Lire plus sur la vie de sainte Catherine Labouré

Sainte Catherine Labouré (1806-1876) et la Médaille Miraculeuse

Sur un pays dont la vie religieuse renaît avec peine de ses cendres, le Ciel, par Marie va, en ce début du XIXème siècle, faire pleuvoir une pluie de grâces qui rejailliront vers le monde tout entier.

 

Orpheline de sa mère à 9 ans, elle se réfugie en Marie

 

Catherine Labouré est la paysanne choisie pour être, du fond de son couvent des filles de la Charité, rue du Bac, à Paris, messagère secrète de la Mère de Dieu. Tout particulièrement en juillet 1830 pendant les émeutes qui mirent fin à la Restauration, puis en 1848, lors du soulèvement de la Révolution de Février et des journées sanglantes qu’il occasionna. La servante qui s’apprête à entrer dans la grande salle commune de la riche ferme Labouré s’arrête, émue, sur le seuil : la petite Catherine, juchée sur un tabouret pour mieux atteindre la statue de la Vierge, et se croyant seule, l’entoure de ses bras et la serre sur son cœur avec amour. Elle a 9 ans, sa maman vient de mourir et instinctivement, totalement, elle se réfugie en Marie, Celle dont le Christ lui-même a dit au Golgotha : « Voici ta mère ».

En 1806, année de la naissance de Catherine, le futur curé d’Ars a vingt ans et le plus dur de la grande Révolution de 1789 est passé. Je dis « grande » Révolution non pas en référence à son idéal qui en définitive s’est révélé essentiellement petit-bourgeois, mais à cause des conséquences morales et religieuses humainement presque irréversibles qu’elle a occasionnées dans le pays. Jean-Marie Vianney en sait quelque chose, lui dont la vocation a été si longtemps retardée parce que les nouvelles lois, laïques, ont handicapé sa formation intellectuelle.

Au début de ce XIXème siècle, Catherine va échapper à ces difficultés : le Premier Empire a ramené un semblant de moralisme religieux officiel avec un Concordat, imparfait, mais surtout, Louis XVIII et après lui Charles X, qui règne jusqu ‘en 1830, installent une Restauration favorable à la vie de l’Eglise. Une vie de l’Eglise encore convalescente et léthargique à l’orée de nouvelles révolutions qui vont secouer la France avant la fin du siècle. Cependant la Reine du Ciel est aussi la patronne de ce pays et va le rappeler. Catherine n’est pas l’aînée. Il y a avant elle une sœur, Marie-Louise, suivie de six frères. Après elle, il y a Tonine et Auguste. Sur les dix-sept maternités rapprochées qui ont usé précocement Madame Labouré, il reste ces dix enfants.

 

A douze ans elle devient maîtresse de la plus grosse exploitation du bourg

 

Lorsque Marie-Louise décide d’entrer chez les filles de la Charité, Catherine n’a que douze ans et ses frères plus âgés ont presque tous quitté la ferme. Prenant alors sa petite sœur à témoin, et son courage à deux mains, elle déclare fermement à son père : « A nous deux, nous ferons marcher la maison ». Ce qui n’est pas une mince responsabilité !... A l’âge de sa première communion, Catherine devient maîtresse de la plus grosse exploitation de Fain, village de la côte bourguignonne et il faut veiller aussi bien aux repas des nombreux ouvriers agricoles, qu’au soin des bêtes et à l’ensemble de la vie commune. Catherine sait déjà organiser ; elle s’en tirera « comme un chef ».

Depuis sa communion, elle va à pied tous les matins à la messe de cinq heures, à trois kilomètres de Fain car l’église, en face de chez elle, a été désaffectée sous la Terreur. Ce qui n’empêche pas la jeune fille de traverser la rue, quand elle a un moment de répit, pour entrer dans la chapelle sans tabernacle mais encore tout imprégnée de la présence du Seigneur et là, immobilisée au plus profond de son « temple intérieur », de refaire ses forces auprès de Lui. Dès cette époque elle confie à Tonine son appel à la vie consacrée. Elle fait aussi le rêve d’une rencontre avec un prêtre inconnu qui lui dévoile : « …Un jour vous serez heureuse de venir à moi. Dieu a ses desseins sur vous. Ne l’oubliez pas ! ». Ce n’est que plus tard qu’elle comprendra ce songe. Sur le moment elle n’y prête aucune attention, et même, elle l’oublie.

La famille Labouré est la plus cultivée de la commune et les aînés ont tous fait des études. Mais depuis la mort de sa femme, Pierre, le père, n’a plus eu le temps de s’occuper des cadets si bien qu’à dix-huit ans, Catherine ne sait ni lire ni écrire. Une tante s’en émeut, d’autant que la jeune fille, à l’évidence, est intelligente. Elle fait donc venir sa nièce à Châtillon, près de Paris, après avoir difficilement convaincu le père, et commence son instruction dans le pensionnat qu’elle dirige. Ce séjour sera rude pour la jeune paysanne, malgré tout plus âgée et plus simple que la jeunesse « bon chic » qui l’entoure ; il sera pourtant capital car c’est au cours de ces mois que, visitant le couvent des filles de la Charité, elle découvre « par hasard » l’identité du prêtre inconnu de son rêve : Monsieur Vincent.

 

A 24 ans, elle entre enfin chez les Filles de la Charité, rue du Bac

 

Ce signe lui donne la lumière sur l’orientation de sa vie tout entière…mais elle n’a pas vingt et un ans. Retournée en Bourgogne, elle doit affronter le refus d’un père qui, pour avoir donné déjà une fille à Dieu, « n’en donnera pas deux ». Malgré son respect pour la volonté de celui-ci, Catherine va rejeter catégoriquement les prétendants que son père essaie de lui imposer, désirant à tout prix la marier. L’appel du Seigneur, Celui qui est le Père de toute paternité, chante plus fort en elle. Elle n’a pas la vocation du mariage et le sait. Furieux, et pour changer les idées de sa fille, Monsieur Labouré l’envoie à Paris comme serveuse dans le restaurant de l’un de ses fils. Ce dernier s’aperçoit vite que la gaieté naturelle du caractère de sa sœur a disparu et que si la cuisine de Catherine est excellente, son moral se maintient avec peine. Aussi va-t-il aider à aplanir les divers obstacles et le 21 avril 1830, Catherine entre, à 24 ans, chez les filles de la Charité, à Paris, rue du Bac.

A quoi ressemble la nouvelle postulante ? Physiquement, ce qui domine en elle, c’est la vigueur : grande de taille, large de hanches, une force presque virile dans les traits du visage, elle en impose, bien que le bleu de son regard et la douceur qui en émane révèlent en contraste une fontaine de tendresse maternelle. Il est incontestable, quand on analyse la jeunesse de Catherine, de voir que la Providence s’est attachée avant tout à former sa volonté et son sens des responsabilités mais, dans une discrétion préfigurant le caractère de la mission qui va maintenant être confiée à la religieuse, une mission à la fois cachée et de premier plan pour l’histoire et le bien commun de la France et du monde.
En ce sens, on ne peut s’empêcher d’évoquer ici Marthe, de Chateauneuf-de-Galaure…

 

Entre 1830 et 1831, sœur Labouré recevra, au cours de trois visions de la Vierge, la révélation de sa mission

 

C’est pendant l’année et demie de son séminaire, entre 1830 et 1831, que Sœur Labouré recevra, au cours de trois visions de la Vierge, la révélation de cette mission. Arrivée rue du Bac quelques jours avant le retour des reliques de Vincent de Paul à la maison mère, le désir de la postulante est grand de voir se relever les deux familles vincentiennes des lazaristes et des filles de la Charité décimées sous la Révolution. La coïncidence du retour des reliques avec son entrée semble bien en être l’heureux présage… C’est en ces jours d’ailleurs que le cœur de Vincent de Paul lui apparaît pour lui annoncer que ce désir sera bel et bien exaucé malgré les tourmentes historiques à venir, dont ses prêtres et ses religieuses vont être protégées.

Il n’y a pas de vie humaine qui ne soit soutenue par un désir profond qui en est l’axe. Ce désir- avouable ou non- se réalise toujours dans toute vie car, plus ou moins consciemment, il l’oriente de façon fondamentale. Et lorsque cette vie, lorsque ce désir est docile à la lumière de L’Esprit Saint, quelle en est la réalisation ! L’histoire de Catherine Labouré le démontre à l’évidence d’autant qu’elle a laissé toute liberté d’agir et de l’aider, à la Providence divine. Mais revenons à la rue du Bac où la jeune religieuse novice verra, pendant le temps de son noviciat, lors de chaque consécration, la présence réelle du Christ dans l’hostie, sans que jamais personne autour d’elle ne s’en doute –son confesseur excepté-, qui lui ordonne de « chasser ces imaginations ». Catherine obéit.

 

"Cette nuit même je verrai la Vierge"

 

Du moins, elle essaie, avec peine, car bientôt, le Ciel s’ouvre à nouveau, en la vigile de la fête de saint Vincent, le 18 juillet 1830 :« Je me suis couchée avec cette pensée que cette nuit même je verrais ma bonne Mère Il y avait si longtemps que je désirais la voir ». Trop prétentieux cet autre désir de Sœur Labouré ? Pour des cœurs à mesure restreinte peut-être, pour la Mère de Dieu, non : elle vient en personne, en cette même soirée, rendre visite à celle qui croit en son cœur maternel, la fait réveiller par un ange, conduire à la chapelle tout illuminée pour la circonstance –sans doute par d’autres anges- et là pendant près d’une heure et demie, en ce milieu de la nuit, Marie s’entretient avec Catherine agenouillée devant elle, les mains posées sur les genoux de la Vierge qui s’est assise...

« Mon enfant, le Bon Dieu veut vous charger d’une mission » dit Marie ; « Vous serez inspirée dans vos oraisons ; rendez-en compte ». « Les malheurs viendront fondre sur la France (…). Mais venez au pied de cet autel. Là, les grâces seront répandues sur toutes les personnes qui le demanderont avec confiance et ferveur ». La Vierge déplore les abus auxquels se laissent aller nombre de communautés où les règles ne sont plus observées, puis revient sur le sort du pays : « La protection de Dieu est toujours là d’une manière toute particulière et saint Vincent protègera la communauté. Mais je serai moi-même avec vous ». Ce ne sera qu’après les émeutes des 27,28 et 29 juillet 1830 (les Trois Glorieuses) qui vont mettre fin au règne de Charles X, que le confesseur de Catherine commencera, au vu des événements, à la prendre au sérieux.

Le 27 novembre 1830, deuxième apparition : la Vierge ouvre les bras, de ses mains sortent des rayons lumineux. « Ces rayons sont le symbole des grâces que Marie obtient aux hommes », dit une voix. Aux hommes qui les demandent…car, au cours de la troisième et dernière apparition, en décembre de la même année, Marie précise à propos de certains rayons qui restent ternes en jaillissant de ses doigts : « Ce sont les grâces que l’on oublie de me demander ». Cette profusion de grâces découlait « avec plus d’abondance sur une partie du globe qui se trouvait aux pieds de Marie ; et cette partie privilégiée, c’était la France ».

 

Une médaille miraculeuse est demandée par la Vierge Marie

 

Un mois plus tard, le 30 janvier 1831, Catherine prononce ses vœux et revêt l’habit des filles de Saint Vincent. Seul son confesseur connaît son secret car la Vierge lui a demandé de garder l’anonymat jusqu’à la fin. Marie a demandé aussi la frappe d’une médaille représentant la deuxième vision et portant ces mots : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ». En quelques années, ces médailles réalisées en 1832, vont faire tant de miracles (guérisons, conversions)- le curé d’Ars lui-même vient de mettre sa paroisse sous le patronage de cette médaille de Marie- que très vite on la nomme la médaille miraculeuse. Le choléra éclate à Paris : on en distribue des milliers ; en Italie, c’est la « Vierge de la médaille » qui va convertir Alphonse Ratisbonne ; dans le monde entier, on en distribue déjà des millions moins de dix ans après les apparitions.

Du cœur de la petite chapelle de Paris, et par la ferveur du désir d’une jeune fille cachée, ce sont en effet des flots de grâce qui s’échappent vers les cinq continents. Pendant tout ce temps, Catherine vit à l’hospice de Reuilly, près de Picpus. Garde-malade, cuisinière, poulaillère, visiteuse des pauvres, qui irait dénicher là celle dont la prière est en train d’obtenir le réveil de la foi en France et son élan missionnaire ? Car tandis que la religieuse aura passé sa vie à traire « de ses mains plus de 100 000 litres de lait », biné le jardin, lavé, nourri des milliers de malades, dans une discrétion absolue, les vocations se lèvent par centaines tant chez les filles de la Charité que chez les missionnaires lazaristes… C’est le renouveau.

 

« Ils ont touché à Notre-Dame. Ils n’iront pas plus loin »

 

En mars 1848, pendant la Commune, Catherine portera à bout de bras l’hospice que la plupart des sœurs ont été obligées de fuir. Elle ira distribuer la médaille de la Vierge jusque sur les barricades. Lors des perquisitions et des rafles par les insurgés, elle soutiendra les courages et miraculeusement, la protection de Marie- qu’elle ne cesse d’évoquer- garde intacte toute la communauté. Lorsqu’elle apprend que les insurgés ont saccagé l’église Notre-Dame-des-Victoires, elle déclare : « Ils ont touché à Notre-Dame. Ils n’iront pas plus loin ». Au printemps, de fait, la rébellion tombe.

 

 

Une vie humble et rayonnante

 

Jamais Sœur Catherine ne sera gratifiée de titres ni de fonctions honorifiques quelconques dans sa communauté, qu’elle qu’ait été pourtant sa compétence. On lui demandera de passer sous les ordres de sœurs beaucoup plus jeunes et moins expertes qui recevront des titres qu’avec les mêmes fonctions elle-même n’aura pas eus. Mais ces considérations sont au-dessous de sa mesure : Catherine approuvera et appuiera toujours la ferveur et le dynamisme rénovateur des jeunes arrivées. Et celles-ci la recherchent pour sa sagesse rayonnante.

Catherine Labouré s’éteint le 31 décembre 1876, au terme d’une vie qui correspond à une immense vocation d’amour pour son pays, mais aussi d’un amour universel. Pendant le demi-siècle qu’elle a passé cachée au couvent, la France chrétienne pétrifiée à force de tiédeur, d’ignorance et de démissions successives, sera réchauffée en son cœur par la profusion même de la tendresse de Dieu : "Là où le péché abonde, la grâce surabonde".

La Vierge Marie est patronne principale de la France. Elle s’en est souvenue à travers le désir ardent de Catherine Labouré. Cette dernière sera canonisée le 27 juillet 1947, par Pie XII.

 

 

 


Geneviève Esquier