Visitation (Bse A.-C.Emmerich)


 

Dans les chapitres XLI et XLII de La Vie de la Vierge Marie, qui rapporte les visions de la Bse A.-C. Emmerich (1774-1824) consignées par Brentano, celle-ci rapporte l’épisode de la Visitation.

 

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« La sainte Vierge, lorsqu'elle sentit que le Verbe s'était fait chair en elle, éprouva un grand désir d'aller tout de suite à Juttah, près d'Hébron, visiter sa cousine Élisabeth, que l'ange lui avait dit être enceinte depuis six mois. Comme on approchait du temps où Joseph devait se rendre à Jérusalem pour la fête de Pâques, elle désira l'accompagner pour aller assister Élisabeth pendant sa grossesse. Joseph se mit donc en route pour Juttah avec la sainte Vierge.

(La sœur Emmerich raconta les détails suivants du voyage de Joseph et de Marie ; mais il y a dans ses récits beaucoup de lacunes, causées par son état de maladie et par des dérangements continuels. Elle ne raconta pas le départ, mais pendant quelques jours consécutifs différentes scènes de voyage que nous communiquons ici.)

Leur route se dirigeait vers le midi ; ils avaient avec eux un âne sur lequel Marie montait de temps en temps. Il portait quelques effets, entre autres un sac appartenant à Joseph, où se trouvait une longue robe brune de la sainte Vierge avec une espèce de capuchon. On l'attacha sur le cou de l'âne. Marie mettait cet habit quand elle allait au. Temple ou à la synagogue. En voyage elle portait une tunique de laine brune, une robe grise avec une ceinture par-dessus, et une coiffe tirant sur le jaune.

Ils voyageaient assez vite. Je les vis, après avoir traversé la plaine d'Esdrelon, dans la direction du midi, gravir une hauteur et entrer dans la ville de Dothan, chez un ami du père de Joseph. C'était un homme assez riche, originaire de Bethléhem. Le père de Joseph l'appelait son frère, quoiqu'il ne le fût pas : mais il descendait de David par un homme qui était aussi roi, à ce que je crois, et qui s'appelait Éla, ou Eldoa, ou Eldad, je ne sais plus bien lequel '. Cet endroit était très commerçant.

Je les vis une fois passer la nuit sous un hangar ; puis, comme ils étaient encore à douze lieues de la demeure de Zacharie, je les vis un soir dans un bois sous une cabane de branchages, toute recouverte de feuillage vert avec de belles fleurs blanches. On trouve souvent dans ce pays, au bord des routes, de ces cabanes de verdure ou même des bâtiments plus solides dans lesquels les voyageurs peuvent passer la nuit ou se rafraîchir et apprêter les aliments qu'ils ont avec eux. Une famille du voisinage a la surveillance de plusieurs abris de ce genre et fournit plusieurs choses nécessaires moyennant une modique rétribution.

(Ici il semble y avoir une lacune dans le récit. Vraisemblablement la sainte Vierge alla avec Joseph à Jérusalem pour la fête de Pâques, et ce n'est que de là qu'elle se rendit chez Elisabeth, car il est dit plus haut que Joseph allait à la fête, et plus loin que Zacharie était revenu chez lui après les fêtes de Pâques la veille de la visitation de Marie).

De Jérusalem ils n'allèrent pas tout droit à Juttah, mais ils firent un détour vers le levant pour voyager plus solitairement. Ils contournèrent une petite ville à deux lieues d'Emmaüs, et prirent alors des chemins que Jésus suivit souvent pendant ses années de prédication. Ils eurent ensuite deux montagnes à franchir. Entre ces deux montagnes je les vis une fois se reposer, manger du pain et mêler dans leur eau des gouttes de baume qu'ils avaient recueillies pendant le voyage. Le pays ici était très montagneux. Ils passèrent devant des rochers qui étaient plus larges d'en haut que d'en bas ; on voyait aussi là de grandes cavernes dans lesquelles étaient toutes sortes de pierres singulières. Les vallées étaient très fertiles.

Leur chemin les conduisit encore à travers des bois, des landes, des prés et des champs. Dans un endroit assez rapproché du terme du voyage, je remarquai particulièrement une plante qui avait de jolies petites feuilles vertes et des grappes de fleurs, formées de neuf clochettes roses fermées. Il y avait là quelque chose dont j'avais à m'occuper, mais j'ai oublié de quoi il s'agissait '.

XLII - Arrivée de Marie et de Joseph chez Élisabeth et Zacharie.

(…)

La maison de Zacharie était sur une colline isolée. Il y avait alentour des groupes de maisons. Un ruisseau assez fort descendait de la montagne.

Il me sembla que c'était le moment où Zacharie revenait chez lui de Jérusalem après les fêtes de Pâques. Je vis Élisabeth, poussée par un désir inquiet, aller assez loin de sa maison sur la route de Jérusalem, et Zacharie qui revenait, tout effrayé de la rencontrer à une si grande distance de chez elle dans la situation où elle se trouvait. Elle lui dit qu'elle avait le cœur très agité, et qu'elle était poursuivie par la pensée que sa cousine Marie de Nazareth venait la voir. Zacharie chercha à lui faire perdre cette idée ; il lui fit entendre par signes et en écrivant sur une tablette combien il était peu vraisemblable qu'une nouvelle mariée entreprit en ce moment un si grand voyage. Ils revinrent ensemble à la maison.

Élisabeth ne pouvait renoncer à son espérance, car elle avait appris en songe qu'une femme de son sang était devenue la mère du Messie promis. Elle avait pensé alors à Marie, avait conçu un ardent désir de la voir et l'avait vue en esprit venant vers elle. Elle avait préparé dans sa maison, à droite de l'entrée, une petite chambre avec des sièges. C'était là qu'elle était assise le lendemain, toujours dans l'attente, et regardant si Marie arrivait. Bientôt elle se leva et s'en alla sur la route au-devant d'elle.

Élisabeth était une femme âgée, de grande taille : elle avait le visage petit et de jolis traits ; sa tête était enveloppée. Elle ne connaissait la sainte Vierge que de réputation. Marie, la voyant de loin, connut que c'était elle, et s'en alla en toute hâte à sa rencontre, précédant saint Joseph, qui discrètement resta en arrière. Marie fut bientôt parmi les maisons voisines dont les habitants, frappés de sa merveilleuse beauté et émus d'une certaine dignité surnaturelle qui était dans toute sa personne, se retirèrent respectueusement quand elle rencontra Élisabeth. Elles se saluèrent amicalement en se tendant la main. En ce moment, je vis un point lumineux dans la sainte Vierge, et comme un rayon de lumière qui partait de là vers Élisabeth, et dont celle-ci reçut une impression merveilleuse. Elles ne s'arrêtèrent pas en présence des hommes ; mais, se tenant par le bras, elles gagnèrent la maison par la cour placée en avant : à la porte de la maison, Élisabeth souhaita encore la bienvenue à Marie, et elles entrèrent.

Joseph, qui conduisait l'âne, arriva dans la cour, remit l'animal à un serviteur et alla chercher Zacharie dans une salle ouverte sur le côté de la maison. Il salua avec beaucoup d'humilité le vieux prêtre ; celui-ci l'embrassa cordialement et s'entretint avec lui au moyen de la tablette sur laquelle il écrivait, car il était muet depuis que l'ange lui avait apparu dans le temple.

Marie et Élisabeth, entrées par la porte de la maison, se trouvèrent dans une salle qui me parut servir de cuisine. Ici elles se prirent par les bras. Marie salua Élisabeth très amicalement, et elles appuyèrent leurs joues l'une contre l'autre. Je vis alors quelque chose de lumineux rayonner de Marie jusque dans l'intérieur d'Élisabeth ; celle-ci en fut tout illuminée ; son cœur fut agité d'une sainte allégresse et profondément ému. Elle se retira un peu en arrière en élevant la main, et pleine d'humilité, de joie et d'enthousiasme, elle s'écria : " Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. D'où me vient ceci que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? Voici qu'aussitôt que la voix de votre salutation est venue à mes oreilles, l'enfant que je porte a tressailli de joie dans mon sein. Vous êtes heureuse d'avoir cru : ce qui vous a été dit par le Seigneur s'accomplira ".

Après ces dernières paroles, elle conduisit Marie dans la petite chambre préparée pour elle, afin qu'elle pût s'asseoir et se reposer des fatigues de son voyage. Il n'y avait que deux pas à faire jusque-là. Mais Marie quitta le bras d'Élisabeth qu'elle avait pris, croisa ses mains sur sa poitrine et commença le cantique inspiré : " Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante ; car voilà que tous les siècles m'appelleront bienheureuse, parce que Celui qui seul est puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint, et sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a déployé la puissance de son bras ; il a dissipé ceux qui étaient enflés d'orgueil dans les pensées de leur cœur.` Il a renversé les puissants de leur trône, et il a élevé les humbles. Il a rassasié les affamés, et il a renvoyé les riches avec les mains vides. Il a pris en sa protection Israël, son serviteur, s'étant souvenu de sa miséricorde, selon la promesse qu'il avait faite à nos pères, à Abraham et à sa postérité, pour toute la suite des siècles'.

(…)

Je vis qu'Élisabeth répétait tout bas le Magnificat avec un semblable mouvement d'inspiration ; ensuite elles s'assirent sur des sièges très bas : il y avait sur une petite table, peu élevée aussi, un petit verre placé devant elles. Combien j'étais heureuse ! J’ai répété avec elles toutes leurs prières, et je me suis assise à peu de distance. Oh ! Combien j'étais heureuse !

La sœur Emmerich raconta ce qui était arrivé le jour précédent. Après midi, elle dit dans son sommeil : Joseph et Zacharie sont ensemble ; ils s'entretiennent de la venue prochaine du Messie et de l'accomplissement des prophéties. Zacharie est un grand et beau vieillard, habillé en prêtre ; il répond toujours par signes ou en écrivant sur une tablette. Ils sont assis sur le côté de la maison dans une salle ouverte qui a vue sur le jardin. Marie et Élisabeth sont assises dans le jardin, sur un tapis, sous un grand arbre, derrière lequel est une fontaine d'où l'eau sort quand on retire une bonde. Je vois tout autour du gazon et des fleurs, et des arbres avec de petites prunes jaunes. Elles mangent ensemble des fruits et des petits pains tirés de la besace de Joseph. Quelle simplicité et quelle frugalité touchantes ! Il y a dans la maison deux servantes et deux serviteurs ; je les vois aller et venir. Ils apprêtent sous un arbre une table avec des aliments. Zacharie et Joseph viennent et mangent quelque chose. Joseph voudrait revenir tout de suite à Nazareth : mais il restera huit jours. Il ne sait rien de l'état de grossesse de la sainte Vierge. Marie et Élisabeth se taisaient là-dessus. Il y avait dans leur intérieur comme une entente secrète et profonde de l'une à l'autre.

Plusieurs fois le jour, spécialement avant les repas, quand tous étaient ensemble, les saintes femmes disaient des espèces de litanies : Joseph priait avec elles, et je vis ensuite apparaître une croix entre elles. Il n'y avait pourtant pas encore de croix : c'était comme si deux croix se fussent visitées.

Ce nom d'une forme connue de la prière chrétienne ne doit pas nous surprendre dans un récit qui est encore de l'Ancien Testament La forme des litanies existait longtemps avant la naissance de Jésus-Christ ; ainsi le psaume 135 (dans l'hébreu, 136) est une véritable litanie. Il en est de même d'une partie du psaume 117 (118 dans l'hébreu) et de plusieurs autres.

Nous ne pouvons pas expliquer avec précision ce que la sœur voulait dire par ces paroles : " C'était comme si deux croix se fussent visitées ". Suivant la pieuse coutume de sa patrie, pays aux vieilles mœurs catholiques, quand différentes paroisses se réunissent en procession pour quelque dévotions à faire en commun, elles portent avec elles leurs croix et leurs images de la sainte Vierge, et l'on dit alors que les croix ou que les images de Marie se rendent visite. Peut-être a-t-elle voulu dire, à l'occasion de cette apparition d'une croix entre la sainte Vierge et Élisabeth réunies pour prier, que c'était comme si Jésus, le crucifié futur reposant encore dans le sein de sa Mère, et sa croix, instrument de notre rédemption, reposant aussi dans le sein de l'avenir, se rendaient visite.

Le 3 juillet, elle raconta ce qui suit : Hier soir, ils ont mangé tous ensemble ; ils restèrent assis jusque vers minuit, près d'une lampe, sous l'arbre du jardin. Je vis ensuite Joseph et Zacharie seuls dans un oratoire. Je vis Marie et Élisabeth dans leur petite chambre ; elles se tenaient debout, vis-à-vis l'une de l'autre, comme ravies en extase, et disaient ensemble le Magnificat.

Outre le vêtement décrit plus haut, la sainte Vierge avait comme un voile noir transparent qu'elle baissait quand elle parlait à des hommes. Aujourd'hui, Zacharie a conduit saint Joseph dans un autre jardin séparé de la maison. Zacharie est en toutes choses plein d'ordre et de ponctualité. Ce jardin est abondant en beaux arbres et produit des fruits de toute espèce ; il est très bien tenu ; il est traversé par une allée en berceau, sous laquelle on est à l'ombre ; à l'extrémité du jardin, se trouve cachée une petite maison de plaisance dont la porte est sur le côté. Dans le haut de cette maison, sont des ouvertures fermées avec des châssis ; il y a un lit de repos en nattes, recouvert de mousses ou d'autres herbes : je vis aussi là deux figures blanches de la grandeur d'un enfant ; je ne sais pas comment elles étaient là, ni ce qu'elles représentaient ; mais je trouvais qu'elles ressemblaient à Zacharie et à Élisabeth, seulement beaucoup plus jeunes.

J'ai vu aujourd'hui, dans l'après-midi, Marie et Élisabeth occupées ensemble dans la maison. La sainte Vierge prenait part à tous les soins du ménage ; elle préparait toute sorte d'effets pour l'enfant qu'on attendait. Je les vis travailler ensemble ; elles tricotaient une grande couverture pour le lit d'Élisabeth lorsqu'elle serait accouchée. Les femmes juives se servaient de couvertures de ce genre : il y avait au milieu une espèce de poche, disposée de façon que l'accouchée put s'envelopper tout entière avec son enfant ; elle s'emmaillotait là dedans, soutenue par des coussins, et pouvait à volonté se mettre sur son séant ou rester couchée. Sur le bord de cette couverture étaient des fleurs et des sentences brodées à l'aiguille. Marie et Élisabeth préparaient aussi toutes sortes d'objets qui devaient être donnés aux pauvres à la naissance de l'enfant. Je vis sainte Anne, pendant l'absence de la sainte Famille, envoyer souvent sa servante dans la maison de Nazareth pour voir si tout y était en ordre ; je l'ai vue aussi y aller une fois elle-même.

Le 4 juillet, elle raconta ce qui suit : Zacharie est allé avec Joseph se promener dans les champs. La maison est isolée sur une colline ; c'est la plus belle maison qu'il y ait dans la contrée ; d'autres sont dispersées tout autour. Marie est un peu fatiguée ; elle est seule avec Élisabeth à la maison.

Le 5 juillet, elle dit : J'ai vu Zacharie et Joseph passer la nuit d'aujourd'hui dans le jardin, situé à quelque distance de la maison. Je les vis tantôt dormir dans la petite maison qui est là, tantôt prier en plein air ; ils revinrent au point du jour. Je vis Élisabeth et la sainte Vierge à la maison ; tous les matins et tous les soirs, elles répétaient ensemble le cantique Magnificat, dicté par le Saint Esprit à Marie après la salutation d'Élisabeth.

La salutation de l'ange fut pour Marie comme une consécration qui faisait d'elle l'Église de Dieu. Lorsqu'elle prononça ces mots : " Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ", le Verbe divin, salué par l'Église, salué par sa servante, entra en elle ; dès lors, Dieu fut dans son temple, Marie fut le temple et l'Arche d'alliance du Nouveau Testament. La salutation d'Élisabeth, le tressaillement de Jean dans le sein de sa mère, furent le premier culte rendu devant ce sanctuaire. Lorsque la sainte Vierge entonna le Magnificat, l'Église de la nouvelle alliance, du nouveau mariage, célébra, pour la première fois, l'accomplissement des promesses divines de l'ancienne alliance, de l'ancien mariage, récitant en actions de grâces un Te Deum laudamus. Qui pourrait dignement exprimer combien était touchant à voir l'hommage rendu par l'Église à son Sauveur dès avant sa naissance.

Cette nuit, pendant que je voyais prier les saintes femmes, j'ai eu plusieurs intuitions et explications relatives au Magnificat et à l'approche du Saint Sacrement dans la situation présente de la sainte Vierge. Mon état de souffrance et de nombreux dérangements sont cause que j'ai oublié presque tout ce que j'ai vu. Au passage du Magnificat : " il a fait éclater la puissance de sas bras, "j'ai vu différents tableaux figuratifs du Saint-Sacrement de l'autel dans l'Ancien Testament. Il y avait entre autres un tableau d'Abraham sacrifiant Isaac, et d'Isaïe annonçant à un méchant roi quelque chose dont celui-ci se moquait ; je l'ai oublié. J'ai vu bien des choses depuis Abraham jusqu'à Isaïe, et depuis celui-ci jusqu'à la sainte vierge Marie, et j'y ai toujours vu le Saint Sacrement s'approchant de l'Église de Jésus-Christ, qui, lui-même, reposait encore dans le sein de sa mère'.

Source:

Brentano, A.-C.Emmerich, Vie de la Vierge Marie, en ligne

 

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Pour en savoir plus

 

-sur la Bse A.-C. Emmerich, dans l’Encyclopédie mariale 

-sur la Visitation, dans l’Encyclopédie mariale 

 

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