La corédemption (P. Cottier)

La corédemption (P. Cottier)

Dans le beau chapitre conclusif de la Constitution Conciliaire Lumen Gentium sur l’Eglise, consacré à la Vierge Marie, nous lisons : "Ainsi la bienheureuse Vierge avança dans son pélérinage de foi, gardant fidèlement l’union avec son Fils jusqu’à la croix où, non sans un dessein divin, elle était debout (cf. Jean 19, 25), souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d’un coeur maternel à son sacrifice, donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour, pour être enfin, par le même Christ Jésus mourant sur la croix, donnée comme sa Mère au disciple par ces mots: "femme, voilà ton fils" (cf. Jean 19, 26-27)(n. 58).

Le mystère de l’Eglise et le mystère de Marie s’incluent et s’éclairent mutuellement

Ces lignes d’une grande densité sont l’écho d’une longue tradition authentifiée par le Magistère. La Mère du Fils de Dieu fait homme est consacrée, au pied de la croix, Mère de son Corps Mystique. Ainsi elle sera proclamée par Paul VI Mère de l’Eglise. Ce titre éclaire le sens de "l’intime union" de Marie avec l’Eglise, où elle occupe, à "un titre éminent et singulier" la "première place" (cf. n. 63). C’est en sa personne que l’Eglise atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride (cf. Eph. 5,27). De l’Eglise elle est le modèle (typus). Il faut ainsi tenir ensemble que Marie n’est pas en dehors de l’Eglise, puisqu’elle en est le membre éminent et exemplaire, et qu’elle exerce sur l’Eglise une mission maternelle. Le mystère de l’Eglise et le mystère de Marie s’incluent et s’éclairent mutuellement.

Comment le comprendre? Le Concile, après avoir rappelé les paroles de l’Apôtre (1 Tim 2, 5-6) : "Car, il n’y a qu’un Dieu, il n’y a aussi qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est donné en rançon pour tous", ajoute aussitôt que le "rôle maternel de Marie à l’égard des hommes n’offusque et ne diminue en rien cette médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu" (n. 60).

La vie de grâce, participation à la vie divine, existe en source et en plénitude dans le Christ, Tête du Corps Mystique, pour être communiquée à son Corps qui est l’Eglise. Par cette communication le Christ attire l’Eglise et chacun de ses membres à lui être assimilé, conformé et à participer au don de lui-même au Père, par lequel il a sauvé l’humanité. Seul médiateur: l’offrande de lui-même est totalement, infiniment suffisante, pour le salut du monde. Qu’il y associe son Eglise, c’est là une marque de son amour et de la profondeur de l’union à laquelle il l’introduit.

Comme toute vie, la vie de la grâce est féconde, elle porte du fruit en abondance. Il y a là une loi qui se vérifie pour l’Eglise et pour Marie, en proportion de ses privilèges singuliers.

Devenue notre Mère, Marie "est invoquée dans l’Eglise sous les titres d’avocate, d’auxiliatrice, de secourable, de médiatrice..."

Le texte du Concile, que nous avons cité, le relève avec force : debout au pied de la croix, Marie souffre cruellement avec son Fils unique ; elle est associée d’un coeur maternel à son sacrifice ; elle donne à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour. Que signifie ces affirmations sinon que Marie a une part active dans le mystère de la Passion et dans l’oeuvre de la Rédemption?

Le Concile lui-même le précise : la Mère du divin Rédempteur fut "généralement associée à son oeuvre d’une manière absolument unique": "(...) En souffrant avec son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à l’oeuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soient rendues aux âmes la vie surnaturelle. C’est pourquoi elle est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère" (n. 61). "Après son assomption au ciel, son rôle dans le salut ne s’interrompt pas : par son intercession répétée elle continue à nous obtenir les dons qui nous assurent notre salut éternel". C’est la raison pour laquelle Marie "est invoquée dans l’Eglise sous les titres d’avocate, d’auxiliatrice, de secourable, de médiatrice" (n. 62).

Au titre de médiatrice, pouvons-nous ajouter celui de corédemptrice?

Au titre de médiatrice, pouvons-nous ajouter celui de corédemptrice? À la lumière de ce qui précède, la réponse est affirmative. Le Concile lui-même d’ailleurs, pour éviter toute fausse interprétation, ajoute que l’emploi de ces titres, est légitime s’il est entendu "de telle sorte que nulle dérogation, nulle addition n’en résulte quant à la dignité et à l’efficacité de l’unique médiateur, le Christ" (ibid). On relèvera que ce titre de corédemptrice ne figure pas dans le texte conciliaire. On peut penser que cette absence voulue obéissait à une motivation oecuménique. Il eût demandé de plus larges développements.

Il est vrai que si le terme de corédemption devait évoquer une juxtaposition et une addition à l’oeuvre salvatrice du Sauveur, il serait à rejeter avec vigueur. C’est prévenue, suscitée, contenue par le sacrifice rédempteur du Christ, d’une manière subordonnée, participée, en totale dépendance à son égard, que s’entend la corédemption de Marie au pied de la croix, comme est pleinement compénétrée par l’intercession de son Fils dans la gloire, sa médiation d’intercession au ciel.

La vocation de tous les baptisés à la sainteté les porte à participer au mystère du salut

Le Concile a énoncé le principe qui, traduisant une intuition de foi, commande toute réflexion théologique en ce domaine : "Car toute influence salutaire de la part de la bienheureuse Vierge sur les hommes a sa source dans une disposition purement gratuite de Dieu : elle ne naît pas d’une nécessité objective, mais elle découle de la surabondance des mérites du Christ ; elle s’appuie sur sa médiation, dont elle dépend en tout et d’où elle tire toute sa vertu ; l’union immédiate des croyants avec le Christ ne s’en trouve en aucune manière empêchée, mais au contraire aidée" (n. 60).

À la lumière de ce principe, nous comprenons en quel sens Marie, à un titre unique, est corédemptrice, comme aussi proportionnellement l’Eglise est corédemptrice. Nous comprenons encore en quel sens, la vocation de tous les baptisés à la sainteté les porte à participer au mystère du salut. Chacune de ces participations est comme une épiphanie de la fécondité de la croix de Jésus.

(Conférence du 29/05/2002)

Voir sur le site : clerus.net