2019-03-07

"Choisis la vie, dit Moïse, en s'adressant à la fois au peuple d'Israël et à chaque membre du peuple de Dieu. C'est une consigne pressante, c'est une exigence de Dieu, mais sur la toile de fond d'une promesse. Car Moïse, dans le Deutéronome, se trouve au pays de Moab au moment où il harangue son peuple. De ces monts de Moab on devine, au loin vers l'ouest, les collines de Judée et la plaine de Jéricho, la Terre promise, où Moïse n'entrera pas, mais dont le peuple va prendre possession : c'est une certitude, c'est promis.

"Choisis la vie" ; fais le choix que Dieu a fait pour toi : c'est le testament de celui qui parlait à Dieu. Et Moïse de préciser ce qu'il entend par vivre : "Choisis la vie, afin que tu vives, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix et en t'attachant à lui, car ta vie est là !"

Aimer, écouter le Christ, s'attacher à lui, tout est là, en effet, pour nous. Au cœur de nos tâches journalières, au cœur même du bonheur que nous construisons, il nous faut viser cette vie-là, la vie avec le Christ, comme l'aiguille revient obstinément sur le nord.

Vivre, c'est le Christ, le Christ dans le cœur à cœur de la prière, car il faut que le cœur vive, le Christ dans l'intelligence, car nous ne serons jamais rassasiés de la gloire qui rayonne sur sa Face, le Christ servi en toute gratuité dans ses sœurs ou ses frères, car nous ne pouvons rêver de mission universelle si notre amour ne s'authentifie pas dans le quotidien.

La vie est là dans l'amour que Dieu nous offre et dans l'amour qu'il attend de nous ; et finalement l'échec serait non pas de vivre sans créer, mais de vivre sans aimer. Notre vie peut être pauvre de choses mesurables, mais nous ne pouvons pas nous résigner à être pauvres d'amour. C'est pourquoi si souvent nous arrivons devant Dieu les mains ouvertes, pour qu'il nous donne de savoir donner.

"Choisis la vie", dit Moïse. "Accepte la croix", ajoute Jésus.

Il ne dit pas : "choisis ta croix ; fais-toi une croix à ta mesure" ; mais bien plutôt : "laisse-toi mesurer par la croix que tu rencontres quand tu décides vraiment de me suivre".

La croix, pour le Christ, a été tourment, rejet, ignominie; et souvent notre croix de disciples est faite de choses qui ne devraient pas être, de situations illogiques ou injustifiables, de pesanteurs que nous sommes incapables d'éliminer tout seuls, de ces mille contretemps qui se mettent en travers de notre projet de vie, et qui risquent parfois de dévaluer à nos yeux le quotidien, de masquer les véritables urgences ou de parasiter plus ou moins profondément notre existence de baptisés par des sentiments de déception, de lassitude, d'échec ou de tristesse.

"Celui qui veut marcher à ma suite, dit Jésus, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive !"

Choisir la vie, c'est choisir de perdre sa vie pour le Christ.

Pour le Christ, par amour pour le Christ, pour suivre le Christ, sinon cela n'aurait pas de sens. Et perdre sa vie pour le Christ, cela ne signifie pas faire les choses à moitié, à l'envers, ou sans goût ; ce n'est pas renoncer au dynamisme, ni tuer la beauté ou la sagesse des choses ; c'est accepter, dans la fidélité, de vivre une existence traversée, imprévisible, insécure, errante sur place, de porter, s'il le faut, pour Jésus et avec Jésus, le poids de la solitude, du service obscur ou de l'incompréhension.
Assumer la croix pour le Christ, c'est vouloir aller jusqu'au bout avec lui, jusqu'au bout de son appel, jusqu'au bout de notre réponse, jusqu'au bout des solidarités que lui-même nous demande.

Assumer la croix, ce n'est pas choisir de manquer sa vie, mais c'est vouloir la réussir en Jésus et pour Jésus, en le suivant sur sa route de liberté.

La croix, telle que Jésus l'envisage pour nous, ce n'est pas la croix prévue une fois pour toutes, comme on fait la part du feu, mais c'est la croix chaque jour ; ce qui revient, parce que l'on aime, à décider d'y mettre chaque jour le prix.

"Choisis la vie", dit Moïse. "Choisis l'audace", ajoute Jésus.


(…) – Attendons les autres. Où sont-ils ? »
Ils se sont arrêtés où ils étaient quand Pierre a rejoint Jésus, pour laisser au Maître la liberté de parler à son apôtre humilié. Jésus leur fait signe d’avancer. Avec eux se trouvent quelques paysans qui avaient délaissé leur travail dans les champs pour venir interroger les disciples.
Jésus a toujours la main sur l’épaule de Pierre et dit :
« Par ce qui est arrivé, vous avez compris que c’est une affaire exigeante que d’être à mon service. C’est à lui que j’ai adressé ce reproche, mais il était pour tous, parce que les mêmes pensées étaient dans la plupart de vos cœurs, soit formées soit en germe. De cette façon je les ai brisées, et celui qui les cultive encore montre qu’il ne comprend pas ma doctrine, ma mission, ma Personne.
Je suis venu pour être le Chemin, la Vérité et la Vie. Je vous donne la Vérité par ce que j’enseigne. Je vous aplanis le chemin par mon sacrifice, je vous le trace, je vous l’indique. Mais la Vie, c’est par ma mort que je vous la donne. Et souvenez-vous que quiconque répond à mon appel et se met dans mes rangs pour coopérer à la rédemption du monde doit être prêt à mourir pour donner la Vie aux autres. Ainsi quiconque veut marcher à ma suite doit être prêt à renoncer à lui-même, à renier ce qu’il était avec ses passions, ses tendances, ses habitudes, ses traditions, ses pensées, et à me suivre avec son nouvel être.
Que chacun prenne sa croix comme moi je la prendrai. Qu’il la prenne, même si elle lui semble trop infamante. Qu’il laisse le poids de sa croix écraser son être humain pour libérer son être spirituel, à qui la croix ne fait pas horreur, mais au contraire est un point d’appui et un objet de vénération, car l’âme sait et se souvient. Et qu’il me suive avec sa croix. Est-ce qu’au bout du chemin une mort ignominieuse l’attendra comme elle m’attend ? Peu importe. Qu’il ne s’en afflige pas, mais au contraire qu’il se réjouisse, car l’ignominie de la terre se changera en une grande gloire au Ciel, alors que ce sera un déshonneur d’être lâche en face des héroïsmes spirituels.
Vous ne cessez de dire que vous voulez me suivre jusqu’à la mort. Suivez-moi donc, et je vous mènerai au Royaume par un chemin âpre mais saint et glorieux, au terme duquel vous conquerrez la vie qui ne change pas pour l’éternité. Ce sera “ vivre ”. Suivre, au contraire, les voies du monde et de la chair, c’est “ mourir ”. De cette façon quiconque veut sauver sa vie sur la terre la perdra, tandis que celui qui perdra sa vie sur la terre à cause de moi et par amour pour mon Evangile la sauvera. Mais réfléchissez : à quoi servirait-il à l’homme de gagner le monde entier s’il perd son âme ?
Et encore gardez-vous bien, maintenant et à l’avenir, d’avoir honte de mes paroles et de mes actions. Cela aussi serait “ mourir ”. En effet, quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération sotte, adultère et pécheresse dont j’ai parlé, et la flattera dans l’espoir d’en tirer protection et avantages en me reniant, moi et ma doctrine, et en jetant dans les gueules immondes des porcs et des chiens les perles qu’il aura reçues, pour obtenir en récompense des excréments en guise de paiement, celui-là sera jugé par le Fils de l’homme quand il viendra dans la gloire de son Père et avec les anges et les saints pour juger le monde. C’est lui alors qui rougira de tous ces adultères et fornicateurs, de ces lâches et de ces usuriers et il les chassera de son Royaume, parce qu’il n’y a pas place dans la Jérusalem céleste pour les débauchés, les cruels, les blasphémateurs et les voleurs. Et, en vérité, je vous dis que certains de mes disciples ici présents ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu se fonder le Royaume de Dieu, avec son Roi qui aura reçu la couronne et l’onction. »
Ils reprennent leur marche en parlant avec animation pendant que le soleil descend lentement dans le ciel (…)


Jeudi
de Césarée vers Bethsaïde