Quelques enjeux au sujet de Marie dans l'art

"Il s'agit d'unir le divin et l'humain, le virginal, le nuptial, le maternel, - le familier et le sublime"[1].

La Vierge porte l'Eternel, son Créateur. Elle lui donne ce qui est nécessaire à la vie : le lait, les sentiments, les mots du langage...

L'art d'Orient signifiera la venue du divin par la perspective inversée.

L'art d'Occident adoptera le dessin en perspective où l'irruption du divin, dépasse cette même perspective.

"A l'Annonciation, Marie est irreprésentable.

Il faudrait une expression de surprise et d'adoration, de jubilation et d'effroi, de jeunesse et de gravité.

Ici, plus que jamais, on voit que l'art religieux est différent de l'art, parce qu'il suggère une vue de foi.

Et tu ne dois pas savoir, ô toi qui contemples, si tu admires ces images à cause de la beauté ou à cause du mystère qui est caché en elles."[2]

Parce que chacun, dans sa propre culture, est appelé à s'impliquer spirituellement, les catholiques n'hésitent pas à placer Marie dans un paysage flamand, ou japonais... Mais ceci ne doit pas faire oublier le réalisme de l'incarnation : Marie était une juive de Galilée.

Marie dans l'art, c'est aussi une certaine façon de représenter la femme.

"La crainte de faire du corps féminin, fût-il le plus pur, un objet d'adoration, l'idée orientale que la femme, même en son visage, doit rester invisible, ont longtemps empêché l'art de se fixer sur les traits de la Vierge. [Dans les catacombes, la vierge est une simple figure, un symbole plus qu'un portrait ; les statues du XI° ou XII° sont souvent peu vivantes.]

Mais l'existence d'une femme toute pure, qui avait donné à Dieu son humanité, ôtait le scrupule [lié au risque d'idolâtrie]. Elle invitait à contempler l'attitude féminine ; elle autorisait même à reproduire la chevelure, la naissance du cou, les pieds, les mains, un sein, le visage, le regard, - à dépaganiser le corps idolâtré de la femme. C'est la croyance en la réalité historique de la mère de Jésus qui nous a permis de délivrer la femme du harem oriental, d'exposer son visage au grand jour.

On peut même dire qu'il s'est fait en Occident une osmose entre le type de la vierge et le type de la femme, qui n'a cessé d'influer sur l'idée de la toilette et la décence."[3]

Les chrétiens d'Orient codifient l'iconographie parce qu'ils mettent l'accent sur le fait que la mère de Dieu est unique parmi toutes les femmes. Pratiquement, l'amande des yeux, le dessin des lèvres, les traits du nez, tout est codifié.

Les catholiques le comprennent aussi fort bien : Jean Guitton écrit : "Il s'agit d'éviter de faire voir en Marie soit une jeune fille, soit une jeune mère, communes et sans mystère..." [4]

Mais les chrétiens d'Occident considèrent aussi que la mère de Dieu révèle la vraie nature de la femme, de toute femme. Jean Guitton ajoute : "et j'ose dire qu'il n'est pas de femme en ce monde qui, à de certains instants de joie, de douleur, d'adoration tendre, de noble familiarité, n'eût pu être un modèle pour une vierge Marie." [5]

Pratiquement, l'artiste soigne le dessin de son sourire virginal et de son sein maternel, l'ampleur des vêtements et leurs couleurs symboliques (le rouge foncé et le bleu), il veille aussi à une certaine paix dans la douleur (la Passion), le calme dans l'émotion (divers épisodes).

 


[1] Jean Guitton, images de la Vierge, Sun, Paris 1963, p. 10

[2] Jean Guitton, images de la Vierge, Sun, Paris 1963, p. 32

[3] Jean Guitton, images de la Vierge, Sun, Paris 1963, p. 6

[4] Jean Guitton, images de la Vierge, Sun, Paris 1963, p. 61

[5] Jean Guitton, images de la Vierge, Sun, Paris 1963, p. 138

 


Synthèse F. Breynaert