine de sagesse, l'Eglise n'arrête et ne contrarie en rien les recherches de la science biblique, mais elle la maintient à l'abri de toute erreur et contribue puissamment à ses véritables progrès. Chaque docteur, en effet, voit ouvert devant lui un vaste champ dans lequel, en suivant une direction sûre, son zèle peut s'exercer d'une façon remarquable et avec profit pour l'Eglise.

A la vérité, quant aux passages de la Ecriture qui attendent encore une explication certaine et bien définie, il peut se faire, grâce à un bienveillant dessein de la Providence de Dieu, que le jugement de l'Eglise se trouve pour ainsi dire mûri par une étude préparatoire. Mais, au sujet des points qui ont été déjà fixés, le docteur peut jouer un rôle également utile, soit en les expliquant plus clairement à la foule des fidèles, d'une façon plus ingénieuse aux hommes instruits, soit en les défendant plus fortement contre les adversaires de la foi.

L'interprète catholique doit donc regarder comme un devoir très important et sacré d'expliquer dans le sens fixé les textes de l'Ecriture dont la signification a été indiquée authentiquement soit par les auteurs sacrés, que guidait l'inspiration de l'Esprit-Saint, comme cela a lieu dans beaucoup de passages du Nouveau Testament, soit par l'Eglise, assistée du même Saint-Esprit, et au moyen d'un jugement solennel, ou par son autorité universelle et ordinaire; il lui faut se convaincre que cette interprétation est la seule qu'on puisse approuver d'après les lois d'une saine herméneutique.

Sur les autres points, il devra suivre les analogies de la foi et prendre comme modèle la doctrine catholique telle qu'elle est indiquée par l'autorité de l'Eglise. En effet, c'est le même Dieu qui est l'auteur et des Livres sacrés, et de la doctrine dont l'Eglise a le dépôt. Il ne peut donc arriver, assurément, qu'une signification attribuée aux premiers et différant en quoi que ce soit de la seconde, provienne d'une légitime interprétation.

Il résulte évidemment de là qu'on doit rejeter comme insensée et fausse toute explication qui mettrait les auteurs sacrés en contradiction entre eux, ou qui serait opposée à l'enseignement de l'Eglise.

Celui qui professe l'Ecriture doit aussi mériter cet éloge qu'il possède à fond toute la théologie, qu'il connaît parfaitement les commentaires des saints Pères, des Docteurs et des meilleurs interprètes. Telle est la doctrine de saint Jérôme et de saint Augustin, qui se plaint avec juste raison en ces termes : " Si toute science, quoique peu importante et facile à acquérir, demande, comme c'est évident, à être enseignée par un homme docte, par un maître, quoi de plus orgueilleusement téméraire que de ne pas vouloir connaître les Livres sacrés d'après l'enseignement de leurs interprètes. " Tel a été aussi le sentiment des autres Pères, qu'ils ont confirmé par des exemples : " Ils expliquaient les Ecritures non d'après leur propre opinion, mais d'après les écrits et l'autorité de leurs prédécesseurs, parce qu'il était évident que ceux-ci avaient reçu pour succession des apôtres les règles pour l'interprétation des Livres sacrés. "

Le témoignage des saints Pères, - " qui après les apôtres ont été pour ainsi dire les jardiniers de la Eglise, ses constructeurs, ses pasteurs, l'ont nourrie, l'ont fait croître " (Saint Augustin.) - a aussi une grande autorité toutes les fois qu'ils expliquent tous d'une seule et même manière un texte biblique, comme concernant la foi ou les mœurs : car de leur accord il résulte clairement que selon la doctrine catholique, cette explication est venue telle, par tradition, des apôtres.

L'avis de ces mêmes Pères est aussi digne d'être pris en très grande considération lorsqu'ils traitent des mêmes sujets en tant que docteurs et comme donnant leur opinion particulière; en effet, non seulement leur science de la doctrine révélée et la multitude des connaissances nécessaires pour interpréter les livres apostoliques les recommandent puissamment, mais encore Dieu lui-même a prodigué les secours de ses lumières à ces hommes remarquables par la sainteté de leur vie et par leur zèle pour la vérité.

Que l'interprète sache donc qu'il doit suivre leurs pas avec respect et jouir de leurs travaux par un choix intelligent. Il ne lui faut cependant pas croire que la route lui est fermée, et qu'il ne peut pas, lorsqu'un motif raisonnable existe, aller plus loin dans ses recherches et dans ses explications. Cela lui est permis, pourvu qu'il suive religieusement le sage précepte donné par saint Augustin : " ne s'écarter en rien du sens littéral et comme évident ; à moins qu'il n'ait quelque raison qui l'empêche de s'y attacher ou qui rende nécessaire de l'abandonner ". Cette règle doit être observée avec d'autant plus de fermeté, qu'au milieu d'une si grande ardeur d'innover et d'une telle liberté d'opinions, il existe un plus grave danger de se tromper.

Celui qui enseigne les Ecritures se gardera aussi de négliger le sens allégorique ou analogique attaché par les saints Pères à certaines paroles, surtout lorsque cette signification découle naturellement du sens littéral et s'appuie sur un grand nombre d'autorités.

L'Eglise, en effet, a reçu des apôtres ce mode d'interprétation et l'a approuvé par son exemple, ainsi que cela ressort de la liturgie. Ce n'est pas que les Pères aient prétendu ainsi démontrer par eux-mêmes les dogmes de la foi, mais parce qu'ils ont expérimenté que cette méthode était bonne pour nourrir la vertu et la piété.

L'autorité suprême en matière d'interprétation des Ecritures n'est pas le Docteur en théologie

L'autorité des autres interprètes catholiques est à la vérité moindre ; cependant, puisque les études bibliques ont fait dans l'Eglise des progrès continus, il faut rendre aux commentaires de ces docteurs l'honneur qui leur est dû ; on peut emprunter à leurs travaux beaucoup d'arguments propres à repousser les attaques et à éclaircir les points difficiles.

Mais ce qui ne convient pas, c'est qu'ignorant ou méprisant les excellents ouvrages que les nôtres nous ont laissés en grand nombre, l'interprète leur préfère les livres des hétérodoxes; qu'au grand péril de la doctrine et trop souvent au détriment de la foi, il y cherche l'explication de passages au sujet desquels les catholiques ont excellemment et depuis longtemps exercé leur talent, multiplié les travaux.

Quoique, en effet, les études des hétérodoxes, sagement utilisées, puissent parfois aider l'interprète catholique, cependant il importe à celui-ci de se souvenir que, d'après des preuves nombreuses empruntées aussi aux anciens, le sens non défiguré des Saintes Lettres ne se trouve nulle part en dehors de l'Eglise et ne peut être donné par ceux qui, privés de la vraie foi, ne parviennent pas jusqu'à la moelle des Écritures, mais en rongent seulement l'écorce.

Il est surtout très désirable et très nécessaire que la pratique de la divine Ecriture se répande à travers toute la théologie et en devienne pour ainsi dire l'âme: telle a été, à toutes les époques, la doctrine de tous les Pères et des plus remarquables théologiens, doctrine qu'ils ont appuyée par leur exemple. Ils se sont appliqués à établir et à affermir sur les Livres Saints toutes les vérités qui sont l'objet de la foi, et celles qui en découlent; c'est de ces livres sacrés, comme aussi de la tradition divine, qu'ils se sont servis, afin de réfuter les nouvelles inventions des hérétiques, de trouver la raison d'être, l'explication, la liaison des dogmes catholiques.

Il n'y a rien là d'étonnant pour celui qui réfléchit à la place si considérable qu'occupent les Saints Livres parmi les sources de la révélation divine: c'est à ce point que, sans l'étude et l'usage quotidien de ceux-ci, la théologie ne pourrait être traitée d'une façon convenable et digne d'une telle science. Sans doute, il est bon que les jeunes gens, dans les universités et les Séminaires, soient exercés surtout à acquérir l'intelligence et la science des dogmes et que, partant des articles de la foi, ils en tirent les conséquences, par une argumentation établie selon les règles d'une philosophie éprouvée et solide. Cependant, le théologien sérieux et instruit ne doit pas négliger l'interprétation des dogmes, appuyée sur l'autorité de la Bible.

La théologie, en effet, ne tire pas ses principes des autres sciences, mais immédiatement de Dieu par la révélation. Et aussi, elle ne reçoit rien de ces sciences, comme lui étant supérieures, mais elle les emploie comme étant ses inférieures et ses servantes.

Cette méthode d'enseignement de la science sacrée est indiquée et recommandée par le Prince des théologiens, saint Thomas d'Aquin. Celui-ci, en outre, a montré comment le théologien, comprenant bien le caractère de la science qu'il cultive, peut défendre ses principes, si quelqu'un les attaque: " En argumentant, si l'adversaire accorde quelques-unes des vérités qui nous sont données par la révélation. C'est ainsi qu'au moyen de l'autorité de la Ecriture, nous discutons contre les hérétiques, et au moyen d'un article de foi contre ceux qui en nient un autre. Au contraire, si l'adversaire ne croit rien de ce qui est divinement révélé, il ne reste plus à lui prouver les articles de foi par des raisonnements, mais à renverser ses raisonnements, s'il en fait contre la foi. "

Nous devons donc avoir soin que les jeunes gens marchent au combat convenablement instruits des sciences bibliques, pour ne pas qu'ils frustrent nos légitimes espérances, ni, ce qui serait plus grave, qu'ils courent sans y prendre garde le péril de tomber dans l'erreur, trompés par les fausses promesses des rationalistes et par le fantôme d'une érudition toute extérieure.

Or, ils seront parfaitement prêts à la lutte, si, d'après la méthode que Nous-même leur avons indiquée et prescrite, ils cultivent religieusement et approfondissent l'étude de la philosophie et de la théologie, sous la conduite du même saint Thomas. Ainsi ils feront de grands et sûrs progrès, tant dans les sciences bibliques que dans la partie de la théologie appelée positive.

Avoir prouvé la vérité de la doctrine catholique, avoir expliqué et éclairci cette doctrine grâce à une interprétation légitime et savante de la Bible, c'est beaucoup, certes : il reste cependant un autre point à établir, aussi important que le travail nécessaire pour y parvenir est considérable, afin que l'autorité complète des Ecritures soit démontrée aussi solidement que possible.

Ce but ne pourra être atteint d'une façon pleine et entière que par le magistère propre et toujours subsistant de l'Eglise, qui " par elle-même, à cause de son admirable diffusion, de son éminente sainteté, de sa fécondité inépuisable en toutes sortes de biens, de son unité catholique, de sa stabilité invincible, est un grand et perpétuel motif de crédibilité, et une preuve irréfragable de sa divine mission ".

Mais puisque ce divin et infaillible magistère de l'Eglise repose sur l'autorité de la Ecriture, il faut donc tout d'abord affirmer et revendiquer la croyance au moins humaine à celle-ci. De ces livres, en effet, comme des témoins les plus éprouvés de l'antiquité, la divinité et la mission du Christ-Dieu, l'institution de la hiérarchie de l'Eglise, la primauté conférée à Pierre et à ses successeurs, seront mises en évidence et sûrement établies.

Dans ce but, il sera très avantageux que plusieurs hommes appartenant aux Ordres sacrés combattent sur ce point pour la foi et repoussent les attaques des ennemis, que surtout ces hommes soient revêtus de l'armure de Dieu, suivant le conseil de l'Apôtre (Eph. VI, 13-17), et accoutumés aux combats et aux nouvelles armes employées par leurs adversaires. C'est là un des devoirs des prêtres, et saint Chrysostome l'établit en termes magnifiques : " Il faut employer un grand zèle, afin que la parole de Dieu habite abondamment en nous (Col. III, 16); nous ne devons pas, en effet, être prêts pour un seul genre de combat, variée est la guerre, multiples sont les ennemis; ils ne se servent pas tous des mêmes armes, et ce n'est pas d'une façon uniforme, qu'ils se proposent de lutter avec nous. "

" Il est donc besoin que celui qui doit se mesurer avec tous connaisse les manœuvres et les procédés de tous, que le même manie les flèches et la fronde, qu'il soit tribun et chef de cohorte, général et soldat, fantassin et cavalier, apte à lutter sur mer et à renverser les remparts. Si le défenseur ne connaît pas, en effet, toutes les manières de combattre, le diable sait faire entrer ses ravisseurs par un seul côté, au cas où un seul est laissé sans garde, et enlever les brebis. "

Nous avons décrit plus haut les ruses des ennemis et les multiples moyens qu'ils emploient dans l'attaque : indiquons maintenant les procédés qu'on doit utiliser pour la défense.

C'est d'abord l'étude des anciennes langues orientales, et en même temps de la science que l'on appelle critique. Ces deux genres de connaissances sont aujourd'hui fort appréciés et fort estimés ; le clerc qui les possédera d'une façon plus ou moins étendue, suivant les pays où il se trouvera et les hommes avec lesquels il sera en rapport, pourra mieux soutenir sa dignité et remplir sa charge. Le ministre de Dieu doit, en effet, " se faire tout à tous ", " être toujours prêt à satisfaire celui qui lui demande la raison de l'espérance qu'il a en lui-même ".

Il est donc nécessaire aux professeurs d'Ecriture , et il convient aux théologiens de connaître les langues dans lesquelles les livres canoniques ont été primitivement écrits par les auteurs sacrés; il serait de même excellent que les élèves ecclésiastiques cultivent ces langues, ceux surtout qui se destinent aux grades académiques pour la théologie.

On doit aussi avoir soin que dans toutes les académies soient établies, comme cela a déjà eu lieu avec raison pour beaucoup d'entre elles, des chaires où seront enseignées les langues anciennes, surtout les langues sémitiques et les rapports de la science avec celles-ci. Ces cours seront en première ligne à l'usage des jeunes gens désignés pour l'étude des Saintes Lettres.

Il importe que ces mêmes professeurs d'Ecriture , pour la même raison, soient instruits et exercés dans la science de la vraie critique : par malheur, en effet, et pour le grand dommage de la religion, a paru un système qui se pare du nom honorable de " haute critique ", et dont les disciples affirment que l'origine, l'intégrité, l'autorité de tout livre ressortent, comme ils disent, des seuls caractères intrinsèques. Au contraire, il est évident que lorsqu'il s'agit d'une question historique, de l'origine et de la conservation de n'importe quel ouvrage, les témoignages historiques ont plus de valeur que tous les autres, que ce sont ceux-ci qu'il faut rechercher et examiner avec le plus de soin.

Quant aux caractères intrinsèques, ils sont la plupart du temps bien moins importants, de telle sorte qu'on ne peut guère les invoquer que pour confirmer la thèse. Si l'on agit autrement, il en résultera de grands inconvénients.

En effet, les ennemis de la religion en conserveront plus de confiance pour attaquer et battre en brèche l'authenticité des Livres sacrés; cette sorte de haute critique que l'on exalte arrivera enfin à ce résultat que chacun, dans l'interprétation, s'attachera à ses goûts et à une opinion préjudicielle. Ainsi, la lumière cherchée au sujet des Ecritures ne se fera pas, et aucun avantage n'en résultera pour la science, mais on verra se manifester avec évidence ce caractère de l'erreur qui est la variété et la dissemblance des opinions. Déjà la conduite des chefs de cette nouvelle science le prouve.

En outre, comme la plupart d'entre eux sont imbus des maximes d'une vaine philosophie et du rationalisme, ils ne craindront pas d'écarter des Saints Livres les prophéties, les miracles, tous les autres faits qui surpassent l'ordre naturel. L'interprète devra lutter en second lieu contre ceux qui, abusés par leur connaissance des sciences physiques, suivent pas à pas les auteurs sacrés afin de pouvoir opposer l'ignorance que ceux-ci ont de tels faits et rabaisser leurs écrits par ce motif.

Comme ces griefs portent sur des objets sensibles, ils sont d'autant plus dangereux lorsqu'ils se répandent dans la foule, surtout parmi la jeunesse adonnée aux lettres; dès que celle-ci aura perdu sur quelque point le respect de la révélation divine, sa foi, relativement à tous les autres, ne tardera pas à s'évanouir.

Or, il est trop évident, qu'autant les sciences naturelles sont propres à manifester la gloire du Créateur gravée dans les objets terrestres, pourvu qu'elles soient convenablement enseignées, autant elles sont capables d'arracher de l'esprit les principes d'une saine philosophie et de corrompre les mœurs lorsqu'elles sont introduites avec des intentions perverses dans de jeunes esprits.

Aussi la connaissance des faits naturels sera-t-elle un secours efficace pour celui qui enseignera l'Ecriture ; grâce à elle, en effet, il pourra plus facilement découvrir et réfuter les sophismes de toutes sortes dirigés contre les Livres sacrés.

Aucun désaccord réel ne peut certes exister entre la théologie et la physique, pourvu que toutes deux se maintiennent dans leurs limites, prennent garde, suivant la parole de saint Augustin, " de ne rien affirmer au hasard et de ne pas prendre l'inconnu pour le connu ".

Si cependant elles sont en dissentiment sur un point, que doit faire le théologien ? - Suivre la règle sommairement indiquée par le même docteur. " Quant à tout ce que nos adversaires pourront nous démontrer au sujet de la nature, en s'appuyant sur de véritables preuves, prouvons-leur qu'il n'y a rien de contraire à ces faits dans nos Saintes Lettres. Mais pour ce qu'ils tireront de certains de leurs livres, et qu'ils invoqueront comme étant en contradiction avec ces Saintes Lettres, c'est-à-dire avec la foi catholique, montrons-leur qu'il s'agit d'hypothèses, ou que nous ne doutons nullement de la fausseté de ces affirmations. "

Pour bien nous pénétrer de la justesse de cette règle, considérons d'abord que les écrivains sacrés, ou plus exactement " l'esprit de Dieu, qui parlait par leur bouche, n'a pas voulu enseigner aux hommes ces vérités concernant la constitution intime des objets visibles, parce qu'elles ne devaient leur servir de rien pour leur salut ".

Aussi ces auteurs, sans s'attacher à bien observer la nature, décrivent quelquefois les objets et en parlent, ou par une sorte de métaphore, ou comme le comportait le langage usité à cette époque, il en est encore ainsi aujourd'hui, sur beaucoup de points, dans la vie quotidienne, même parmi les hommes les plus savants. Dans le langage vulgaire, on désigne d'abord et par le mot propre les objets qui tombent sous les sens; l'écrivain sacré (et le Docteur angélique nous en avertit) s'est de même attaché aux caractères sensibles, c'est-à-dire à ceux que Dieu lui-même, s'adressant aux hommes, a indiqués suivant la coutume des hommes, pour être compris d'eux.

Mais, de ce qu'il faut défendre vigoureusement l'Ecriture , il ne résulte pas qu'il soit nécessaire de conserver également tous les sens que chacun des Pères ou des interprètes qui leur ont succédé a employés pour expliquer ces mêmes Écritures. Ceux-ci, en effet, étant données les opinions en cours à leur époque, n'ont peut-être pas toujours jugé d'après la vérité au point de ne pas émettre certains principes qui ne sont maintenant rien moins que prouvés.

Il faut donc distinguer avec soin dans leurs explications ce qu'ils donnent comme concernant la foi ou comme lié avec elle, ce qu'ils affirment d'un commun accord. En effet, pour ce qui n'est pas de l'essence de la foi, les saints ont pu avoir des avis différents, ainsi que nous-mêmes ; telle est la doctrine de saint Thomas.

Celui-ci, dans un autre passage, s'exprime avec beaucoup de sagesse en ces termes : " Pour ce qui concerne les opinions que les philosophes ont communément professées et qui ne sont pas contraires à notre foi, il me semble qu'il est plus sûr de ne pas les affirmer comme des dogmes, bien que quelquefois elles soient introduites dans le raisonnement au nom de ces philosophes, et de ne pas les noter comme contraires à la foi, pour ne pas fournir aux sages de ce monde l'occasion de mépriser notre doctrine. "

D'ailleurs, quoique l'interprète doive montrer que rien ne contredit l'Ecriture bien expliquée, dans les vérités, que ceux qui étudient les sciences physiques donnent comme certaines et appuyées sur de fermes arguments, il ne doit pas oublier que parfois plusieurs de ces vérités, données aussi comme certaines, ont été ensuite mises en doute et laissées de côté. Que si les écrivains, qui traitent des faits physiques, franchissant les limites assignées aux sciences dont ils s'occupent, s'avancent sur le terrain de la philosophie en émettant des opinions nuisibles, le théologien peut faire appel aux philosophes pour réfuter celles-ci.

Nous voulons maintenant appliquer cette doctrine aux sciences du même genre et notamment à l'histoire. On doit s'affliger, en effet, de ce que beaucoup d'hommes qui étudient à fond les monuments de l'antiquité, les mœurs et les institutions des peuples, et se livrent à ce sujet à de grands travaux, ont trop souvent pour but de trouver des erreurs dans les Livres Saints, afin d'infirmer et d'ébranler complètement l'autorité des Écritures.

Deux erreurs et deux réponses du magistère (sur la nature de la Bible)