Le père Michel Guérin, curé de Pontmain en 1871

Le père Michel Guérin, curé de Pontmain en 1871

Michel Guérin vient au monde à Laval, le 8 juin 1801. Ses parents sont issus d'un milieu d'artisans du textile fragilisé par la crise révolutionnaire. C'est pourquoi la mort de M. Guérin, en 1814, laisse les siens dans de graves difficultés financières. Michel, qui se destine au sacerdoce, doit interrompre ses études ; il entrera au séminaire du Mans grâce aux sacrifices et au travail acharné de sa mère.

Élément brillant, Michel Guérin, à la surprise générale, réclame pour premier poste une paroisse dont personne ne veut, « la plus pauvre, la plus désolée, la plus perdue ». Il est envoyé à Saint-Ellier du Maine, à l'extrême bout du diocèse, aux limites de la Bretagne et du Cotentin, à 120 kilomètres de l'évêché. Encore ces 120 Km se font-ils par des chemins creux, impraticables ou presque d'octobre à mai [...]. Mais Saint-Ellier n'est pas encore la communauté la plus défavorisée de l'évêché : à cinq kilomètres au nord, le village de Pontmain et ses cinq cents habitants, dispersés dans des métairies, vivent plus difficilement encore.

Les gens de Pontmain gens abandonnent la pratique religieuse, se contentant, puisqu'ils ne peuvent aller à la messe, de dire le chapelet. Cette piété mariale, inébranlable, frappe l'abbé Guérin, lui-même grand dévot du rosaire et serviteur infatigable de la Vierge. Autant qu'il le peut, il va dire la messe à Pontmain mais comprend que ce n'est pas assez. Il faut un prêtre sur place. Ce sera lui. [...]

L'église menace de s'écrouler, comme le clocher qui n'abrite plus qu'une cloche, fêlée. Les fenêtres n'ont plus de vitres, la chaire risque de s'effondrer, le confessionnal n'a plus ni porte ni rideaux, les bancs sont vermoulus. [...] N'importe qui baisserait les bras. Pas Michel Guérin. Il a voulu venir. Ses paroissiens ont voulu qu'il vienne. Eh bien, avec l'aide de Dieu, ils remédieront à toutes ces difficultés en apparence insurmontables. [...]

À peine arrivé, il a dépensé ses économies dans l'achat d'une trentaine de statues, une par maison, de la Vierge, œuvres locales en terre cuite vernissée, naïves, qu'il vient lui-même installer à la place d'honneur du foyer, L'instaurant reine et protectrice des familles de la paroisse. Il encourage à réciter quotidiennement le chapelet, si possible le rosaire, puis à venir les dire en communauté, à l'église, matin et soir. L'étonnant est qu'il est entendu. Cela n'empêche pas les autres prêtres du diocèse de se moquer de lui, le surnommant « le curé aux bonnes Vierges ». C'est par cette restauration du culte marial, le plus vivace dans les âmes de ses ouailles, que l'abbé Guérin construit toute son œuvre de nouvelle évangélisation.

Du chapelet, il passe au chemin de croix, du chemin de croix à la dévotion eucharistique, ramenant à la communion fréquente des gens qui ne faisaient plus leurs Pâques. Pour soutenir son action, il prend l'habitude de déranger jusqu'à Pontmain des prédicateurs en vogue, qu'il harcèle jusqu'à ce qu'ils acceptent de prêcher une retraite chez lui. Peu à peu, l'abbé Guérin ramène « son petit peuple » non seulement à la pratique mais à une ferveur qui deviendra, un jour, exceptionnelle.

Cette œuvre apostolique s'accompagne d'un travail « social », économique, voire politique qui révèle son autre facette, celle d'un homme d'action et de terrain.

Michel Guérin veut, certes, sauver les âmes mais tient aussi à ce que les corps bénéficient de conditions de vie décentes. Si lui-même n'a le temps de se soucier de la restauration de son presbytère qu'en 1858, que de chantiers il aura, dans l'intervalle, mis en œuvre ! D'abord, celui du cimetière, qu'il fait, pour des raisons d'hygiène, déplacer ; puis la construction d'une école confiée à des religieuses. L'abbé Guérin, grand lecteur, abonné à de nombreuses revues religieuses, mais aussi scientifiques et géographiques, n'hésitera pas, comme le prouvent ses notes personnelles, à venir à l'occasion faire partager ses connaissances aux enfants. [...]

Dès 1840, il a convaincu Mgr Bouvier de faire de Pontmain une paroisse.

Il aimerait convaincre le gouvernement de lui donner le statut de commune et fatiguera, jusqu'à sa mort, une administration récalcitrante.

Un jour, il plaide pour la rénovation de la voierie, qui désenclaverait Pontmain et permettrait aux voitures de circuler normalement.

Un autre, pour l'ouverture d'un bureau de tabac. Les mauvaises langues disent que le curé, qui chique et prise, est le premier concerné ; la vérité est que ce commerce permettra la vente de timbres, postaux et fiscaux, et évitera des démarches lointaines.

Il exige aussi que malades et indigents de Pontmain récupèrent un droit dont ils sont spoliés depuis la Révolution, leur accordant des lits gratuits, avec les soins afférents, à l'hôpital et à l'asile de vieillards d'Ernée. [...]

Il ouvre un Bureau de bienfaisance pour les plus défavorisés, sollicite à temps et contretemps ses bienfaiteurs habituels ou occasionnels. Surtout, il amène les gens de Pontmain à une solidarité vraie et active, leur apprenant à s'entraider dans les difficultés puis, quand la vie devient plus facile, à ne pas conserver jalousement le superflu mais à le redistribuer à plus pauvre que soi, qu'il s'agisse d'œuvres caritatives ou missionnaires. [...]

Lorsque éclate la guerre de 1870 entre la France et la Prusse, guerre qui tourne très vite mal, conduisant à la défaite de Sedan, la chute du Second Empire, l'invasion, l'abbé Guérin, lorsqu'il bénit les trente jeunes gens de Pontmain qui partent rejoindre les Volontaires de l'Ouest, levés afin d'arrêter l'ennemi, leur demande de se consacrer à la Vierge et leur promet qu'ils reviendront tous sains et saufs. [...]

Sans doute, mais il faut une foi chevillée au corps pour y croire encore, en cet hiver de calamités, alors que l'envahisseur est à cinquante kilomètres.

Et c'est à ce moment précis, quand, à vues humaines, tout semble irrémédiablement perdu, que la foi de l'abbé Guérin, cette foi qu'il a su faire partager aux siens, reçoit sa récompense : immense, passant tout ce que cet humble a jamais imaginé.

La Vierge apparaît à Pontmain, porteuse d'un message d'espérance inégalé :

« Mais priez, mes enfants. Mon Fils se laisse toucher.

Dieu vous exaucera en peu de temps. »

Chacun, à Pontmain, est conscient que ce miracle est le fruit de l'apostolat de l'abbé Guérin. Et cependant, lui qui, en apprenant l'apparition, s'est écrié : « Vous me faites peur ! », lui ne voit pas ... et trouve cela normal, naturel, car il sait que la sainteté ne réside pas dans le fait de voir ou ne pas voir, mais dans les œuvres habituelles.

Jusqu'au bout, la vie de l'abbé Guérin demeurera sans charismes ni dons extraordinaires.

C'est peut-être pourquoi, après l'apparition, dont les retombées sont gigantesques, l'évêque de Laval, Mgr Wicart, sous prétexte de le ménager, lui donnera un vicaire : la simplicité du vieux prêtre ne lui semble pas à la hauteur de l'événement. Très fin, l'abbé Guérin le comprend, en souffre en silence, lui qui, au lendemain de l'événement, ébloui par le nombre des pèlerins, les grâces reçues, et même les miracles, disait : « Si je me taisais, je ne serai pas le serviteur de Marie ! »

Le 29 mai 1872, au dernier coup de l'angélus de midi, il rend l'âme.


Anne Bernet,

Postulatrice de la Cause de béatification de l'abbé Guérin.

Agence Zenit.org, 13 juin 2013