95 - Jacques, fils d’Alphée, reçu parmi les disciples (mardi 27 juillet 27)

Evangiles

Pas de correspondance

Date :

Mardi 27 juillet 27

Lieu :

Capharnaüm

 

Vision de Maria Valtorta :

95.1 C’est un matin de marché à Capharnaüm. La place est pleine de marchands d’objets les plus disparates.

Jésus, qui arrive du lac, voit venir à lui ses cousins Jude et Jacques. Il se hâte à leur rencontre et, après les avoir embrassés affectueusement, leur demande avec empressement :

« Votre père ? Qu’en est-il ?

– En ce qui concerne sa vie, rien de nouveau, répond Jude.

– Alors, pourquoi es-tu venu ? Je t’avais dit de rester. »

Jude baisse la tête et se tait, mais c’est Jacques qui explose :

« C’est ma faute s’il ne t’a pas obéi. Oui, c’est ma faute. Mais je n’ai pu continuer à supporter cela. Ils sont tous contre nous. Et pourquoi ? Est-ce que j’agis mal en t’aimant ? Est-ce que nous faisons mal ? Jusqu’à présent j’étais retenu par le scrupule de mal agir. Mais maintenant que je sais, maintenant que tu m’as dit qu’il faut placer Dieu même au-dessus de son père, je n’ai pas pu le supporter plus longtemps. Oh ! J’ai essayé d’être respectueux, de faire entendre raison, de redresser les idées. J’ai dit : “ Pourquoi me combattez-vous ? S’il est bien le prophète, le Messie, pourquoi voulez-vous que le monde puisse dire : ‘ Sa famille lui était hostile. Au milieu d’un monde qui le suivait, elle s’y opposait ’ ? Et pourquoi, si c’est le malheureux que vous prétendez, ne devons-nous pas, nous qui sommes de la famille, l’assister dans sa démence pour empêcher qu’elle ne lui porte tort, à lui comme à nous ? ” Oh ! Jésus, je parlais comme ça pour raisonner humainement, selon leur manière de voir. Mais tu sais bien que Jude et moi, nous ne te croyons pas fou. Tu sais bien que nous voyons en toi le Saint de Dieu. Tu sais que toujours nous t’avons regardé comme notre grande Etoile. Mais ils n’ont pas voulu nous comprendre, ni même nous écouter. Alors je suis parti. Mis en demeure de choisir entre toi, Jésus, ou ma famille, c’est toi que j’ai choisi. Me voilà, si du moins tu veux de moi. Mais si tu ne veux pas, alors je serais le plus malheureux des hommes, parce que je n’aurais plus rien : ni ton amitié ni l’amour de ma famille.

– Nous en sommes là ? Oh ! Mon Jacques, mon pauvre Jacques ! Je n’aurais pas voulu te voir souffrir ainsi, car je t’aime. Mais si Jésus comme homme pleure avec toi, Jésus le Verbe jubile pour toi. Viens ! Je suis certain que ta joie d’apporter Dieu aux hommes augmentera d’heure en heure jusqu’à atteindre la pleine extase à la dernière heure de la terre et à l’heure éternelle du Ciel. »

95.2 Jésus se retourne et hèle ses disciples qui s’étaient arrêtés par délicatesse quelques mètres plus loin.

« Venez, mes amis. Mon cousin Jacques fait maintenant partie de mes amis et par conséquent il est aussi le vôtre. Ah ! Comme j’ai désiré ce moment, ce jour pour lui, mon parfait ami d’enfance, celui qui fut mon frère pendant notre jeunesse ! »

Les disciples font fête au nouveau venu et à Jude qu’ils n’avaient plus vu depuis quelques jours.

« Nous t’avions cherché à la maison… mais tu étais sur le lac.

– Oui, sur le lac pendant deux jours, avec Pierre et les autres. Pierre a fait une bonne pêche, n’est-ce pas ?

– Oui et maintenant, cela me fait mal au cœur, il va me falloir donner pas mal de didrachmes à ce voleur-là… » ; il montre du doigt le gabelou Matthieu dont le comptoir est assiégé par des gens qui paient pour leur emplacement, je crois, ou les denrées.

« Tout sera en proportion, je te dis : plus tu pêches et plus tu paies, mais aussi plus tu gagnes.

– Non, Maître. Plus je pêche et plus je gagne, certes. Mais si je fais deux fois plus de prises, celui-là ne me fait pas payer le double : il faut lui donner le quadruple… Chacal !

– Pierre ! Eh bien, approchons-nous de là. Je veux parler. Il y a toujours des gens près du comptoir de la gabelle.

– Je le crois bien ! Dit Pierre en grommelant. Des gens et des malédictions !

– Eh bien, j’y apporterai des bénédictions. Qui sait si un peu d’honnêteté ne va pas rentrer chez le gabelou ?

– Sois-en sûr, ta parole ne traversera pas sa peau de crocodile.

– Nous verrons bien !

– Que lui diras-tu ?

– Rien directement, mais je parlerai de façon qu’il en prenne aussi pour lui.

– Tu diras que celui qui dépouille les pauvres qui travaillent pour gagner leur pain, et non pas pour les femmes et les soûleries, est un aussi grand voleur que les bandits de grand chemin ?

– Pierre, veux-tu parler à ma place ?

– Oh non, Maître ! Je ne saurais pas bien m’expliquer.

– Et avec l’amertume que tu as en toi, tu te ferais du mal, et à lui aussi. »

95.3 Ils sont arrivés près du comptoir de la gabelle.

Pierre se dispose à payer. Jésus l’arrête et lui dit :

« Donne-moi l’argent. C’est moi qui paie aujourd’hui. »

Pierre le regarde, étonné, et lui donne une bourse de peau bien garnie.

Jésus attend son tour et, quand il est en face du gabelou, il dit :

« Je paie pour huit corbeilles de poisson de Simon-Pierre. Elles sont là, aux pieds des employés. Vérifie, si tu veux. Mais, entre honnêtes gens, la parole devrait suffire. Et je pense que tu me considères bien ainsi. Combien pour la taxe ? »

Matthieu, qui était assis à son comptoir, se lève au moment où Jésus dit : « Je pense que tu me considères bien ainsi. » De petite taille et déjà âgé, à peu près comme Pierre, il montre pourtant un visage fatigué de jouisseur et une évidente confusion. Il reste tête basse au début, puis la lève et regarde Jésus. Jésus le regarde fixement, gravement, le dominant de sa haute taille.

« Combien ? répète Jésus après un moment.

– Il n’y a pas de taxe pour le disciple du Maître » répond Matthieu, qui ajoute plus bas : « Prie pour mon âme.

– Je la porte en moi, car j’y abrite les pécheurs. Mais toi… pourquoi n’en as-tu pas souci ? »

Aussitôt, Jésus lui tourne le dos et revient vers Pierre, resté bouche bée. Les autres aussi sont ébahis. Ils chuchotent, n’en croyant pas leurs yeux…

95.4 Jésus s’adosse à un arbre, à une dizaine de mètres de Matthieu et commence à parler.

« Le monde est comparable à une grande famille dont les membres exercent des métiers différents et tous nécessaires. Il y a les agriculteurs, les bergers, les vignerons, les charpentiers, les pêcheurs, les maçons, les ouvriers du bois et du fer, et puis les écrivains, les soldats, les fonctionnaires affectés à des missions spéciales, les médecins, les prêtres. Il y a de tout. Le monde ne saurait être composé d’une seule catégorie. Les professions sont toutes indispensables, toutes saintes, si elles sont exercées avec honnêteté et justice. Comment peut-on y arriver, si Satan nous tente de tellement de côtés ? En pensant à Dieu – qui voit tout, même les actions les plus cachées – et à sa Loi qui dit : “ Aime ton prochain comme toi-même, ne lui fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. Ne vole pas, en aucune manière. ”

Dites-moi, vous qui m’écoutez : quand quelqu’un meurt, emporte-t-il avec lui ses sacs d’argent ? Et même s’il était assez sot pour les vouloir auprès de lui dans sa tombe, pourrait-il s’en servir dans l’autre vie ? Non. Les pièces de monnaie s’abîment au contact de la pourriture d’un corps décomposé. Mais son âme, elle, serait nue, plus pauvre que celle du bienheureux Job, ne disposant pas de la plus petite pièce de monnaie, même si, ici-bas et dans la tombe, elle avait laissé des masses de talents. Aussi, écoutez bien ! En vérité, je vous le dis : il est difficile d’acquérir le Ciel par des richesses ; au contraire, on le perd généralement à cause d’elles, même si elles proviennent d’un héritage ou d’un gain honnête, car il y a peu de riches qui sachent en user avec justice.

Alors que faut-il faire, pour posséder ce Ciel béni, ce repos au sein du Père ? Il faut n’être pas avide de richesses. Pas avide dans le sens de ne pas les vouloir à tout prix, même en manquant à l’honnêteté et à l’amour. Pas avide, si, les possédant, on les aime plus que le Ciel, plus que son prochain, en refusant la charité aux personnes dans le besoin. Pas avide de ce que les richesses peuvent procurer : femmes, plaisirs, table opulente, vêtements fastueux qui font offense à la misère de ceux qui ont froid et faim. Il y a bien une manière de changer les monnaies du monde en celles qui ont cours dans le royaume des Cieux : c’est la sainte ruse qui consiste à transformer les richesses humaines, souvent injustes ou causes d’injustices, en richesses éternelles. Il faut pour cela gagner honnêtement sa vie, restituer ce qu’on a pris injustement, faire un usage modéré des biens du monde et sans s’y attacher. Il faut savoir quitter les richesses parce que, tôt ou tard, elles nous quitteront – il faut le garder à l’esprit ! – tandis que le bien accompli ne nous abandonne jamais.

Tous voudraient être qualifiés de “ justes ”, considérés comme tels et récompensés par Dieu pour cette raison. Mais comment Dieu pourrait-il récompenser celui qui n’a du juste que le nom, mais pas les œuvres ? Comment pourrait-il dire : “ Je te pardonne ”, s’il se rend compte que son repentir n’est que dans les mots, sans changement véritable dans son âme ? Il n’y a pas de repentir tant que dure le désir de l’objet qui est cause du péché. Mais quand quelqu’un s’humilie, quand il mutile moralement ce qui est en lui la source d’une passion mauvaise – qu’il s’agisse de femme ou d’or –, quand il dit : “ Pour toi, Seigneur, je ne veux plus entendre parler de tout cela ”, voilà alors un repentir authentique. Et Dieu l’accueille en disant : “ Viens, tu m’es aussi cher qu’un être innocent ou un héros. ” »

Jésus a fini. Il s’en va sans même se tourner vers Matthieu, qui s’est rapproché du cercle des auditeurs dès les premiers mots.

95.5 Quand ils arrivent près de la maison de Pierre, sa femme accourt pour dire quelque chose à son mari. Pierre fait signe à Jésus de s’approcher.

« C’est la mère de Jude et de Jacques. Elle veut te parler, mais sans être vue. Comment faire ?

– Comme ceci : j’entre dans la maison comme pour me reposer et vous tous allez distribuer l’obole aux pauvres. Prends aussi l’argent de la taxe dont il n’a pas voulu. Va. »

Jésus fait un signe pour les congédier tous, pendant que Pierre se charge de les persuader de l’accompagner.

« Où est leur mère, femme ? demande Jésus à l’épouse de Pierre.

– Sur la terrasse, Maître. Il y a encore de l’ombre et de la fraîcheur. Montes-y. Tu y seras plus libre que dans la maison. »

Jésus gravit le petit escalier. Dans un coin, sous la tonnelle drue que forme la vigne, Marie, femme d’Alphée, est assise sur un petit coffre près du parapet, en vêtements sombres, le visage presque caché par son voile. Elle pleure doucement, sans bruit.

Jésus l’appelle :

« Marie, ma chère tante ! »

Elle lève vers lui un pauvre visage angoissé et lui tend les mains :

« Jésus ! Quelle douleur dans mon cœur ! »

Jésus est tout près. Il la force à rester assise, mais lui reste debout, avec son manteau dont il est encore drapé, une main sur l’épaule de sa tante et l’autre entre ses mains.

« Qu’as-tu ? Pourquoi ces larmes ?

– Oh Jésus ! Je me suis échappée de la maison en prétextant : “ Je vais à Cana chercher des œufs et du vin pour le malade. ” Ta Mère est auprès d’Alphée, elle en prend soin comme elle sait si bien le faire, et je suis tranquille. Mais en réalité, c’est ici que je suis venue. J’ai couru toutes les nuits pour y arriver plus tôt. Je n’en peux plus… Mais la fatigue, ce n’est rien. C’est la douleur de mon cœur qui me fait mal !… Mon Alphée… mon Alphée… mes fils… Ah, pourquoi une telle différence entre eux alors qu’ils sont issus d’un même sang ? On dirait les deux meules d’un moulin qui broient le cœur d’une mère. Jude et Jacques sont avec toi ? Oui ? Alors, tu sais… Ah ! Jésus, pourquoi mon Alphée ne comprend-il pas ? Pourquoi mourir ? Pourquoi veut-il mourir ainsi ? Et Simon et Joseph ? Pourquoi, pourquoi ne sont-ils pas avec toi, mais contre toi ?

– Ne pleure pas, Marie. Moi, je n’ai aucune rancœur à leur égard. Je l’ai dit aussi à Jude. Je comprends et je compatis. Si c’est pour cela que tu pleures, il ne faut plus pleurer.

– C’est pour ça, oui, car ils t’offensent. C’est aussi parce que… parce que je ne veux pas que mon époux meure en t’étant hostile. Dieu ne lui pardonnera pas… et moi… je ne l’aurai plus, même dans l’autre vie… »

Marie est vraiment effondrée. Elle pleure à chaudes larmes sur la main que Jésus lui a abandonnée, et de temps à autre elle la baise et lève vers lui son pauvre visage défait.

« Non, dit Jésus. Non, ne dis pas cela. Moi, je pardonne, et si c’est moi qui le fais…

95.6 – Oh ! Viens, Jésus. Viens sauver son corps et son âme. Viens… Pour trouver d’autres motifs d’accusation, ils disent même que tu as enlevé deux fils à un père qui va mourir et ils le colportent dans Nazareth. Comprends-tu ? Mais ils disent aussi : “ Il fait partout des miracles, mais, dans sa propre maison, il ne sait pas en accomplir ! ” Moi, je te défends en disant : “ Que peut-il faire, puisque vous l’avez chassé par vos reproches, et puisque vous ne croyez pas ? ” Alors ils s’en prennent à moi.

– Tu as raison de dire : “ puisque vous ne croyez pas ”. Comment puis-je en faire là où on ne croit pas ?

– Oh, tu peux tout ! Je crois pour tous ! Viens. Fais un miracle… pour ta pauvre tante…

– Je ne le puis. »

Jésus est profondément attristé de le dire. Debout, serrant contre sa poitrine la tête de Marie en pleurs, il semble avouer son impuissance à la nature sereine, il semble en faire le témoin de sa peine d’en être empêché par un décret éternel.

La femme pleure plus fort.

« Ecoute, Marie. Sois raisonnable. Je te jure que si je pouvais, s’il était bien de le faire, je le ferais. J’arracherais au Père cette grâce pour toi, pour ma Mère, pour Jude et Jacques et aussi, oui, aussi pour Alphée, Joseph et Simon. Mais cela m’est impossible. Actuellement, tu souffres trop et tu ne peux comprendre la justice de mon impuissance. Je t’en parle, mais tu ne la comprendras tout de même pas. Quand vint l’heure du départ de mon père – et tu sais combien il était juste et combien ma Mère l’aimait – je n’ai pas prolongé sa vie. Il n’est pas de règle que la famille où vit un saint soit préservée des inévitables malheurs de la vie. S’il en était ainsi, je devrais rester éternellement sur la terre, et pourtant je mourrai, bientôt, et Marie, ma sainte Mère, ne pourra m’arracher à la mort. Je ne le puis. Mais voilà ce qui m’est possible – et je vais le faire –. »

Jésus s’est assis et serre contre son épaule la tête de sa parente.

« Je vais faire ceci : en raison de ta souffrance, je te promets la paix pour ton Alphée, je t’assure que tu n’en seras pas séparée. Je te donne ma parole que notre famille sera réunie au Ciel, rassemblée pour toujours. Tant que je vivrai, et même après, je déverserai toujours dans le cœur de ma chère tante tant de paix, tant de force que je ferai d’elle un apôtre auprès de bien des pauvres femmes qu’il te sera plus facile d’approcher, toi qui es femme. Tu seras pour moi une amie bien-aimée en ce temps d’évangélisation. La mort – ne pleure pas ! – la mort d’Alphée te délivre de tes devoirs d’épouse et t’élève aux devoirs plus sublimes d’un mystique sacerdoce féminin, si nécessaire près de l’autel de la grande Victime et aux yeux de bien des païens dont l’âme sera plus touchée par le saint héroïsme des femmes disciples que par celui des hommes. Ton nom, ma chère tante, sera comme une flamme dans le ciel chrétien… Ne pleure plus. Va en paix. Sois forte, résignée, sainte ! Ma Mère… a été veuve avant toi… Elle te réconfortera comme elle sait le faire. Viens ! Je ne veux pas que tu repartes seule sous ce soleil ; Pierre t’accompagnera en barque jusqu’au Jourdain et de là à Nazareth avec un âne. Sois bonne.

– Bénis-moi, Jésus. Toi, donne-moi la force.

– Oui, je te bénis et te donne un baiser, ma chère tante. »

Il l’embrasse tendrement, et l’étreint encore longuement sur son cœur jusqu’à ce qu’il la voie calmée.