"Donnez et l'on vous donnera"...
C'est peut-être dangereux de traduire ainsi, dangereux parce que trop vite contredit par l'expérience commune, si du moins on lit le texte à l'horizontale, et sur la toile de fond de l'existence quotidienne. Combien d'hommes et de femmes, en effet, qui n'ont fait que donner tout au long de leur existence, meurent dans le dénuement et la solitude ; combien de frères ou de sœurs, dans nos communautés, se dévouent dans l'ombre et se donnent en silence sans pouvoir se dire avec joie : "Quelqu'un pense à mon bonheur !"
Attendre un juste retour des choses, attendre de recevoir après avoir donné, n'est-ce pas la source de bien des illusions et de bien des tristesses ? Jésus disait lui-même : "Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir", autrement dit : "c'est de donner qui rend heureux". Et le Sauveur ne se contredit pas dans le discours que nous lisons aujourd'hui. En effet il ne dit pas : "Donnez et d'autres vous donneront", mais bien : "Donnez et il vous sera donné". Par qui ? par Dieu ; de même que vous serez pardonnés par Dieu et que vous ne serez ni jugés ni condamnés par lui.
Et ces promesses de Jésus sont pour nous tonifiantes et apaisantes : quelles que soient notre place, notre fonction, notre vocation dans l'Église, quel que soit le contenu de nos journées et de notre service, nous n'avons pas à guetter les moments de réciprocité ni les gestes qu'on aura pour nous en retour. Libérés du souci de recevoir, notre bonheur sera de donner davantage. Nous nous occupons de Dieu dans nos frères ; Dieu prend soin et prendra soin de nous.
À nous la gratuité ; à lui la joie de nous faire des surprises. C'est lui qui se charge de toute réciprocité et qui paie toute dette, même celles des autres. C'est lui qui voit, dans le secret, le don de nous-mêmes que personne sur terre n'aura remarqué. C'est lui qui nous revaudra ce que personne sur terre n'aura songé à nous rendre. Lui seul sait la mesure avec laquelle nous donnons ou laissons prendre. Il prendra la même pour nous combler, mais seulement pour que nous la reconnaissions dans ses mains, car il mettra sa joie à la faire déborder.
Même quand Dieu récompense, il garde l'initiative de la bonté, car il est amour et ne peut être qu'à la source de l'amour. Sa mesure à lui est toujours débordante. Quand Dieu pardonne, son pardon déborde : il recrée un être neuf parce qu'il ne veut pas qu'on se souvienne de l'ancien.
Toutes ses pensées sont des pensées de paix, toutes ses œuvres sont des œuvres de vie ; et c'est parce qu'il aime passionnément la vie qu'il est sans cesse en acte de miséricorde.
Être miséricordieux comme Dieu est miséricordieux, c'est beaucoup plus que faire taire ses impatiences et retenir des réflexes de condamnation : c'est avant tout communier à son amour-source, à sa passion de faire vivre, à sa tendresse toujours neuve parce que toujours en jaillissement. Et c'est en regardant notre Dieu source, en le contemplant, lui l'origine de tout don, que nous apprenons les initiatives de l'amour.
Être à tout moment en initiative fraternelle, en invention de don et de pardon, c'est cela, sans doute, la miséricorde.
(…) Mes enfants, mon enseignement touche à sa fin, à l’instar du jour qui déjà décline, avec le soleil, vers l’occident. Je veux que vous reteniez les paroles de cette rencontre sur la montagne. Gravez-les dans vos cœurs. Relisez-les souvent. Qu’elles soient pour vous un guide perpétuel. Et, plus que tout, faites preuve de bonté à l’égard de ceux qui sont faibles. Ne jugez pas pour n’être pas jugés. Souvenez-vous que le moment pourrait arriver où Dieu vous rappellerait : “ C’est ainsi que tu as jugé. Tu savais donc que c’était mal. Tu as donc commis le péché en étant bien conscient de ce que tu faisais. Maintenant, subis ta peine. ”
La charité est déjà une absolution. Ayez la charité en vous, pour tous et à tout propos. Si Dieu vous vient largement en aide pour vous garder droits, n’en tirez pas orgueil. Mais, si longue que soit l’échelle de la perfection, cherchez à vous élever et tendez la main à ceux qui sont fatigués, ignorants ou victimes de subites déceptions. Pourquoi regarder avec une telle attention la paille dans l’œil de ton frère si tu ne te soucies pas d’abord d’enlever la poutre qui est dans le tien ? Comment peux-tu dire à ton prochain : “ Laisse-moi enlever cette paille de ton œil ” alors que la poutre qui est dans le tien t’aveugle ? Ne sois pas hypocrite, mon enfant. Enlève d’abord la poutre de ton œil : alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans celui de ton frère sans l’abîmer.
En plus du manque de charité, évitez l’imprudence. Je vous ai dit : “ Tendez la main à ceux qui sont fatigués, ignorants, victimes de déceptions imprévues. ” Mais, si c’est charité d’instruire les ignorants, d’encourager ceux qui n’en peuvent plus, de donner des ailes nouvelles à ceux qui pour de multiples raisons ont brisé les leurs, c’est une imprudence de dévoiler les vérités éternelles à ceux qui sont infectés par le satanisme : ils s’en empareront pour jouer aux prophètes, pour s’insinuer parmi les simples, pour corrompre, détourner, souiller de manière sacrilège les choses de Dieu. Respect absolu, savoir parler et savoir se taire, savoir réfléchir et savoir agir, voilà les vertus nécessaires du vrai disciple pour faire des prosélytes et servir Dieu. Vous avez une raison et, si vous êtes justes, Dieu vous accordera toutes ses lumières pour diriger encore mieux votre raison. Pensez que les vérités éternelles ressemblent à des perles. On n’a jamais vu jeter des perles aux pourceaux qui préfèrent des glands et de puantes eaux de vaisselle aux perles précieuses. Ils les piétineraient sans pitié puis, furieux d’avoir été trompés, ils se retourneraient contre vous pour vous mettre en pièces. Ne livrez pas aux chiens ce qui est saint. Cela vaut pour maintenant et pour plus tard. (…)