Le destin extraordinaire de Jean

La mise en perspective de la vie de Saint Jean, nous éclaire sur les grâces et privilèges particuliers qu’il a reçus et que la Tradition reconnaît en lui.

Jean a été d’abord disciple de Jean-Baptiste, puis disciple de Jésus pendant 3 ans, puis il a passé une vingtaine d’années seul avec la Vierge Marie, la mère de mémoire, qui l’a aidé à mûrir cet Évangile étonnant de clairvoyance et de précision, qu’il va ensuite enseigner oralement pendant 40 ans, avant de recevoir la grande révélation de l’Apocalypse qui lui donnera alors une vision encore plus aiguisée du mystère du Christ. Le Pape Jean Paul II a très souvent insisté sur ce moment si important où Jésus va confier à sa Mère ce disciple qu’il aimait et qui l’aimait tellement, et dans lequel chaque disciple du Christ est invité à se reconnaître :

« Le nom du disciple était Jean. C’est précisément lui, Jean, fils de Zébédée, apôtre et évangéliste, qui entendit les paroles du Christ venant du haut de la Croix : « Voici ta mère ». Auparavant, le Christ avait dit à sa Mère : « Femme, voici ton Fils ». C’était là un testament admirable. En quittant ce monde, le Christ donna à la Mère un homme qui serait pour elle comme un fils : Jean. Il le lui confia. Et par la suite de ce don, de cette remise entre ses mains, Marie devint la mère de Jean. La mère de Dieu est devenue la mère de l’homme. A partir de cette heure-là, Jean la « prit chez lui » et il devint sur terre le gardien de la Mère de son Maître ; c’est en effet pour des enfants un droit et un devoir de prendre soin de leur mère. Mais Jean devient surtout, par la volonté du Christ, le fils de la Mère de Dieu. Et à travers Jean, tout homme devint son fils à elle. » (Jean-Paul II -Homélie de la messe du 13 mai 1982 à Fatima)

 

Essai de chronologie de la vie extraordinaire de Saint Jean, de Bethsaïde à Patmos  

Jean serait né aux alentours de l’an 10 après Jésus-Christ. Jusqu’à 12 ans, il passe son enfance à Bethsaïde, au bord du Lac de Tibériade, dans l’un des plus beaux lieux du monde. On peut facilement s’imaginer le petit Jean s’émerveillant de la beauté de la nature, et se demandant très jeune qui peut être l’Auteur de tant de merveilles. Son père, Zébédée, est, selon l’Evangile, responsable d’une petite entreprise de pêche, propriétaire de ses barques, et faisant travailler quelques ouvriers. Le poisson est péché puis vendu à Capharnaüm, ou séché puis transporté pour être vendu dans la Décapole par André et Philippe qui parlent grec et à Jérusalem, où le bon poisson de Galilée est particulièrement apprécié, par Jacques et Jean. Il est fort probable qu’à partir de 12 ou 13 ans, Jean se rend régulièrement à Jérusalem, en suivant son grand frère Jacques, pour les affaires de son père ou pour les fêtes de pèlerinage. Jean, spécialement attiré par les choses de Dieu, a vraisemblablement fréquenté les impressionnants maîtres de l’époque : le notable Schammaï, le grand Hillel, et son neveu Gamaliel, déjà enseignant renommé. Au témoignage de l’Evangile, Jean connait très bien la ville, les fêtes et même l’entourage du grand Prêtre (Jn 18,15-16). C’est sur la route de la Cité Sainte lors d’un de ses voyages que Jean adolescent rencontre Jean-Baptiste. Il trouve en lui quelqu’un de plus extraordinaire et de plus fascinant encore que tous les maîtres du Temple. Il devient rapidement son disciple, avec son frère Jacques, et quelques amis pécheurs : André et son frère Pierre, Philippe et Nathanaël. De 24 à 27 environ, ce groupe sera disciple de Jean le Baptiste jusqu’à ce que celui-ci leur désigne Jésus, comme « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Cet évènement scelle la vie de Jean à tout jamais, il le placera centre de son Evangile et du livre de l’Apocalypse.

De 27 à 30, Jean passera 3 ans à suivre le Christ et à recevoir avec la fraîcheur de son âme pure et enfantine l’enseignement du Maître divin. Il deviendra le « bien-aimé », le disciple « préféré ». Cette expression de la Tradition orientale désigne le disciple qui pénètre plus profondément la pensée du Maître et qui peut la restituer avec les mots même du Maître. Son imitation du Maître et son amour sont si fort qu’il sera le seul Apôtre présent au pied de la Croix, à l’heure des ténèbres qui a dispersé tous les autres :

« Marie, la Mère du Seigneur, était debout devant la Croix de son Fils ; nul autre ne me l’a dit que Saint Jean l’évangéliste. Jean m’a appris comment Jésus sur la Croix a appelé sa Mère. C’est le Testament du Christ en Croix, et Jean y apposait sa signature, digne témoin d’un si grand testateur. Testament précieux qui lègue non de l’argent mais la vie éternelle ; qui est écrit non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant. Et tandis que les Apôtres étaient en fuite, Marie se tenait debout au pied de la Croix, et de ses yeux maternels, elle contemplait les blessures de son Fils. Elle en attendait non la mort de son bien-aimé, mais le salut du monde. » (Saint Ambroise de Milan +397).

« Dans la personne de Jean, comme l’Eglise l’a toujours cru, explique Léon XIII, le Christ désigna celle du genre humain, de ceux surtout qui croiraient en lui ».

 

Après l’Ascension de Jésus, Jean restera avec Marie pendant une vingtaine d’année. De 30 à 36, après la Pentecôte, Jean, qui n’a que 20 ans, est très proche de Pierre, qu’il seconde lors de la première évangélisation de Jérusalem, comme on le voit dans les Actes des Apôtres, en restant silencieux, comme son caractère et son jeune âge l’y inclinent, jusqu’à ce que la persécution qui suit la révocation de Ponce Pilate oblige les Apôtres à s’en aller.

C’est certainement dès 37 que Jean part avec la Vierge Marie pour s’établir à Éphèse, comme en témoigne une tradition locale solide, rappelée en 431 par la lettre officielle que les Pères du Concile d’Éphèse envoyèrent à Nestorius. Toutefois, ce ne sera pas Jean et Marie qui fonderont l’Église à Éphèse mais Paul, qui le fera 17 ans plus tard lorsqu’il viendra pour 2 ans sur place. Alors que tous les Apôtres mettent à profit la dispersion pour fonder des Églises et répandre la Bonne Parole, Jean et Marie restent discrets, à l’écart. Comment se l’expliquer ? Il semble que Jean et Marie aient inauguré à Éphèse un genre de vie nouveau, sans apostolat direct, dans le silence et la prière. En reprenant les termes de l’Apocalypse, « la Femme poursuivie par le Dragon s’est enfuie au désert où Dieu lui a préparé une place » et, c’est dans ce désert de la vie cachée que Dieu va la nourrir pendant quelques années. Jésus à confié Jean à la Vierge Marie pour qu’il soit comme son fils et la Vierge obéissante va lui faire vivre à Éphèse ce qu’elle a fait vivre à Jésus à Nazareth, en le faisant grandir de la même manière, comme pendant les 30 années de vie cachée à Nazareth. La « Maison de Marie » à Éphèse constitue en quelque sorte le premier monastère où Jean va prendre le temps d’approfondir puissamment le mystère du Christ, avec Marie, dans une vie de silence, de prière et de contemplation. Ce temps de désert aura une immense postérité dans l’Église mariale, l’Église des religieux et religieuses, centrée sur la vie de prière, la contemplation et l’approfondissement du mystère du Christ, loin du monde, dans le silence d’une vie cachée comme l’écho de ce qu’ont vécu Marie et Jean.

Les premiers moines appelaient Jean leur « père », comme un disciple d’Evagre le Pontique le mentionne. Épiphane de Salamine confirme qu’ils se réunissaient « pour imiter la vie de Marie et Jean à Éphèse » (règle monastique des Agapètes). Par la suite, Saint Augustin et beaucoup d’autres verront en Saint Jean le modèle de la vie contemplative.

« Jean est à l'origine de notre plus haute spiritualité. Comme lui, les "silencieux" connaissent ce mystérieux échange de cœurs, invoquent la présence de Jean et leur cœur s'enflamme » (Athenagoras, Patriarche œcuménique de Constantinople - D’après « Dialogues avec Athenagoras », O. Clément Turin 1972, p. 159).

 

La découverte de "Meryem Ana", la "Maison de la Vierge" à Éphèse suite aux visions d’Anne-Catherine Emmerich eut lieu sous le pontificat de Léon XIII (1878-1903). Informé de la chose, il manifesta ouvertement sa satisfaction, et Pie X, Benoit XV, Pie XI s’intéressèrent beaucoup à cette découverte. Paul VI, Jean-Paul II et Benoit XVI ont depuis fait pèlerinage sur place, indiquant que la vie contemplative de Jean auprès de la Vierge Marie à Éphèse est d’une certaine manière un modèle pour tous :

« Le Saint Esprit guide les efforts de l'Église, l'engageant à adopter le même comportement que Marie. Dans le récit de la naissance de Jésus, Luc note que sa mère « conservait toutes ces choses, les méditant dans son cœur », s'efforçant donc de « mettre ensemble » (en grec : Symballousa), avec un regard plus profond, tous les événements dont elle avait été le témoin privilégié. De façon analogue, le peuple de Dieu est lui aussi poussé par le même Esprit à comprendre en profondeur tout ce qui est dit de Marie, pour progresser dans l'intelligence de sa mission intimement liée aux mystères du Christ. Le mystère de Marie engage chaque chrétien, en communion avec l'Église, à méditer dans son cœur ce que la révélation évangélique affirme de la mère du Christ. » (Jean-Paul II Catéchèse 8 novembre 1995).

 

Curieusement, c’est à Éphèse qu’Héraclite 480 av JC) a conçu et popularisé la notion de Logos, et où Jean, certainement composera, avec Marie, le Prologue de son Évangile, et le reste de son enseignement centré autour du mystère de l’Incarnation - que la Vierge Marie lui aura permis de découvrir en profondeur Dès lors Jean n’aura de cesse que de vouloir transmettre l’ineffable richesse qu’il venait de recevoir là.

Après la fin de la persécution, vers 41, les Apôtres essayeront de se retrouver à Jérusalem, mais Jacques de Zébédée, frère de Jean, sera arrêté sans que personne ne s’y attende et décapité par Hérode Agrippa. Le frère de Jean est le premier Apôtre à donner le témoignage du sang. Cet évènement marquera Jean, à qui Jésus avait aussi promis « ma coupe, vous y boirez ». Les Apôtres finiront par se retrouver en 48 puis vers 49 avec Paul, pour ce qu’on appelle le « Concile de Jérusalem », réunion au cours de laquelle sera définie la doctrine sur la circoncision et seront relus et vérifiés les Évangiles. C’est sans doute à ce moment là, que la Vierge Marie en présence de Jean, aura transmis à Luc les Évangiles de l’enfance, les paraboles de la Miséricorde et le récit de la Passion, avant de rejoindre son Fils Jésus au Ciel par son Assomption quelques temps après.

Pendant les 40 ans qui suivront le départ de Marie, Saint Jean sera, selon la Tradition, le grand enseignant des évêques et disciples de la première génération (comme Ignace ou Polycarpe, qui formeront à leur tour Pothin et Irénée), qu’il reçoit et forme longuement en séminaires de tradition exclusivement orale, à Jérusalem, puis à nouveau Éphèse, jusqu’à l’avènement de Domitien qui est le premier Empereur de Rome à vouloir durablement se faire adorer comme un dieu de son vivant.

En 94 à Éphèse, où Jean réside régulièrement, Domitien fait construire un Temple imposant de 64 mètres par 85, avec un périptère de 24 mètres sur 34, ainsi qu’une statue gigantesque le représentant. L’équipe d’archéologues autrichiens qui a travaillé sur le site d’Éphèse précise qu’il a aussi financé sur place une fontaine, un troisième système d’adduction d’eau, le pavement de l’Embolos, et un nouveau gymnase et qu’il avait sur place un « délégué à la construction » le procurateur Ti. Claudius Clemens (d’après : Helmut Halfman, Ephèse et Pergame urbanisme et commanditaires en Asie Mineure – Ausonius 2004). Jean, qui est alors le dernier Apôtre encore en vie, n’a pas dû rester silencieux devant le blasphème de Domitien parce qu’il est traduit, en 94 selon plusieurs traditions, à Rome devant l’Empereur, qui le questionne et le soumet au supplice de l’huile bouillante, à la Porte Latine, devant le temple de Diane, qui est l’Artémis d’Éphèse. Plusieurs écrivains anciens (Polycarpe, Tertullien, Jérôme, Ambroise, Bède le vénérable, et les Apocryphes d’Abbdias, de Jean ou de Prochore) rapportent le miracle qui est fêté depuis, chaque année, à Rome le 6 mai :

« Il sortit de la chaudière plus frais et plus vigoureux qu'il n'y était entré. » (Saint Jérôme).

 

Tertullien insiste sur les 3 grands martyrs de l’Eglise de Rome : « Si tu vas en Italie, tu trouves Rome, où toute autorité est à notre disposition. Oh ! Combien est heureuse cette Église (de Rome) où quelques apôtres ont répandu toute la doctrine et versé leur sang ; où Pierre subit un martyre semblable à celui du Seigneur Jésus ; où Paul reçut la même couronne que Jean (le Baptiste) ; et où l’apôtre Jean immergé dans l’huile bouillante ne fut pas endommagé et fut condamné à l’exil dans l’île. » (D’après Tertullien, « La prescription des hérétiques » chap. 36 – P.L. II, 59)

Après le miracle de l’huile bouillante vers 95, l’Empereur possiblement effrayé ou impressionné l’exile alors dans l’île de Patmos où il recevra en 96 la vision de l’Apocalypse, après avoir évangélisé l’île avec son scribe Prochore. 

Jean retournera ensuite à Ephèse avant la fin du Ier siècle, et ce sera même sa période la plus active sur le plan apostolique, selon les Apocryphes (Actes de Jean, Actes de Prochore). Jean publiera finalement en grec avec son scribe Prochore la substance affinée de son enseignement oral, et ce sera l’Evangile spirituel, entièrement centré autour du mystère de l’Incarnation du Verbe, manifestant pleinement la divinité du Christ.

« L’acuité de son intelligence spirituelle fait comparer l’Apôtre Saint Jean à un aigle (…) l’Apôtre parle de la divinité du Seigneur comme nul n’en a jamais parlé. Il rendait là ce qu’il avait vu lui-même, car son propre Evangile raconte, non sans motif, qu’à la Cène il repose sur la poitrine du Seigneur (St Augustin Traité 36,1).

C’est un Evangile unique et essentiel, qui reflète la personnalité unique de son auteur : « Il faut oser dire que, de toutes les Ecritures, les Evangiles sont les prémices et que, parmi les Evangiles, les prémices sont celui de Jean, dont nul ne peut saisir le sens s'il ne s'est renversé sur la poitrine de Jésus et n'a reçu de Jésus Marie pour mère. » (Origène)

 

« Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? » a prophétisé le Christ en réponse à la question de Pierre : « Et lui Seigneur ? » à propos de Jean. De fait, Jean est demeuré très âgé, au point d’être pendant longtemps le dernier Apôtre encore en vie. L’Évangile rapporte en le corrigeant « le bruit qui s’était répandu parmi les disciples qu’il ne mourrait pas ».

Après l’an 104, Jean est finalement mort presque centenaire à Éphèse, sous le règne de Trajan, d’après Saint Irénée. Après le repos et l'ensevelissement merveilleux du Saint Apôtre Théologien à Éphèse (qui est fêté chaque année le 26 septembre), son tombeau fut trouvé vide, et il devint une source de miracles Le 8 mai, l’Église d’Orient célèbre la Synaxe en l'honneur de la cendre ou Sainte "Manne" que produisait le tombeau du saint et illustre. En effet chaque 8 mai le tombeau était soudainement recouvert d'une sorte de cendre, que les Chrétiens du lieu appelèrent la "Manne", laquelle avait la vertu de guérir les maladies de l'âme et du corps de ceux qui s'en oignaient avec foi. Ce miracle procura donc l'occasion à l'Église de célébrer solennellement une seconde fois, tous les ans, le Disciple Bien-aimé du Seigneur, fils chéri de la Mère de Dieu. Son tombeau est encore vénéré, aujourd’hui, sur place dans l’immense Basilique Saint Jean qui lui a été consacrée.

Saint Jean apparut ensuite bien des fois dans l’histoire de l’Église : dès le III° siècle, à Grégoire le Thaumaturge, à Saint André le fou dans l’Église des Blachernes à Constantinople, à Sainte Catherine de Sienne, à Saint Jean de Dieu, au Pape Célestin V (1215-1296), à Sainte Gertrude au 13° siècle, comme pour préparer prépare les révélations de Jésus à Marguerite Marie le 27 décembre 1673 en la fête de saint Jean, à Ferdinand du Portugal (1402-1443), à un jeune cistercien admis par Saint Bernard, à Flodoard de Reims (v.893-966), à Gherardesca de Pise (+1269), à Hadewijch d’Anvers (environ 1240), à Marie Amice Picard le 19 mai 1634, à Heroldsbach (1949-1952, à Knock en Irlande le 21 août 1879), ou à Saint Séraphin de Sarov.

Nous devons noter que ces apparitions étaient presque toujours en compagnie de la Vierge Marie, sa mère, comme pour insister sur son lien unique avec la Mère de Dieu.

La Révélation de Dieu est scellée par les écrits johanniques - Révélation définitivement close à la mort du grand Saint Jean.