Grandes périodes de l'iconographie mariale


S’il est impossible de rendre compte de l’ensemble de l’histoire de l’iconographie mariale et des artistes qui s’y sont inscrits, il est cependant intéressant de traverser cette histoire en y prenant quelques points de repère, à la fois chronologiques, stylistiques et esthétiques, tenant également compte de certains critères tels que l’influence de l’évolution dogmatique, de la liturgie, de la mystique et de la dévotion dans l’art marial. C’est ce que se propose cette section.

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L'art paléochrétien

Selon le père Édouard-Marie Gallez, docteur en théologie et d’histoire des religions,

« La plus ancienne représentation de la Vierge Marie se trouve en Chine[1], sur la falaise de Kong Wang (port de Lianyungang), et elle remonte à l’année 69 – au plus tard au début de l’an 70 – selon les annales impériales chinoises. »

Cette représentation de la Nativité, où la Vierge présente son enfant, n’est pas si surprenante, lorsque l’on sait que l’apôtre Thomas a évangélisé la Chine entre 65 en 68, et que l’Église de Chine était déjà constituée à cette époque.[2]

Dans l’art paléochrétien occidental, c’est à Rome que l’on trouve les premières représentations de la Vierge Marie : cet art des catacombes –art funéraire lié aux persécutions des Chrétiens- recèle des fresques mariales, des sarcophages, des objets d’art chrétien qui datent d’avant le IVès. et permettent de connaître les scènes qui étaient privilégiées, et qui ont pu servir de modèles à d’autres représentations de la Vierge Marie. On représente la Vierge Mère, ce qui témoigne d’un culte rendu à la Mère du Sauveur, et de la foi en la protection de la Vierge Marie pour les morts comme pour les vivants : la Vierge orante (cliquez pour voir l'illustration) , priante, médiatrice est également l’une des figurations de l’art des catacombes. L’art marial s’épanouira et deviendra plus tard plus narratif, lorsque les persécutions contre les Chrétiens auront cessé et que le christianisme deviendra religion d’État.

 Le développement dogmatique marial et son influence sur l’art

L’Antiquité patristique a élaboré plusieurs vérités concernant la Vierge Marie, dont certaines ne seront établies que plus tard : la virginité perpétuelle de la Mère de Dieu, le parallèle entre Ève et la Nouvelle Ève[3]en sont quelques exemples. Mais c’est surtout la proclamation par le Concile d’Éphèse de Marie ‘Théotokos’, Mère de Dieu, en 431[4], qui a suscité un véritable foisonnement des icônes en Orient et des représentations dans l’Occident chrétien[5]. Ainsi, l’arc triomphal de la la basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome[6]- la plus ancienne église dédiée à la Vierge Marie (IVès)- se nomme ‘arc d’Éphèse’: ajouté juste après le Concile, il valorise la figure de la Vierge Marie ‘Temple du Saint-Esprit’.

Cette représentation de la Vierge Marie « Théotokos » va donner rapidement naissance à différents types d’icônes et de Vierges, dans l’Orient byzantin (dans les mosaïques de Ravenne, dès le VIè siècle), à Parenzo (Porec, en Croatie), à Sainte-Sophie de Salonique, à Sainte-Sophie de Constantinople (cliquez pour voir l'illustration) , au monastère d’Osios Loukas, à Torcello, à Venise (cliquez)…mais également dans l’Occident chrétien, et l’art marial va se développer de façon spectaculaire. Les Vierges sont alors représentées couronnées, trônant avec solennité, hiératiques, en Mère de Dieu (cliquez) pleines de majesté.

Les sources de l’iconographie mariale

C’est d’abord l’Écriture sainte qui est une source privilégiée pour connaître la Vierge Marie : sa vie, rapportée dans les Évangiles et dans les Actes des Apôtres, est en effet intimement liée à celle du Christ. La Vierge Marie occupe cependant une présence discrète dans la Bible : elle est intimement liée à ce qui concerne, dans les Évangiles, la vie du Christ, et, après Son Ascension, à sa présence auprès des Apôtres, rapportée dans les Actes des Apôtres[7]. Cependant, Marie est présente dans tout l’espace biblique, sous une forme figurée, à la fois dans l’Ancien Testament et dans l’Apocalypse. Cette pré ou post figuration sera également traitée dans l’art : nombreuses sont les variantes de Vierges apocalyptiques.

Les artistes se sont également inspiré d’autres sources : des écrits apocryphes concernant la vie de la Vierge Marie[8], ainsi que toute une littérature mariale[9] , à la fois savante et populaire, exaltant ses vertus, les miracles opérés par elle -qui ont enflammé les imaginations et motivé les artistes- etc.

Évolution de l’art marial

Si la Vierge Marie est représentée comme Mère du Sauveur et orante dans les catacombes, c’est le type romain de la Vierge reine qui va s’imposer peu à peu, puis évoluer vers celui de la Vierge de majesté (cliquez) et de tendresse au Moyen Age et dans la Renaissance primitive[10]. A la Renaissance, c’est le type maternel (cliquez) de la Vierge qui s’impose, et les influences de l’humanisme et du néoplatonisme vont marquer la figure de la Vierge Marie, parangon de beauté et de grâce féminine, au risque d’y perdre parfois la nécessaire dimension surnaturelle.

L’art marial sera plus ou moins narratif, voire théâtralisé, selon les époques, exaltant certains épisodes de la vie du Christ auxquels la Vierge Marie est associée[11]. Ces épisodes sont devenus de véritables thèmes artistiques depuis le Moyen Age et ont pris un très grand essor à partir de la Renaissance. D’autres thèmes liés à la vie de la Vierge Marie avant la naissance du Christ et après son départ seront développés. La Vierge Marie sera également exaltée dans l’art pour traduire les vérités dogmatiques (Immaculée Conception (cliquez), par exemple) ou certaines vertus spécifiques, qui se sont figées en types iconographiques symboliques : Vierges de Miséricorde, Vierges de Sagesse, Vierges d’humilité (cliquez), assises à même le sol, etc. les types pouvant se combiner entre eux.

En outre, à certaines époques, on privilégiera certains thèmes iconographiques marials : l’enfance de la Vierge Marie en est un exemple, avec différents éléments narratifs qui n’appartiennent ni à la Bible ni aux récits apocryphes, mais permettent de représenter des scènes touchantes, exaltant la beauté féminine : ces thèmes constituent de véritables corpus iconographiques. Ils se sont en effet déployés, habitant les imaginations et faisant évoluer les représentations mariales: la Vierge allaitant l'Enfant (cliquez) , par exemple, est un développement du thème iconographique marial de la Vierge à l’Enfant. Ce thème a un fondement évangélique important et une signification tout aussi importante : dans l’évangile, une femme s’écrie « Heureux le sein qui ta porté et les mamelles qui t’ont allaité » (Lc 11,27) ; et Jésus de répondre : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent » (Lc 11,28). La Vierge allaitante devient ainsi le symbole de ce que Jésus a reçu de Marie : pas seulement un corps, mais aussi une tradition… l’art permet ainsi de représenter ce double don de la vie et de la Parole. D’autres artistes ont traité l’ensemble de la vie de la Vierge Marie (cliquez) , dans les fresques, les mosaïques…

Il existe également d’autres éléments liés à l’histoire religieuse, qui permettent de mesurer l’évolution de l’art marial : les querelles liées à l’interdit de la représentation, le goût plus ou moins prononcé pour les sujets religieux, qui s’estompe avec le culte du rationalisme et le siècle du libertinage en France, par exemple, au XVIIIès, pour revenir en force à d’autres époques, les réactions face à des prises de positions théologiques protestantes - l’art de la Contre-réforme, qui va donner naissance à l’art baroque, réaffirmant notamment la conception immaculée de la Vierge Marie, notamment dans la peinture espagnole.

Les apparitions mariales  (cliquezet les dévotions mariales liées à certains lieux de culte[12] ont de surcroît influencé la figuration de la Vierge Marie, donnant naissance à des représentations plus ou moins populaires, liées aux messages donnés par la Vierge Marie autant qu’à Son apparence lors des apparitions.

Enfin, les prières exaltant certaines métaphores bibliques ou certaines vertus de la Vierge Marie en ont également permis des représentations symboliques: de même la promotion de la prière du Rosaire a donné lieu à des représentations de la Vierge du Rosaire (cliquez), les Litanies de Lorette ont permis des représentations allégoriques de la Vierge entourée de tous ces attributs mystiques[13] : ces représentations existent à la fois dans l’imagerie populaire et dans un art plus officiel : statues, vitraux, peintures, mosaïques … la mystique a donc également influé sur l’art.

L’ensemble de ces représentations figuratives attestent de l’importance de l’art dans la dévotion mariale : l’art n’est pas qu’un simple instrument de diffusion catéchétique, à valeur illustrative : les artistes ont souvent le désir d’entrer dans l’intelligence du mystère et de le retraduire selon leur sensibilité propre, et ils sont à même de traduire en une autre langue, celle des couleurs et des formes, ces mystères et ces expériences spirituelles et les rendre accessibles à tous.

 

Organisation de la section dans l’Encyclopédie mariale :

La section présente l’art marial selon une perspective chronologique : art paléochrétien des catacombes, art marial roman et gothique, notamment avec les mosaïques des XIIè et XIIIè s, Renaissance italienne et peinture flamande de la Renaissance, art de la Contre-réforme, puis art marial du XIXè siècle et des XXè et XXIè siècles permettent de dégager quelques lignes de force stylistiques, techniques, spirituelles et esthétiques des différentes époques de l’art marial, ainsi que de présenter certaines œuvres et les artistes les plus renommés.

 

 

 

 

 


Isabelle Rolland