2019-03-17

Le visage de Jésus, la Face de Jésus, personne depuis bientôt deux mille ans n'en a revu les traits, personne n'a pu l'imaginer ni la peindre avec certitude, car cette Face de Jésus, vrai homme et vrai Dieu, ne se dessine qu'en traits de parole.

Or la parole de Dieu ne nous fixe jamais devant une image unique de la Face de Jésus : elle nous offre trois images, qui tantôt se fondent et tantôt se distinguent, trois images qui se renvoient l'une à l'autre, comme pour nous dire : "Il est vivant, celui que tu cherches ; il est mystère, celui que tu aimes, et tu ne le trouveras qu'en che­minant".

La première image, celle qui a fasciné et qui fascine encore tous les amis du Seigneur, c'est la Face douloureuse de Jésus.

Devant cette face de condamné, de crucifié, de mourant, on ne peut s'arrêter que si l'on aime, car la souffrance n'est jamais belle. Jésus mourant n'avait "ni prestance ni éclat, ni apparence qui le fasse apprécier", et Isaïe décrit le Messie souffrant comme un homme de douleur, méprisé, abandonné des hommes, devant qui on détourne le regard, en pensant : "Je ne veux pas voir cela ; je ne veux pas voir un homme souffrir à ce point".

Dans la Passion de Jésus, seul l'amour est splendide. Tout le reste est violence, haine et trahison. Et si la Face douloureuse de Jésus est finalement si belle, si noble, si attirante, pour nous les croyants, spécialement aux heures de souffrance et d'angoisse, c'est parce qu'elle nous dit, qu'elle nous crie ou nous murmure un amour qui est allé jusqu'à l'extrême, un amour qui a su traverser la mort.

La deuxième image de Jésus, la deuxième sainte Face, c'est celle que Pierre, Jacques et Jean ont aperçue un instant le jour de la Transfiguration.

Les disciples ont vu cette Face de Jésus transfigurée dans la prière, transfigurée par la prière. Rien ne les préparait à cette révélation, à ce dévoilement inattendu du mystère de Jésus Fils de Dieu ; ils étaient même "appesantis de sommeil" ; mais "demeurés quand même éveillés, ils virent sa gloire".

Rien ne nous prédispose, nous non plus, à ces moments de pure grâce où nous devinons la gloire de Dieu affleurant un instant sur le visage de Jésus. Plus encore que Pierre et les autres, nous arrivons sur la montagne appesantis de sommeil.

Le sommeil nous guette : c'est la gloire de Dieu qui nous tient éveillés, "tout éveillés dans notre foi". Le seul antidote à l'appesantissement de notre amour, c'est de vivre toute notre existence comme un moment de surprise, de nous laisser surprendre à longueur de vie par la gloire de Jésus, et d'entrer humblement, pauvrement, dans sa lumière transfigurante.

Et ceci nous amène à contempler un troisième aspect de la Face très sainte de Jésus : la Face glorieuse du Seigneur ressuscité. Car la Transfiguration sur la montagne n'a été que fugitive. Elle annonçait la gloire définitive du Seigneur, et c'est cette gloire-là, la gloire de l'Alliance nouvelle et éternelle, que nous guettons dès l'aube sur la Face de Jésus : "ressuscités avec le Christ, nous recherchons les choses d'en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ".

De là où nous sommes, nous regardons Jésus là où il est. Et parce que notre amour le rejoint là où il est, notre vie "demeure cachée en Dieu, avec le Christ". Notre vie est cachée à nos yeux, et c'est pourquoi la foi nous reste difficile ; mais notre vie est en Dieu avec le Christ ; et là, en Dieu, avec le Christ, devant la Face du Christ, se poursuit en nous l'œuvre du Père, qui est à la fois illumination et métamorphose.

Illumination, car Dieu, qui est lumière en lui-même, se fait lumière pour nous : "Le Dieu qui a dit : 'Que des ténèbres resplendisse la lumière' est celui qui a resplendi dans nos cœurs" (2 Co 4,6). Ainsi c'est la lumière de Dieu lui-même qui pour nous et en nous éclaire la sainte Face de Jésus.

Et en illuminant ainsi de sa propre gloire le Visage du Ressuscité, Dieu le Père nous transfigure, nous qui regardons et chantons dans l'Esprit cette gloire : "Nous tous qui, à visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire" (2 Co 3,18).


(…) Jésus, après un court arrêt à l’ombre d’un bouquet d’arbres, détente qu’il a certainement accordée par pitié pour Pierre qui se fatigue visiblement dans les montées, reprend l’ascension. Il va presque au sommet, là où se trouve un plateau herbeux bordé par un demi-cercle d’arbres du côté de la pente.
« Reposez-vous, mes amis, je vais là-bas pour prier. »
Il indique de la main un énorme rocher qui affleure de la montagne vers le sommet.
Jésus s’agenouille sur l’herbe et appuie sur le roc sa tête et ses mains, dans la pose qu’il prendra aussi dans sa prière à Gethsémani. Le soleil ne le frappe pas, car le sommet le lui cache. Mais le reste de l’emplacement couvert d’herbe est tout égayé par le soleil jusqu’à la limite de l’ombre du bouquet d’arbres sous lequel les apôtres se sont assis.
Pierre enlève ses sandales, en secoue la poussière et les petits cailloux et il reste ainsi, déchaussé, les pieds fatigués dans l’herbe fraîche, presque allongé, la tête sur une touffe d’herbe qui dépasse et lui sert d’oreiller.
Jacques l’imite mais, pour être plus à l’aise, il cherche un tronc d’arbre pour s’y appuyer, le dos couvert de son manteau.
Jean reste assis à observer le Maître. Mais le calme de l’endroit, le petit vent frais, le silence et la fatigue viennent aussi à bout de ses forces, et sa tête tombe sur sa poitrine comme les paupières sur ses yeux. Aucun des trois ne dort profondément, mais ils sont sous le coup de cette somnolence printanière qui les étourdit.
Ils sont réveillés par une clarté si vive qu’elle fait s’évanouir celle du soleil ; elle se propage et pénètre jusque sous la verdure des buissons et des arbres sous lesquels ils se sont installés.
Ils ouvrent des yeux étonnés et voient Jésus transfiguré. Il est maintenant tel que je le vois dans les visions du Paradis, naturellement sans les plaies ni l’étendard de la Croix. Mais la majesté du visage et du corps est pareille, pareille en est la clarté et pareil le vêtement qui est passé d’un rouge foncé à un tissu immatériel de diamant et de perles qui est son vêtement au Ciel. Son visage est un soleil qui émet une lumière sidérale très intense, et ses yeux de saphir y rayonnent. Il paraît encore plus grand, comme si sa gloire avait augmenté sa taille. Je ne saurais dire si la clarté, qui rend phosphorescent même le plateau, provient tout entière de lui ou bien si à sa clarté propre se mélange celle qu’a concentrée sur son Seigneur toute la lumière qui existe dans l’univers et dans les Cieux. Quoi qu’il en soit, c’est un prodige indescriptible.
Jésus est maintenant debout, je dirais même qu’il est au-dessus de la terre, car entre lui et la verdure du pré, il y a une sorte de vapeur lumineuse, un espace fait uniquement d’une lumière sur laquelle il semble se dresser. Mais elle est si vive que je pourrais me tromper et l’impossibilité de voir le vert de l’herbe sous les pieds de Jésus pourrait venir de cette intense lumière qui vibre et produit des bouffées, comme on le voit parfois dans les incendies. Des bouffées, ici, d’une couleur blanche incandescente. Jésus reste le visage levé vers le ciel et il sourit à une vision qui le transporte.
Les apôtres en ont presque peur, et ils l’appellent, car ils ont l’impression que ce n’est plus leur Maître, tant il est transfiguré.
« Maître ! Maître ! » appellent-ils doucement, mais d’une voix angoissée.
Lui n’entend pas.
« Il est en extase » dit Pierre tout tremblant. « Que peut-il bien voir ? »
Les trois hommes se sont levés. Ils voudraient s’approcher de Jésus, mais ne l’osent pas (…)


Lundi
Thabor