L’orthodoxie est un Orient-Occident (O. Clément)


Olivier Clément (1921-2009), théologien orthodoxe, historien et poète, explique, dans son ouvrage intitulé Dialogues avec le patriarche Athénagoras, les différentes hérésies concernant la double nature à la fois divine et humaine du Christ, l’importance du concile de Chalcédoine et les malentendus qui s’en sont suivis. Il définit ainsi l’orthodoxie comme un « Orient-Occident ».

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La double nature du Christ

La question de la double nature du Christ a fait l’objet de plusieurs hérésies.

« La tentation sémite, ou occidentale, c'est penser que Dieu est transcendant et lointain, et que Jésus n'est qu'un homme (hérésie d'Arius).

La tentation asiatique, c'est penser que Dieu est un grand tout fusionnel, où se dissout l'humanité du Christ, et la nôtre (hérésie d'Eutichès).

Le concile de Chalcédoine a répondu à cette double tentation en présentant l'union sans confusion ni séparation des deux natures du Christ. Malheureusement, le langage grec utilisé n'a pas été compris par tous (jusqu'à l'accord avec les coptes en 1988...) ».

L’orthodoxie, Orient-Occident

« Pour que Dieu vienne réellement jusqu'à nous, il faut que le Christ soit homoousios ("consubstantiel" au sens d'une identité) avec le Père sans origine, source et principe de la divinité; telle fut, contre Arius, la proclamation de Nicée (325).

Mais le Seigneur doit assumer l'humanité entière, car "ce qui n'est pas assumé n'est pas sauvé". Contre Apollinaire, pour qui le Logos, en Christ, remplacerait l'esprit humain, le concile de Constantinople (381) affirma l'humanité plénière du Seigneur.

En Christ, pour autant, l'homme et le Dieu ne se juxtaposent pas mais se trouvent dans une unité qui permet à la vie divine d'illuminer toute l'humanité.

Contre Nestorius, qui ne voit entre l'homme Jésus et le Verbe qu'une "conjonction" morale, le concile d'Éphèse, en 431, insiste sur l'unité divino-humaine en proclamant Marie non seulement mère de Jésus mais, par là même, "mère de Dieu".

Survient la tentation inverse, celle de dissoudre dans la divinité l'humanité du Christ et donc la nôtre, "comme une goutte de parfum dans l'océan", tentation portée par la vieille spiritualité asiatique si vivante dans ce Proche-Orient où confluent les gnoses; Contre Eutychès, qui répand cette conception, se réunit le concile de Chalcédoine. C'est le concile de la divino-humanité. »

Le concile de Chalcédoine

« Appliquant à l'Incarnation le grand thème de la personne (l'hypostase) élaboré par les conciles antérieurs pour sauvegarder le paradoxe de la Trinité, le concile de Chalcédoine confesse que dans la personne du Christ (dans l' " union hypostatique " ), l'humain et le divin s'unissent sans confusion ni séparation, et que l'humain trouve sa plénitude dans cette union déifiante.

Ni la séparation des religions sémitiques de la transcendance close, ni la fusion des spiritualités asiatiques, mais l'échange vital de la communion: de sorte que plus l'humanité s'unit à Dieu, s'emplit de Dieu, plus elle réalise sa vraie nature. »

Un drame lié à un malentendu

« Ici se noue le drame.

Dans la pensée de l'Égypte chrétienne, le mot "nature" (physis) ne désignait pas forcément la réalité propre de la divinité, ou de l'humanité, mais plutôt l'existence concrète du Verbe incarné.

Dans l'antinomie de l'Incarnation, où deux termes, l'humain et le divin, s'unissent, sans se séparer ni se confondre, dans un troisième, la personne du Verbe, le mot nature, en Égypte, servait à désigner l'unité ; à Chalcédoine, il soulignait au contraire la dualité!

Les Égyptiens, et beaucoup d'Orientaux avec eux, ne comprirent pas ce nouveau langage. Ils restèrent attachés aux expressions de leur grand patriarche, saint Cyrille d'Alexandrie, sur "l'unique nature" du Verbe incarné. Ils crurent menacée l'expérience sacramentelle du divin, ce contact bouleversant, dans l'eucharistie, avec la chair même de Dieu.

La politique aggrava bientôt le malentendu. De fortes poussées ethniques se faisaient jour en Égypte, en Syrie et en Arménie, qui entraînaient les Églises locales à se dégager de l'Église d'Empire. Les "chalcédoniens" apparaissaient comme des "melkites", c'est-à-dire des "impériaux".

Au VIIe siècle, les tentatives des empereurs pour rallier par des compromis les dissidents de Syrie et d'Égypte qui risquaient d'ouvrir aux Perses, puis aux Arabes, le monde méditerranéen, aboutirent à de nouveaux malentendus.

L'admirable synthèse de Maxime le Confesseur, ratifiée par le sixième concile œcuménique, aurait dû faire tomber les préventions des "non-chalcédoniens". Maxime, en effet, montrait les énergies divines transfigurant l'humanité du Christ et nous ouvrant, dans le corps déifié et déifiant de celui-ci, les voies de l'éternité. Il soulignait que la liberté humaine du Seigneur trouve dans l'amour sa plénitude et adhère spontanément à la volonté de Dieu.

Les mots, depuis longtemps, n'avaient plus le même sens.

Le rideau de l'Islam tombait sur la scène du Proche-Orient et les chrétiens de Syrie et d'Égypte n'auraient pas trop désormais de toutes leurs forces pour durer et transmettre l'essentiel ».

Source :

Olivier Clément. Dialogues avec le patriarche Athénagoras. Paris : Ed. Fayard, 1976.

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Pour en savoir plus

-sur le concile de Chalcédoine, dans l’Encyclopédie mariale 

-pour prier, en ligne