La crainte de Marie selon saint Bernard (1090-1153)

Lc 1, 29-33 : Sois sans crainte, Marie

L'ange entra et lui dit: "Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi." A cette parole elle fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation. Et l'ange lui dit: "Sois sans crainte, Marie; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n'aura pas de fin."

(Luc 1, 28-33)

Les vierges qui le sont vraiment savent qu'elles portent un trésor précieux dans des vases d'argile et qu'il est très ardu de vivre comme des anges au milieu des hommes, d'agir sur terre à la manière des habitants du ciel et de mener une vie pure dans un corps de chair ; ainsi, toute nouveauté, tout imprévu leur semble cacher des embûches et elles se figurent que tout se machine contre elles. [...]

Je suis troublé et je reste sans parole, dit le psalmiste, mais j'ai médité les jours anciens et gardé dans mon esprit les années éternelles (Ps 76, 5.6). Marie de même fut troublée et resta sans paroles, mais elle méditait le sens de cette salutation. Si elle se troubla, ce fut délicatesse virginale, si elle ne perdit pas contenance, ce fut force d'âme ; elle se tut et réfléchit et ce fut prudence.

Elle se demandait ce que signifiait cette salutation : elle savait, cette vierge sage, que souvent l'ange de Satan se transforme en ange de lumière, et comme en toute humilité et droiture, elle ne s'attendait nullement à rien de tel de la part d'un ange du ciel, elle cherchait donc ce que signifiait cette salutation.

L'ange alors regarde la Vierge et découvre sans peine qu'elle roule dans son esprit une foule de pensées; il calme son effroi, dissipe ses hésitations et, l'appelant avec amitié par son nom, la persuade doucement de ne rien craindre :

"Ne crains rien, Marie, dit-il, tu as trouvé grâce devant Dieu". Ici, pas de ruse ; ici, aucune tromperie : ici ne soupçonne aucun piège, aucune embûche. Je ne suis pas un homme, je suis l'ange de Dieu, non de Satan.

Ne crains rien, Marie, tu as trouvé grâce près de Dieu. Oh ! si tu savais, à quel point ton humilité est agréable au Très-Haut, et quelle place élevée t'attend près de lui, tu ne te jugerais pas indigne de converser avec un ange, ni de recevoir ses hommages. [...]

Quelle grâce ? La paix entre Dieu et les hommes, la ruine de la mort, la restauration de la vie. C'est bien là, la grâce que tu as trouvée près de Dieu, et en voici le signe: Tu vas concevoir et enfanter un fils et tu l'appelleras du nom de Jésus. Comprends, Vierge prudente, par ce nom du fils promis, la grandeur et la qualité spéciale de la grâce que tu as trouvée auprès de Dieu: "Tu lui donneras le nom de Jésus", dit l'ange.

Et le sens de ce nom, un autre évangéliste nous le transmet avec l'interprétation de l'ange: C'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1, 21). (...)"


Saint Bernard († 1153)

Extraits de Saint Bernard, 3° homélie Super missus est, § 9-10,

dans Ecrits sur la Vierge Marie, Mediaspaul, Paris 1995, p. 85-87